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Thierry Laborde : "BNP Paribas Mobility doit nous permettre de générer un milliard d'euros de revenus supplémentaires"

Publié le 14 novembre 2023

Par Catherine Leroy
14 min de lecture
Directeur général délégué de BNP Paribas, Thierry Laborde aime la voiture et ne s'en cache pas. Derrière l'entité BNP Paribas Mobility, ce dernier déploie la stratégie du groupe bancaire sur la mobilité. Arval, Personal Finance, réseau bancaire, Cardif, CIB... tous les métiers du groupe œuvrent en commun pour accompagner la croissance.
Thierry Laborde BNP Paribas
Thierry Laborde, directeur général délégué de BNP Paribas et responsable du pôle Commercial Personal Banking & Services. ©BNP Paribas

Le Journal de l'Automobile : L’automobile devient un axe stratégique de développement pour les banques. À quel niveau estimez-vous ce marché du financement de la mobilité en Europe ?

Thierry Laborde : Nous n’avons pas d’estimation précise du marché compte tenu des transformations importantes en cours qu’il s’agisse des évolutions réglementaires ou des enjeux environnementaux qui nécessitent une adaptation importante pour tous les acteurs, du constructeur à l’usager. Nous avons décidé d’accélérer en renforçant le travail en commun de nos propres expertises sous la bannière BNP Paribas Mobility avec des offres qui s’adaptent aux nouveaux enjeux de nos clients.

 

J.A. : En quoi consiste cette nouvelle marque chapeau ?

T.L. : Sous cette bannière, nous mettons à la disposition de nos clients et prospects toutes les expertises d’Arval, de BNP Paribas Personal Finance, de Cardif, de nos banques commerciales, de BNP Paribas Leasing Solutions et de CIB (Corporate and Institutional banking). Notre modèle intégré est assez unique. Arval est présent sur le marché des professionnels depuis très longtemps. Cardif dispose d’une offre d’assurance affinitaire et a racheté Icare dont la mission est dédiée à l’extension de garantie. CIB, la banque des grandes entreprises, s’est très largement développée et accompagne aux USA, en Europe et en Asie tous les grands constructeurs automobiles aussi bien que les grands équipementiers. Les banques commerciales accompagnent depuis de nombreuses années nos clients dans leurs besoins de mobilité et enfin BNP Paribas Leasing Solutions qui finance les équipements industriels et professionnels. Nous avons donc depuis de nombreuses années une connaissance intime de ce secteur mais qui était précédemment un peu en pièces détachées dans différents métiers du groupe. Aujourd’hui, notre stratégie est assez simple. Il s’agit de faire davantage travailler ensemble les équipes de toutes ces entités avec l’objectif commun de permettre de générer un milliard d’euros de revenus supplémentaires à l’horizon 2025. Cela sans créer de goodwill (survaleur) car nous n’avons pas fait d’acquisition. Et nous sommes dans la bonne ligne.

 

J.A. : Sur quelles bases allez-vous chercher ce milliard d’euros supplémentaire ?

T.L. : Nous allons le chercher sur plusieurs fronts. Le premier d’entre eux concerne les constructeurs. C’est notamment le cas avec l’accord passé avec Stellantis lorsque nous avons transformé la coentreprise que nous avions avec Opel pour intégrer toutes les marques du groupe dans trois marchés, en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Autriche. Depuis avril 2023, cet accord produit déjà ses effets, et nous allons croître dans cette dimension de financement des ventes wholesale et retail de Stellantis. Nous avons également structuré d’autres partenariats avec des constructeurs, comme Jaguar Land Rover. Nous avons réalisé un investissement conséquent, d’environ 50 millions d’euros pour créer une plateforme assez unique puisqu’elle sert le client final, le distributeur, le concessionnaire et le constructeur, avec toute l’offre de financement et d’assurance : LOA, crédit, LLD et assurances. Et vous savez qu’aujourd’hui le nerf de la guerre c’est la donnée de grande qualité. Notre plateforme est une grande première, unique dans l’univers du financement. Nous y mettons le savoir-faire d’Arval et de BNP Paribas Personal Finance. Et cette plateforme peut être proposée aux constructeurs qui en ont besoin, qu’ils soient asiatiques, européens ou américains.

 

Tous nos axes de développement nous permettront de générer un milliard d’euros de revenus supplémentaires d’ici 2025 pour atteindre plus de trois milliards d’euros de revenus générés par BNP Paribas Mobility

 

J.A. : Cette plateforme est-elle également le cœur du nouveau partenariat que vous venez de signer avec Zeekr, la marque de véhicules électriques de luxe de Geely ?

T.L. : Tout à fait, puisque nous sommes également la captive de Geely en Chine depuis 2011 qui a abouti à la création de Genius AFC et Wisdom Financial Leasing dans lesquels nous disposons respectivement de 30 et 35 % du capital. Et quand Zeekr souhaite structurer un partenariat en Europe, il décide d’utiliser cette même plateforme que nous pouvons proposer à n’importe quel partenaire. C’est aussi à ce niveau que CIB a la capacité de créer de nouvelles opportunités pour développer nos partenariats. D’autres pourraient suivre. Certaines captives européennes sortiront sans doute du marché, pénalisées par des investissements technologiques très lourds.

 

J.A. : Quels sont vos autres axes de développement ?

T.L. : Le deuxième axe concerne le financement des infrastructures de mobilité. Nous étions peu présents sur ce secteur. Pourtant, dans nos métiers de financement de projets, nous financions beaucoup d’infrastructures liées à l’énergie. D’ailleurs, nous sommes l’acteur européen qui a accompagné tous les grands projets de construction de batteries en Europe. Aujourd’hui, nous nous positionnons sur des infrastructures très légères de bornes de recharge. Nous pensons que sur ce marché, nous parviendrons à générer rapidement 40 à 50 millions d’euros de revenus en fédérant les activités du groupe sous la bannière BNP Paribas Mobility. Notre troisième focus concerne également un secteur émergent, celui de la logistique et de la livraison du dernier kilomètre. La flotte à venir pourrait atteindre entre 50 000 et 60 000 véhicules, par exemple avec des clients de la grande distribution qui souhaitent des véhicules avec leur logo pour la location de courte durée. C’est ce type de partenariat que nous avons pu nouer avec Sixt. Cet acteur, client de CIB en Allemagne, a été présenté à Arval et nous avons pu créer ce partenariat multifacette avec de la location courte durée, moyenne durée et longue durée. Ce type d’initiatives communes nous permet d’aller plus vite dans l’équipement des clients corporate. Chaque banquier d’entreprise dans le monde qui sait que son client a besoin de véhicules en Europe peut faire le lien avec Arval. Ce qui lui permet de gagner rapidement des parts de marché. Enfin, notre dernier focus repose sur notre faculté à proposer des offres aux clients du retail : le particulier, le professionnel et la petite PME. Ce dernier axe nous a déjà permis d’aboutir à la création de deux plateformes. La première en Pologne et aujourd’hui en France avec Mobility4you. Ce sont tous ces axes de développement qui nous permettront de générer un milliard d’euros de revenus supplémentaires d’ici 2025 pour atteindre plus de trois milliards d’euros de revenus générés par BNP Paribas Mobility.

 

Demain, il nous faudra un référent mobilité dans toutes les agences de BNP Paribas

 

J.A. : En quoi consiste Mobility4you ?

T.L. : Cette plateforme, ouverte pour l’instant aux clients de la banque, propose une solution pour gérer tous les besoins de mobilité, de la définition du besoin au financement en passant par l’assurance. Elle propose un choix de plusieurs milliers de véhicules ou de solutions de mobilité douce. L’offre de véhicules est portée par BNP Paribas Personal Finance au travers de ses concessionnaires partenaires et par Arval. Ce sont des véhicules neufs mais aussi d’occasion, selon une approche budgétaire et par type de financement. Les premiers contrats ont déjà été signés. Notre prochaine étape est d’ouvrir cette offre aux non-clients de la banque vers la fin de l’année 2024.

 

J.A. : La dernière étude de l’observatoire Cetelem montre des consommateurs "dans le brouillard" face à l’électrification du marché et aux annonces règlementaires tout comme un certain attentisme pour le renouvellement de leur voiture. Quel impact pressentez-vous sur la croissance du marché de la mobilité ?

T.L. : Nous pensons que nous avons un rôle à jouer pour nos clients particuliers que ce soit chez BNP Paribas Personal Finance ou dans notre banque commerciale, dont les clients sont d’ailleurs différents. Mais nous disposons des deux approches pour couvrir tous les besoins de manière très pédagogique. L’idée pour BNP Paribas Personal Finance ou Arval est de trouver le bon véhicule en particulier sur le segment du véhicule d’occasion. En plus des concessionnaires partenaires, nous avons la chance de disposer de beaucoup de véhicules d’occasion puisque nous avons chaque année près de 400 000 VO mis sur le marché. Pour une partie de ces véhicules, Arval peut faire le choix de les dédier à cette plateforme plutôt que de les vendre à des intermédiaires. Cela nous permet aussi, quand le délai d’attente pour le véhicule neuf est long, d’avoir une offre pertinente pour nos clients. Pour la banque commerciale, il s’agit d’aider le client à trouver la solution adaptée à son besoin. Pour y parvenir, nous allons faire monter en compétences tous les conseillers de la banque. Demain, il nous faudra un référent mobilité dans toutes les agences de BNP Paribas. C’est donc aussi un rôle d’accompagnement qui est attribué à la banque commerciale dans les années qui viennent. Comme l’épargne ou l’immobilier, la mobilité va devenir un axe majeur de son champ d’action. C’est valable en France comme dans les autres pays.

 

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J.A. : Hausse des taux de refinancement, règlementations toujours plus contraignantes, compression des marges, comment se porte aujourd’hui BNP Paribas Personal Finance dont un plan de départ a été acté en France au début de cette année ?

T.L. : La stratégie de BNP Paribas Personal Finance est assez simple. Dans un contexte de forte évolution, en 2022, nous avons décidé de recentrer l’activité sur la zone euro. Nous sommes sortis de six pays en Europe centrale, au Brésil et au Mexique. Nous avons également fait évoluer l’activité. Aujourd’hui, pour la première fois chez BNP Paribas Personal Finance, l’automobile représente 41 % des encours, soit la plus grosse part du mix. Notre objectif est d’atteindre 50 % en 2025, et nous serons au-dessus. Nous privilégions l’automobile devant le prêt personnel et devant la carte. Les crédits automobiles sont des produits très sécurisés avec un coût du risque faible.

 

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J.A. : La directive sur le crédit à la consommation va notamment faire entrer la LOA dans le champ d’action du taux d’usure. Est-ce une crainte ?

T.L. : Nous nous adapterons à l’évolution de la réglementation. Cela donnera juste une petite complexité d’informations à donner aux clients.

 

J.A. : Allez-vous pousser pour un transfert de la LOA vers la LLD ?

T.L. : Nous pouvons le faire sans problème.

 

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J.A. : Est-ce une solution intéressante pour le client ?

T.L. : Tout dépend de ce que choisit le client. Mais il ne faut pas se tromper. Dans beaucoup de cas, les clients qui font le choix de la LOA, qui est une offre très française, choisissent peu l’option d’achat. Et il y a peu de services ajoutés. Pour la part où le client veut du service, nous pourrons proposer de la location longue durée car nous avons la plus belle usine à LLD d’Europe avec Arval. Nous pouvons facilement être agile sur ce sujet. Et nous avons du temps car la date d’application de la directive sera 2026.

 

J.A. : La compression des marges des sociétés de financement nécessite parfois de revoir les accords avec vos partenaires. Quelle est votre position ?

T.L. : Nous avons déjà revu beaucoup de ces accords, notamment dans la grande distribution, qui n’étaient plus adaptés. En revanche, BNP Paribas Personal Finance propose d’autres accords plus au goût du jour, avec de très belles marques, comme Apple par exemple, avec qui nous sommes partenaires dans de nombreux pays. Nous avons fait bouger les cibles et peu de distributeurs restent encore sur des accords de crédits classiques.

 

BNP Paribas Personal Finance paie plus cher sa liquidité qu’un réseau commercial qui collecte des dépôts

 

J.A. : Et dans l’automobile ?

T.L. : Dans l’automobile, ce sont des sujets de captives. Mêmes des acteurs très puissants, comme Stellantis ont décidé de s’adosser à des partenaires bancaires. Nous verrons ce que feront les autres. Des évolutions sont possibles. Les groupes de distribution sont déjà beaucoup concentrés de leur côté. Nous travaillons avec les plus importants. Certains ont l’ambition de le développer en propre. Mais il faut garder en tête que sans adossement cela nécessite des capacités d’investissement technologique et de refinancement importantes. Nous avons les bons partenariats et nous avons par exemple un lien très solide avec le groupe Emil Frey que nous accompagnons dans beaucoup de pays. Pour la distribution sur le lieu de vente, via les distributeurs, nous devons continuer à innover en matière d’expérience pour automatiser et proposer des parcours clients en "un clic". Comme les taux sont plus élevés, nous devons absolument industrialiser et baisser les coûts. Cela passe par la technologie et beaucoup d’open banking pour faciliter le processus d’octroi en temps réel avec l’accord du client. Nous avons déjà développé ces technologies. En nous concentrant sur les marchés cœur d’Europe que sont la France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, nous obtenons les tailles critiques d’encours pour amortir tous nos investissements car le travail d’industrialisation est important. C’est un travail que BNP Paribas Personal Finance est en train de réaliser.

 

J.A. : BNP Paribas Personal Finance est l’un des acteurs qui évoque le plus cette problématique de marges. Pourquoi ?

T.L. : Chacun de nos métiers doit trouver son équilibre dans son écosystème avec ses propres solutions. BNP Paribas Personal Finance paie plus cher sa liquidité qu’un réseau commercial qui collecte des dépôts. C’est un fonctionnement qui donne plus de responsabilité. Le métier de crédit à la consommation est de taille critique. Nous avons 100 milliards d’euros d’encours et nous allons continuer de les consolider. Mais la stratégie est centrée sur le métier, les géographies et les plateformes. Et quand les taux recommenceront à baisser, nous retrouverons de meilleures marges. Notre atout est de travailler sur le temps long.

 

J.A. : Comment voyez-vous évoluer les taux d’intérêts et le tempo de calcul du taux d’usure ?

T.L. : Le taux d’usure ne présente plus de difficulté désormais. Les taux semblent s’être stabilisés mais nous devons être prudents et garder en tête la possibilité que d’autres chocs surviennent. Nous voyons bien que le monde fait face à une multiplication de chocs. Il pourrait encore y en avoir de nouveaux. L’inflation devrait plutôt baisser légèrement. Mais je pense que les taux vont rester au même niveau qu’aujourd’hui jusqu’à la fin de l’année prochaine. Donc il reste un travail difficile de repricing à mener sur l’ensemble des canaux, quitte à concentrer nos ressources sur les activités les plus profitables. Il faut faire des choix.

 

J.A. : Que pensez-vous du leasing social qui doit faire acheter des voitures électriques neuves, chères, à des clients qui ne possédaient pas de voitures neuves ? Est-ce un effet de communication qui tient à faire croire que la voiture électrique est accessible à tous ?

T.L. : Il y a sans doute la volonté de pousser les constructeurs et en particulier les constructeurs français à proposer des véhicules adaptés. Il y a également une volonté de l’État de trouver une réponse à cette problématique d’accession. Avec BNP Paribas Personal Finance, nous pensons que nous devons proposer des solutions. Même si je pense qu’à court terme cela ne fera pas des centaines de milliers de véhicules. Pour répondre à cet enjeu, nous pouvons également proposer des voitures d’occasion, une seconde location pour les véhicules électriques par le biais d’Arval. Et cela permet de rendre accessible ces modèles même si nous ne serons plus dans le même dispositif. Mais nous devons attendre d’avoir les premiers retours de véhicules électriques.

 

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J.A. : Les constructeurs vont-ils pouvoir s’adapter pour baisser les prix des véhicules électriques ?

T.L : Les constructeurs vont très certainement devoir s’adapter pour produire des véhicules à des coûts plus bas, quitte à rogner sur les marges dans les premiers temps.

 

J.A. : Certains constructeurs, dont quelques-uns font partie de vos partenaires, ont choisi un modèle de distribution sous contrat d’agent. Cela peut-il vous faire perdre des positions ?

T.L. : Pas forcément. Mais cela va rebattre les cartes sur le financement wholesale. En ce qui nous concerne, nous restons concentrés sur les avantages de notre modèle industriel notamment pour répondre aux besoins des constructeurs.

 

J.A. : Ne craignez-vous pas une réorientation des financements vers les captives des constructeurs qui ont fait ce choix ?

T.L. : Sans doute. Mais c’est aussi la raison pour laquelle nous développons des solutions technologiques industrialisées pour les constructeurs.

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