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L’IA sans concession pour les groupes de distribution ?

Publié le 21 juillet 2025

Par Jean-Baptiste Kapela
11 min de lecture
Depuis l’explosion de l’IA générative fin 2022, le secteur automobile se penche sur ses usages concrets. Si l’enthousiasme est bien là, les distributeurs avancent prudemment face à l’arrivée dans les concessions des agents IA, qui reflètent tout le potentiel de cette technologie… mais aussi ses limites.
IA groupes de distribution
Les agents IA permettent de rattraper les 35 % d’appels manqués dans les concessions. ©AdobeStock-jittawit.21

"Intelligence artificielle"… Il est probable que la simple évocation de ces deux mots – ou de leur initiale – provoque une overdose tant elle est au cœur de l’actualité technologique. Mais à l’image des débuts d’Internet ou des réseaux sociaux, le sujet de l’IA géné­rative devient un incontournable pour toutes les entreprises.

 

Les groupes de distribution automobile ne sont pas épargnés par ce phénomène. Promet­teurs, les domaines de compétence de l’intelligence artificielle donnent l’impression qu’elle peut répondre à de nombreuses attentes.

 

Dans un secteur comme la distribution automobile, où les activités sont multiples – vente de VN, VO et pièces de rechange, réparation, location… – déléguer certaines tâches à la nouvelle techno­logie est synonyme de plus grande ef­ficacité et de rentabilité.

 

L’émergence de l’IA conversationnelle à la fin de l’année 2022, sous l’impulsion d’OpenAI et de l’ouverture au public de ChatGPT, a mis la puce à l’oreille de certains investisseurs. Ces derniers ont réfléchi à une application dans la dis­tribution automobile.

 

Très tôt, l’idée de créer des agents IA a commencé à émerger, en corrélation avec les balbutiements de cette techno­logie. En effet, selon les acteurs de l’IA, 35 % des appels dans les concessions ne trouvent pas de réponse, ce qui a un impact négatif sur le business et au‑delà, sur le suivi et la relation client.

 

Autre donnée intéressante, entre 70 et 80 % des appels concernent la prise de rendez‑vous en atelier. Le principe de l’agent IA est simple : lorsqu’un client contacte une concession, ce n’est plus un standard ou un vendeur qui ré­pond, mais une intelligence artificielle.

 

Une prise en charge peut être faite en vocal par téléphone ou par écrit, par le biais d’un SMS, d’un e‑mail, des réseaux sociaux ou encore d’un chat­bot. Le service, disponible 24 h/24 et 7 j/7, a l’avantage de répondre aux 60 % des contacts avec la concession réalisés en dehors des horaires d’ouverture.

 

Cet agent virtuel peut ainsi dispatcher les demandes aux services adéquats en cas de besoins spécifiques ou fixer un rendez‑vous, tout en libérant du temps aux équipes pour d’autres tâches. "L’objectif, c’est de répondre à des ques­tions simples, à faible valeur ajoutée. Nous ne trompons pas le client et nous annonçons tout de suite qu’il s’agit d’une IA, affirme Emmanuel Poutz, directeur commercial de Sandra AI. S’il le souhaite, il peut basculer à tout moment vers un agent humain. Nous arrivons à analyser la donnée pour connaître la typologie de l’appel. Dans le cas où un appel ne trouve pas de ré­pondant, un mail intelligent est envoyé au service concerné, avec la transcrip­tion de la communication."

 

Un marché déjà fortement concurrentiel

 

Fondée par trois polytechniciens, Skandère Sahli, Ismail Majjad et Badr El Idrissi Mokdad, la société Sandra AI fait partie des pionnières qui se sont lancées sur le sujet, dès 2023. Aujourd’hui, elle travaille avec 150 clients et traite près 70 000 appels par an. La solution a d’ailleurs fait ses preuves lors du traitement des de­mandes liées aux airbags Takata.

 

Mais l’entreprise n’est pas la seule à avoir eu l’idée de lancer un agent IA. La socié­té Diago a aussi été fondée par deux polytechniciens, Sylvain Delgendre et Pierre de Boisredon, rejoints en mai 2023 par Guillaume Couzy, ex‑directeur général de Stellantis France.

 

Elle propose aussi un assistant IA capable de répondre vocalement. La start‑up en a d’ailleurs fait sa spé­cialité et travaille avec une dizaine de grands groupes de distribution. La solution est d’ailleurs en test dans une vingtaine d’autres.

 

Diago a no­tamment signé un contrat‑cadre avec le Groupement des concessionnaires automobiles Peugeot (GCAP) pour ré­férencer l’outil auprès du réseau. C’est d’ailleurs auprès du groupement que la start‑up est parvenue à lever un mil­lion d’euros, le 27 juin 2025.

 

"Au téléphone, le client ne supporte pas qu’il y ait plus de deux secondes de latence, donc il est technologiquement plus difficile de proposer un agent IA vocal. De facto, c’est un outil beaucoup moins investi par la concurrence", souligne Guillaume Couzy.

 

Diago a la particularité de prendre en charge l’ensemble des scenarii, du standard à l’après‑vente en passant par le VO/VN et la qualification de leads. "Il faut passer son temps à investir dans la par­tie technologie et avoir des équipes avec un haut niveau de compétences sur le sujet pour sans cesse enrichir la solu­tion en fonction de l’évolution de l’IA et des besoins des clients", assure l’ex‑di­recteur général de Stellantis France.

 

 

Les agents IA ne sont pas l’apanage de nouvelles start‑up. Des entreprises déjà en place dans les métiers de ser­vice dédiés à la distribution mettent en œuvre leur propre solution IA.

 

Ainsi, la filiale de l’éditeur de logiciels Bee2link, Neuralytics, propose depuis peu son propre agent conversation­nel. "Dans ce monde de l’IA, nous travaillons tous avec les mêmes socles technologiques. Ce sont l’exécution et notre capacité d’intégration à l’envi­ronnement des concessionnaires qui fe­ront la différence", soulignent Jimmy Brumant et Jonathan Damis, cofon­dateurs de Neuralytics.

 

De son côté, Corentin Poret, directeur de Loco­motive, société spécialisée dans la gestion de leads pour près de 300 conces­sions, propose aussi en supplément un agent IA en option. "Cette concur­rence est saine sur ce marché, car cela prouve qu’il y a de réels besoins dans les concessions. Le fait d’avoir de la concurrence permet d’évangéliser sur les sujets d’IA conversationnelle et c’est une bonne chose. C’est le dernier kilo­mètre qui fera la différence auprès de nos clients", explique‑t‑il.

 

Les start up qui proposent actuellement des agents IA reposent sur des LLM (grands modèles de langages) comme ChatGPT. ©AdobeStock-Tada Images

 

L’importance de la donnée

 

Locomotive travaille avec des groupes de distribution qui figurent dans notre Top 100, tels que les groupes Neubauer, Midi Auto, PLD Automobile ou en­core Audi Bauer Paris. La société as­sure avoir "récupéré" 1 220 appels manqués par mois et 19 159 leads grâce à l’intelligence artificielle.

 

Thierry Tanfin, directeur général du groupe Bauer Paris, affirme avoir gé­néré un chiffre d’affaires de 18 millions d’euros via Locomotive. Pour proposer un agent IA efficace, il faut avant tout des données et il est donc nécessaire que le distributeur client ait un logiciel CRM (gestion de la relation client) effi­cient qui centralise toutes les données.

 

"Une fois que vous avez cette base‑là, on peut tout imaginer et l’IA va pouvoir travailler proprement. En ce qui concerne toutes les IA du marché, nous avons à peu près le même degré d’intelligence, mais l’enjeu, c’est qu’elles suivent le bon process et qu’elles aient accès aux bonnes data", précise Coren­tin Poret dont l’entreprise s’est déjà spécialisée dans le domaine.

 

"Nous recommandons de réaliser une cartographie des bases de don­nées avant de mettre en place l’outil et ce, afin d’être en mesure de personna­liser le parcours client avec les bonnes informations", affirme Yannick Fauchille, cofondateur de Business Lead, entreprise créée en 2013 qui travaille avec 513 clients et qui a per­mis de sauver 128 433 appels depuis janvier 2025 selon elle.

 

Mettre en service un agent IA dans les concessions est assez rapide, il faut compter entre un jour et quatre semaines. "Ce qui peut ralentir l’im­plantation de notre outil, cela va être le CRM avec lequel nous sommes interfa­cés et la rapidité avec laquelle les gens de la téléphonie vont mettre le débor­dement sur Sandra AI, souligne Em­manuel Poutz. Nous avons un pa­ramétrage qui permet de démarrer progressivement au fur et à mesure des habitudes de chacun. L’impor­tant est que l’IA soit parfaitement adaptée à son utilisation."

 

Chaque acteur qui propose un assistant IA dans la distribution automobile s’appuie sur un LLM (grand modèle de langage) à l’instar de ChatGPT, Mistral, DeepSeek ou encore Gemi­ni (LLM de Google).

 

Ne pas perdre de vue l’aspect humain

 

Forcément, implanter de l’IA dans son groupe de distribution peut in­quiéter les équipes. D’autant plus dans un contexte de difficulté dans le re­crutement et de fidélisation des sala­riés.

 

Dans une vidéo postée sur YouTube par Sandra AI, David Guez, concessionnaire normand basé à Rouen, témoigne de réticences à l’ar­rivée de l’agent IA dans la boîte à ou­tils de son établissement : "La première réaction de notre réceptionniste était de dire : «Vous ne voulez plus de moi ?»  Mais très vite, ils se rendent compte que ça allège leurs tâches et améliore leur quoti­dien."

 

Pour rassurer leurs clients, les start‑up proposant un agent IA conseillent une mise en place pro­gressive de l’outil sans perdre de vue l’humain, vers lequel le client peut basculer à tout moment.

 

Guillaume Legrand a cofondé en 2018 la start‑up eKonsilio. Frère d’Éric Legrand, directeur général du groupe de distribution éponyme, il a toujours baigné dans l’univers automobile, percevant très tôt les problèmes des engorgements des appels.

 

Son entreprise s’est spéciali­sée dans la relation client via des call centers. Avec l’émergence de l’IA conversationnelle, elle a implémen­té cet outil technologique dans son portefeuille de services… mais tou­jours avec l’opportunité de basculer à tout moment vers l’humain.

 

"S’il y a de l’enthousiasme autour de l’IA, il y a aussi de la désillusion, car elle n’est pas toujours au rendez‑vous sur certains sujets comme la performance commerciale ou la collecte de leads. L’humain est encore beaucoup plus performant sur ces sujets et le «tout IA» risque d’uniformiser et d’affa­dir la relation client", observe‑t‑il.

 

La start‑up propose ainsi plusieurs offres correspondant à un degré d’utilisation de l’IA. Près de 80 % de ses distributeurs‑clients optent pour un service hybride, selon le cofonda­teur d’eKonsilio.

 

"L’IA accueille, identifie le besoin et oriente vers le bon interlocuteur. Je pense que cela présente un risque de désintermédiation : des entreprises pourraient venir s’intercaler avec des IA qui conversent avec des IA pour programmer les rendez‑vous", craint de son côté Yannick Fauchille qui constate, malgré une forte accepta­tion de l’IA, que les consommateurs demandent régulièrement à basculer vers l’humain.

 

Des manières différentes d’appréhender l’IA

 

Abordable financièrement, dispo­nible, retour sur investissement… les avantages de l’intelligence artificielle dans la relation client, comme dans d’autres activités de la concession, sont alléchants.

 

S’il n’y a pas de pré­requis en dehors d’un accès fluide aux données par le biais d’un DMS ou d’un CRM, certains points sont tout de même à considérer. Ainsi, pour Guillaume Couzy, implanter l’IA doit être une démarche prise au niveau du "top management" de l’entre­prise.

 

"La façon la moins intéressante d’adopter l’IA pour un distributeur, c’est lorsqu’il se dit : "Tiens, je vais essayer quelques trucs" et de lancer deux ou trois proofs of concept (POC). Personne ne doit faire l’économie de la réflexion sur la manière d’intégrer l’IA à son business, car c’est une révo­lution fondamentale et qu’il est essen­tiel de ne pas prendre du retard." Si 70 % des distributeurs affirment que l’usage de l’intelligence artificielle va transformer leur business, Diago constate que seuls 15 à 20 % d’entre eux l’utilisent réellement.

 

L’engouement pour l’IA n’a que trois ans et la technologie en est encore à ses balbutiements. Selon Guillaume Legrand, l’implémentation de l’IA et la relation client dépendent aus­si de l’image que le distributeur et sa marque souhaitent se donner, mais aussi de la zone géographique où l’opérateur se situe.

 

 

"Il y a des groupes qui ont une forte empreinte locale dans certaines régions. Pour ces distributeurs, je leur préconise de rester sur de l’humain. Il y en a d’autres qui sont plus généralistes, sur de plus grandes étendues et là, nous leur proposons de l’hybride humain/IA. Mais ça dépend aussi du budget qu’ils veulent mettre", conseille le cofondateur d’eKonsilio.

 

L’agent IA, par sa nature trans­versale entre les différentes activi­tés d’une concession, devient "le porte‑étendard" de l’intelligence artificielle dans la distribution auto­mobile. Mais l’IA s’est aussi appro­prié d’autres activités comme celles du pricing et de l’inspection, où des entreprises sont parvenues à se faire un nom comme WeProov, Carviz (filiale de Bee2link) et Autobiz.

 

Ré­volution incontournable, il est fort probable que les avancées en la ma­tière se poursuivent, avec, en toile de fond, de nouveaux domaines d’acti­vité potentiels qu’il faudra surveiller, pour ne pas se faire dépasser.

 

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