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Constructeurs

Clotilde Delbos : "Avec Mobilize, le véhicule devient une plateforme de service durant toute sa vie"

Publié le 16 juin 2022

Par Catherine Leroy
7 min de lecture
Clotilde Delbos est devenue directrice générale de Mobilize en mars 2022. L’ancienne directrice financière du groupe Renault s’annonce totalement épanouie dans ses nouvelles fonctions, à la tête du quatrième pilier du plan Renaulution. Avec Mobilize, Renault devient un fournisseur de mobilité.
Clotilde Delbos, directeur général de Mobilize.

Journal de l’Automobile. Mobilize se définit comme "a vehicle as a service". Quelle part prendra cet usage sur le marché automobile ?

Clotilde Delbos : Je reste intimement persuadée que cet usage ne va pas cannibaliser le marché global, mais qu’il va plutôt s’agir d’un transfert vers des ventes avec un chiffre d’affaires récurrent. Mais cela ne va pas réduire le nombre de véhicules. Sur la part que prendra cet usage, nous réfléchissons plutôt en termes de taille de chiffre d’affaires. Nous estimons que la location va représenter 62 % du financement des véhicules pour un usage personnel. Nous préférons ne pas donner d’objectifs. Mais si l’on écoute les consultants, on parle de 30 milliards de chiffre d’affaires sur le marché du transport de personne (VTC) et de 3 milliards sur celui de l'autopartage. En revanche, je pense qu’il y a de gros développements à attendre pour la livraison du dernier kilomètre en Europe. Mais je suis profondément convaincue que ces marchés ne vont faire que croître. Et plus que le chiffre d’affaires lui‑même, c’est cette croissance qui nous intéresse.

 

JA. Les marchés européens vont‑ils se contracter à cause de la part prise par les services de mobilité ?

CD.  Je ne pense pas car tous ces marchés des services dans les premières années ne concernent que les grandes agglomérations et principalement le centre des villes. En banlieue, c’est déjà plus compliqué de n’utiliser que des services de mobilité et en ruralité, c’est complètement impossible. Ces marchés vont exploser mais ils ne vont pas recouvrir l’intégralité du territoire européen. Donc, je pense que si le marché se contracte, ce ne sera pas à cause de ces services mais plutôt de l’inflation et de la transformation vers l’électrique. Ces deux mouvements feront que l’acquisition sous quelque forme que ce soit d’un véhicule sera de plus en plus chère. C’est davantage ce phénomène, plutôt que l’explosion des services, qui va faire se contracter les marchés. L’usage, surtout dans les villes, sera différent, mais ne va pas impacter les ventes. De plus, si vraiment ce marché se développe, il entraînera un usage intensif de la voiture. Or, qui dit usage intensif dit également durée de vie plus courte.

 

Pourquoi se positionner dans un domaine extrêmement compétitif avec des marges faibles, alors que nous avons tous les atouts pour fournir la meilleure base, le meilleur bouquet de services aux opérateurs dont c’est le métier.

 

JA. Vous avez prévu de déployer Mobilize à l’international, quelles seront vos priorités d’implantation ?

CD. Tout va dépendre de l’usage. Notre modèle économique en utilisant les véhicules de Mobilize est à son optimum en termes de réduction du coût d’usage pour les opérateurs. Mais il pourrait très bien être utilisé sur des véhicules d’autres marques. Nous sommes déjà présents aux États‑Unis, par exemple, au travers de deux de nos filiales, à savoir iCabbi et Karhoo (respectivement solution pour la gestion de flottes de taxis et de VTC et solution pour relier les flottes de VTC aux opérateurs de mobilité). Nous pouvons donc aller dans n’importe quel pays où cela fait sens. Les territoires supplémentaires que nous allons viser sont ceux justement où ce type de révolution de trafic urbain est lancé. On parle de pays, mais ce sont surtout des villes pour commencer. Si, en plus, nous avons une base arrière, groupe Renault et Mobilize Financial Services, ce sera plus facile. Il est clair, dans ce cadre, que nous regardons le Brésil, le Maroc, la Turquie, la Corée du Sud…

 

JA. Vous devenez un fournisseur de services et de moins en moins un opérateur de services. Est‑ce à ce niveau que se situe la marge ?

CD. C’est l’analyse que nous faisons. Mais notre approche est différente parce que les opérateurs de mobilité prennent n’importe quel véhicule. Notre force est d’être un constructeur automobile, qui sait faire des véhicules peu chers. Nous saurons les concevoir pour un usage particulier, ce que personne ne fait. Utilisons notre force. Nous sommes forts dans la fabrication des véhicules pour un usage, pour des plateformes de tech, et parce que notre société de financement Mobilize Financial Services est performante dans le leasing, l’assurance, les paiements et l’énergie. Pourquoi se positionner dans un domaine extrêmement compétitif avec des marges faibles, alors que nous avons tous les atouts pour fournir la meilleure base, le meilleur bouquet de services aux opérateurs dont c’est le métier.

 

JA. Près de 5 ans ont été nécessaires pour l’un de vos concurrents, Free2Move, pour atteindre l’équilibre financier. Pourquoi iriez‑vous plus vite ?

CD. Tout d’abord, nous ne commençons pas aujourd’hui et certaines des entreprises dans lesquelles nous avons investi sont quasiment à l’équilibre. Et tout dépend de ce que l’on va positionner dans cet univers. Aujourd’hui, c’est l’investissement dans les véhicules qui va coûter le plus cher. Mais nous n’avons pas de concurrents dont l’offre sera aussi complète que la nôtre. Nous pensons atteindre une rentabilité à deux chiffres d’ici à 2027 et une marge opérationnelle à l’équilibre en 2025.

 

JA. Mobilize doit peser 20 % du chiffre d’affaires du groupe Renault en 2030. Quelle sera la part des services financiers et donc de Mobilize Financial Services dans ce résultat ?

CD. Mobilize Financial Services représente déjà 6 % du chiffre d’affaires du groupe aujourd’hui avec des offres traditionnelles. À l’horizon 2030, ce même business montera à 10 % avec mécaniquement la hausse du prix des véhicules, mais aussi du taux de pénétration. Cela représentera la moitié de notre objectif. Les 10 % restants seront issus pour moitié des nouveaux business de mobilité (abonnement, assurance…) et l’autre moitié grâce au "vehicle as a service" hors financement, mais avec les services liés à l’énergie.

 

JA. Vous avez indiqué pouvoir multiplier par trois le chiffre d’affaires généré par véhicule. Comment allez‑vous y parvenir ?

CD. Mobilize va vendre des services et non des véhicules, ce qui va permettre de générer des revenus récurrents. Le véhicule devient une plateforme de service durant tout son cycle de vie. Or, notre objectif, vous l’avez compris, c’est d’utiliser le véhicule le plus longtemps possible de façon à rentabiliser les ressources que nous y mettons à l’intérieur. Plus vous l’utilisez, plus vous le rentabilisez.

 

JA. Quel rôle vont jouer les concessions dans le déploiement de ces services ?

CD. Nous sommes actuellement en discussion avec notre réseau, mais les distributeurs se montrent très concernés et voient qu’ils ont besoin d’inventer une nouvelle ligne de produits. Le business model change et doit être réinventé. Et les distributeurs sont très intéressés pour participer à cette transformation, comme c’est déjà le cas avec le Mobilize Charge Pass et plus récemment l’offre d’installation d’une borne de recharge proposée depuis le lancement de la Megane E‑Tech électrique. Nous pourrions peut‑être voir aussi des Duo, des Bento ou des Limo dans les showrooms, à la location. Si le besoin existe dans certaines grandes villes, les Duo, véhicules sans permis, pourraient également être proposés, si nous sentons un appétit chez les clients particuliers. Mais nous voulons commencer par leur destination première à savoir les professionnels de la mobilité.

 

Quelle gamme de véhicules dans l’offre Mobilize ?

  • Mobilize Duo est un véhicule électrique compact pouvant accueillir deux personnes. Pensé pour les services d’autopartage, il devrait voir le jour fin 2023.
  • Mobilize Bento est un utilitaire électrique cargo dérivé du Duo pour s’adapter aux artisans avec un caisson de chargement d’un volume total de 1 m3 et promettant un coût d’utilisation inférieur de 35 %. Son lancement est prévu en 2024.
  • Mobilize Hippo est un véhicule modulaire et électrique dédié à la livraison du dernier kilomètre. Il disposera d’une capacité de chargement de 200 kg et jusqu’à 3 m3 environ, il est prévu en 2026.
  • Mobilize Limo est une berline dédiée aux taxis ou VTC qui est déjà proposée. Quarante Mobilize Limo viennent d’être ajoutées à la flotte de Vecttor, une filiale du groupe Cabify à Madrid.
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