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Loi Agec : constructeurs et centres VHU placent leurs pions

Publié le 20 février 2024

Par Jean-Baptiste Kapela
15 min de lecture
Fruit de longues discussions tendues, la loi Agec et l’instauration de la responsabilité élargie du producteur (REP) sont entrées en vigueur le 1er janvier 2024. En conséquence, les constructeurs mettent en place leur stratégie, sous les yeux attentifs de la filière, encore méfiante.
recyclage filière REP
Selon la Federec, la REP pourrait faire disparaître 1 000 centres VHU. ©AdobeStock-piccaya

"Ce matin encore, nous avons préparé une réunion avec des députés sur la loi Agec. J’ai l’impression de vivre avec. Il n’y a pas un jour sans que le sujet ne finisse sur la table", ironise avec une pointe d’agacement Patrick Poincelet, pré­sident de la branche des recycleurs de Mobilians. À l’heure de l’écriture de ces lignes, les semaines sont parsemées d’annonces. Il faut dire que le sujet de la loi Agec (loi antigaspil­lage pour une économie circulaire) est encore chaud, voire brûlant. Cette dernière s’applique depuis le 1er janvier 2024 en France obligeant les constructeurs à répondre à l’obligation de responsabilité élar­gie du producteur (REP).

 

En clair, ils doivent déterminer la manière dont ils traiteront les véhicules hors d’usage (VHU) de leurs marques. Pour ce faire, ils ont le choix entre deux modes de fonctionnement. Le système individuel, où un construc­teur se charge de la gestion de la fin de vie de ses véhicules, et l’éco‑or­ganisme, dans lequel plusieurs pro­ducteurs s’harmonisent pour le trai­tement de leurs VHU.

 

Avec l’entrée en vigueur de la loi, les constructeurs placent leurs pions sous la surveillance de la filière des recycleurs. Il ne s’agirait pas de lais­ser passer un marché aussi appé­tissant économiquement. Selon les chiffres fournis par la Federec, en 2022, la filière du recyclage a enre­gistré une hausse de 7,7 % de son chiffre d’affaires qui s’est établi à 11,6 milliards d’euros.

 

Renault est le premier à avoir dégai­né, le 15 décembre 2023, avant même l’application de la loi. Le groupe a fait le choix du système individuel pour ses marques Renault, Dacia et Alpine. Un système qui s’appuie sur sa filiale The Future Is Neutral et plus particulièrement sur la société Indra Automobile Recycling, dont il est actionnaire à 50 % avec Suez.

 

Stellantis lui emboîte le pas le 17 janvier 2024, en étendant les services de SUSTAINera Valo­rauto, sa coentreprise avec Galloo, aux particuliers en France et au Belux. Entre‑temps, Volkswagen, en association avec MAN Truck, a aussi fait le choix du système individuel, mais en se reposant sur un presta­taire, Tracauto, spécialiste français de la traçabilité des VHU.

 

En paral­lèle, la Chambre syndicale interna­tionale de l’automobile et du moto­cycle (Csiam), représentant près de 84 marques, s’est réunie pour fon­der l’association loi 1901 Recycler mon véhicule. Cette dernière aura pour objectif de déposer l’agrément pour devenir un éco‑organisme. L’échiquier se met en place, mais ils manquent quelques pièces.

 

Les constructeurs ne peuvent pas obliger les centres de recyclage à leur vendre des pièces. ©AdobeStock-edojob

 

Le choix des armes

 

Chaque acteur a une bonne raison de choisir l’un des deux systèmes. "Pour nous, le choix d’un système individuel est assez logique, assure Xavier Kaufman, chief business of­ficer (CBO) de The Future Is Neu­tral, la filiale dédiée à l’économie circulaire du groupe Renault. Nous sommes engagés depuis très long­temps dans la filière et nous avons dé­veloppé beaucoup d’actifs notamment avec Indra et Gaia. Avec The Future Is Neutral, nous sommes déjà un ac­teur de la filière du recyclage. Il était donc logique que nous ne choisissions pas un éco‑organisme."

 

De son côté, Stellantis, via Valorauto, abonde dans le sens du système in­dividuel. "C’est une forme de liberté pour un constructeur. Si nous délé­guons notre responsabilité adminis­trative à des éco‑organismes, ce sont eux qui décident. Or, il y a une chose que nous ne pouvons pas déléguer, c’est notre responsabilité financière", soulève Thomas Delgado, directeur général de SUSTAINera Valorauto.

 

Avant d’ajouter : "Même si nous nous appuyons sur des prestataires. Au vu des volumes engagés et en termes de finance, nous ne pouvons pas dire à un éco‑organisme : "Faites ce que vous voulez." D’autre part, que ce soit Stellantis, Renault ou Volkswagen, ils s’inscrivent dans une réglementa­tion environnementale pour favoriser l’économie circulaire avec la mise en place d’un écosystème. Dans le cadre d’un éco‑organisme, vous ne maîtrisez plus cette économie circulaire."

 

La création d’un éco‑organisme

 

Du côté de la Csiam, la nouvelle association présidée par Vincent Salimon, président du directoire de BMW Group France, se présente comme une organisation à but non lucratif. Treize marques ont parti­cipé à l’assemblée générale qui s’est tenue le 16 janvier 2024, dont BMW France, Mercedes‑Benz, Mitsubishi Motors, Porsche ou encore Vol­vo Cars. "Nous visons des objectifs ambitieux en termes de collecte, de traitement et de recyclage des VHU, assure le président de Recycler mon véhicule, Vincent Salimon, dans un communiqué. Une collaboration étroite avec l’État et les acteurs de la filière permettra de créer un cadre robuste et efficace pour la gestion des déchets et la préservation de l’en­vironnement." De l’aveu d’Athina Argyriou, présidente de la Csiam, l’agrément devrait tomber en ce mois de février 2024.

 

Nous visons des objectifs ambitieux en termes de collecte, de traitement et de recyclage des VHUVincent Salimon, président de Recycler mon véhicule

 

"La publication du cahier des charges le 20 novembre, suivie rapidement par l'entrée en vigueur de la REP dès le 1er janvier, a imposé des défis considérables à de nombreux acteurs du secteur en un temps très court. Cette conjoncture, aggravée par un environnement réglementaire en constante évolution et imprévisible (bonus écologique, malus poids, leasing social…), a rendu les processus particulièrement complexes pour de nombreuses entreprises, explique Athina Argyriou. Cependant, la création récente de 'Recycler mon Véhicule' et son accréditation subséquente ont été accueillies favorablement par l'ensemble de la filière. Cette initiative, est vue, y compris par l’état, comme une incitation majeure pour tous les producteurs et distributeurs encore indécis à rejoindre l’alliance. Dans cette optique, nous prévoyons de publier, dès la semaine prochaine, les modalités d'adhésion et le barème de l'écocontribution, fournissant ainsi, en un laps de temps très réduit, des informations claires et détaillées pour faciliter rapidement l'intégration de nouveaux membres."

 

Le système individuel, la source des tensions

 

Deux systèmes (individuel ou éco-organisme), deux philosophies qui pointent les crispations autour de l’arrêté adopté en novembre 2023, régissant la REP. La Fédération des entreprises de recyclage (Federec) a d’ailleurs déposé un recours en annulation devant le Conseil d’État en décembre 2023. L’organisme pointe du doigt un potentiel désé­quilibre et un risque d’abus de posi­tion dominante des constructeurs.

 

La Federec dénonce en particulier la multiplication des systèmes in­dividuels, qui pourrait, selon l’or­ganisation professionnelle, faire disparaître 1 000 centres VHU à terme et mettre en péril leur modèle économique avec une éventuelle perte de la propriété de la matière recyclée.

 

"Ce pouvoir donné aux constructeurs, a contrario d’un éco‑organisme, aura aussi un impact important sur le mail­lage territorial. Libre à eux de situer leurs centres de reprise des véhicules sans tenir compte d’une répartition équilibrée", affirme la Federec.

Le lancement de l’éco‑organisme sous la forme d’une association loi 1901 n’est pas un hasard et vise à mettre sous silence les éventuels doutes d’objec­tifs économiques. Selon Athina Argy­riou : "Il est anticipé que de nombreux systèmes individuels émergeront au sein de la filière REP, principalement gérés par un nombre restreint de prestataires. Certains de ces prestataires ont des liens capitalistiques avec les constructeurs automobiles, ce qui soulève des questions quant à la compatibilité de cette structure avec l'esprit de la REP. Cette architecture peut potentiellement entraver l'objectif d'une gestion équitable et efficace des déchets dans le cadre de la REP."

 

Les six prochains mois vont être très chauds. Ensuite, pendant un an, nous risquons de vivre une vraie foire d’empoigne dans les centres VHU dans l’objec­tif de récupérer des contrats. Nous devrions retrouver une certaine sérénité au début de l’année 2025Patrick Poincelet, président de la branche des recy­cleurs de Mobilians

 

"La France n’aime pas les systèmes individuels. Cependant, dans le texte européen, la REP ne peut se consti­tuer que dans le cadre d’un éco‑or­ganisme ou d’un système individuel et l’Hexagone ne peut pas s’opposer à ces derniers. En temps normal, les systèmes individuels sont à la marge et ne pèsent que 2 voire 3 % sur d’autres produits. Mais aujourd’hui, dans l’automobile et rien qu’avec les trois constructeurs qui ont choisi ce modèle, ils constituent jusqu’à 75 % du marché", explique Patrick Poin­celet. Le président de la branche recyclage de Mobilians se réjouit de l’existence du futur éco‑orga­nisme, précisant qu’il permettrait aux centres VHU respectant le ca­hier des charges de contourner les éventuelles restrictions des SI, "un éco‑organisme ne peut pas refuser la contractualisation avec un centre. Ainsi, toutes les entreprises que je représente et qui respectent le cahier des charges n’ont pas de problèmes avec l’éco‑organisme et peuvent rentrer 100 % des véhicules, y com­pris des Renault et des Stellantis."

 

Un accroissement de la filière illégale ?

 

Ce point de vue n’est pas partagé par Thomas Delgado. "Un centre VHU aura tout intérêt à demander l’agrément de tout le monde. Cer­tains me disent qu’il suffit d’avoir l’agrément de l’éco‑organisme et tout ira bien. Non, en faisant cela, il aura la possibilité de traiter tous les véhicules d’une catégorie de l’agrément, mais cela ne veut pas dire que l’éco‑organisme sera propriétaire de toutes les voitures, car il y a des points qui sont propres aux constructeurs. Nous conseillons vivement que chaque centre VHU soit multiréseau", assure‑t‑il. Pour le directeur général de Valorauto, c’est aussi une bonne opportunité économique, en permettant aux recycleurs de ne pas passer par une multitude d’acteurs.

 

"Il ne se passe pas un jour sans qu’un centre de traitement VHU ne me partage ses inquiétudes. Une crainte liée à une méconnaissance du sujet et à un manque d’informa­tions. Ainsi, nous avons réalisé des réunions pour informer les démolis­seurs et les centres VHU et leur don­ner les conditions pour faire partie du réseau et les éléments factuels à ceux en ayant besoin." Valorauto collabore avec 300 centres VHU agréés et compte donner l’agrément à un total de 800 centres sur tout le territoire et en outre‑mer d’ici à fin 2024. Mais ce chiffre n’est pas fixe.

 

"La responsabilité revient au pro­ducteur et celui‑ci doit montrer ses engagements et monter en com­pétence. Nous allons donc devoir être plus sélectifs. Et ce n’est pas péjoratif de dire cela, ajoute Tho­mas Delgado. Aujourd’hui, dans la profession, la majeure partie a réalisé un travail extraordinaire d’investissement, d’implication, d’environnement, de commerce, de développement des pièces… mais il y en a d’autres qui n’ont encore rien fait et qui n’entreront pas dans notre scope. Nous étendons notre réseau, mais il va falloir reprofessionnaliser une partie des centres VHU avec qui nous allons travailler." Une sélec­tion plus stricte dans le cadre des systèmes individuels qui risque de mettre de côté un certain nombre de centres VHU. Une raison d’être qui disparaîtrait et qui pourrait pousser certains d’entre eux à bas­culer dans l’illégalité.

 

Les recycleurs ont gagné le statut de derniers propriétaires et détenteurs des VHU. ©AdobeStock-SOLLUB

 

Une victoire pour la filière du recyclage ?

 

Si des tensions subsistent sur la gestion du recyclage, ces dernières auraient pu être bien plus vives. Avant d’aboutir à la version fi­nale de la loi Agec, le parcours fut particulièrement mouvementé, s’apparentant à un véritable bras de fer entre la filière du recyclage et les constructeurs. "Les réunions étaient houleuses, des portes ont claqué !", se remémore Patrick Poin­celet.

 

Outre la voiture, la loi touche 21 produits, à l’instar des bouteilles en plastique, des chewing‑gums ou encore des cigarettes. Mais il y a une différence fondamentale entre l’automobile et les 21 autres pro­duits. Une voiture, même à la fin de sa vie, même si elle est abandonnée en pleine nature, restera identifiable via sa plaque d’immatriculation.

 

"Un mégot de cigarette jeté sur le sol, personne n’est capable de retrouver le dernier propriétaire. Que font les législateurs dans ce cas‑là ? Ils disent au producteur qu’il est le propriétaire du mégot. Mais dans l’automobile, ce n’est pas la même chose, le dernier propriétaire est identifiable, simpli­fie Patrick Poincelet. Malgré cela, les constructeurs ont quand même cru qu’ils allaient gérer et récupérer les produits des VHU, qu’un marché potentiel allait émerger et qu’ils al­laient pouvoir faire du business. Mais ce n’est pas le cas et cela nous l’avons obtenu lors du décret d’application en 2020", sourit avec satisfaction le président de la branche recyclage de Mobilians.

 

L’enjeu du dernier propriétaire du véhicule est le nerf de la guerre entre constructeur et recycleur. Sur ce point, selon Pa­trick Poincelet, il s’agit d’une petite victoire pour la filière du recyclage. "Pour l’instant, nous pouvons parler de victoire. Nous avons gagné sur le fait d’être le dernier propriétaire du véhicule, puisque les constructeurs n’ont la responsabilité que de la fi­nalité de leurs véhicules. Ce sont les centres de recyclage qui sont les der­niers propriétaires et détenteurs du VHU. D’autre part, ils ne peuvent pas nous obliger à leur vendre des pièces. Ce qui implique, par exemple, que les batteries de traction peuvent être vendues à n’importe qui pour leur réemploi", souligne le président de la branche recyclage de Mobilians. Après avoir proposé un schéma idéal d’application de la loi, l’organisation a émis huit propositions. Au total, cinq d’entre elles ont été retenues.

 

Une victoire pour combien de temps ? La filière attend la position et la mise en place des propositions des différents constructeurs. Mais l’enjeu de la profession, c’est d’avoir un fauteuil équivalent dans les dé­bats avec les constructeurs pour éviter la lutte du pot de fer contre le pot de terre.

 

La filière appréhende le poids politique des constructeurs avec la crainte que le texte actuel soit potentiellement modifié. "Les six prochains mois vont être très chauds. Ensuite, pendant un an, nous ris­quons de vivre une vraie foire d’em­poigne dans les centres VHU dans l’objectif de récupérer des contrats. Nous devrions retrouver une certaine sérénité au début de l’année 2025", estime Patrick Poincelet. Pour le moment, rien n’est encore définitif et au niveau de Mobilians, la situa­tion est encore loin de trouver une forme de stabilité.

 

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La loi Agec était‑elle nécessaire ?

 

Lorsque l’on parle de la loi Agec, dans le cadre de l’automobile, il convient d’aborder en particulier l’article 62 de cette dernière, da­tant du 10 février 2020, qui prévoit la mise en œuvre d’une filière REP pour les producteurs de véhicules à moteur allant de la voi­ture particulière à l’utilitaire, en passant par les deux ou trois‑roues, les quads et les voiturettes.

 

L’objectif étant de garantir la reprise des VHU, sans frais, dans toute la France. Le texte encadre les obli­gations de prise en charge financière des coûts de collecte et de traitement de ces véhicules, mais aussi de gestion des dépôts de véhicules abandonnés. Mais en substance, cette loi était‑elle réelle­ment nécessaire ?

 

Si constructeurs et recycleurs peuvent avoir du mal à s’entendre sur certains sujets, un point fait consensus : l’inu­tilité de la loi Agec. "Le traitement des VHU, ce n’est pas quelque chose de nouveau. La filière marche extrêmement bien et ce, de­puis de nombreuses années. Elle est efficace et je peux vous dire qu’elle est en avance sur ses homologues européennes", précise Athina Argyriou, présidente de la Csiam, là où Patrick Poincelet, président de la branche des recycleurs de Mobilians, prend moins de pincettes : "Nous ne voulions pas qu’il y ait une loi, car nous répondons déjà aux objectifs imposés par la directive européenne. Nous ne demandions rien à personne et ils créent des problèmes."

 

En effet, la directive européenne du 18 septembre 2000 a fixé le taux de recyclage et de réutilisation à 85 % et le taux de réutili­sation et de valorisation à 95 % des VHU. En France, d’après les chiffres de la Federec, les taux actuels sont de 87,1 % et de 95,4 %.

 

Pour Thomas Delgado, directeur général de SUSTAINera Valorau­to, cette loi répond surtout à un calendrier politique. "La loi est sortie à la va‑comme‑je-te‑pousse parce qu’il fallait un texte lié aux VHU. La consigne a été donnée au ministère de l’Écologie de sortir le plus vite possible les textes liés. Nous avons fait tout un tas de remarques sur des points qui risquent de ne pas fonctionner et le texte n’a bougé que d’une virgule. Tous les acteurs du secteur se sont étonnés de la position de l’État, ne comprenant pas pourquoi cette profession, déjà bien réglementée, ayant réalisé des investis­sements colossaux et atteignant les performances requises, devait être remise à plat par cette loi."

 

Mais une autre donnée pourrait bien mettre à mal la loi actuelle. La Commission européenne tra­vaille sur un projet de règlement qui aura pour objectif de durcir les mesures actuelles en matière de recyclage automobile. Ce nouveau texte devrait être voté d’ici deux ans.

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