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L’avenir flou des ateliers dans les concessions

Publié le 8 novembre 2022

Par Louis Choiset
10 min de lecture
Après avoir été chamboulé par la crise sanitaire, le secteur de l’après‑vente, désormais frappé de plein fouet par l’inflation, se prépare à la révolution électrique. Selon les chiffres du cabinet GiPA, la rechange indépendante a déjà dépassé son allure de 2019, alors que les constructeurs ne l’ont pas encore rattrapée. Une tendance qui inquiète certains, d’autres beaucoup moins.
Dans la tourmente depuis la crise sanitaire, l’après‑vente dans les concessions prépare son avenir.

En pleine convalescence après la pandémie mondiale, voilà que le marché de l’après‑vente automobile doit déjà faire face à de nouveaux défis. Parmi eux, on distingue en priorité l’inflation occasionnée par la pénurie de composants et l’électrification du parc automobile. Selon une récente étude menée par le cabinet de conseil Roland Berger et l’Association européenne des équipementiers automobiles (Clepa), trois scénarios ont été distingués en ce qui concerne l’avenir en électrique. 

 

Le plus radical fait état d’une percée rapide de la mobilité électrique, avec une part des véhicules électriques dans les ventes totales qui pèserait 82 % en 2030, avant d’atteindre les 100 % en 2035. Le deuxième fait l’hypothèse d’une part de l’électrique qui progresserait moins vite à hauteur de 68 % en 2030. Dans le dernier scénario, cette part pourrait être touchée par de nombreuses contraintes comme la hausse des coûts. Elle ne serait alors que de 53 % en 2030, pour atteindre les 99 % en 2040. Dans les trois cas, les acteurs plus exposés à cette montée de l’électrique, à court terme, sont les constructeurs et les ateliers situés dans les villes soumises aux ZFE. 

 

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Matthieu Simon, expert du secteur automobile au sein du cabinet Roland Berger, détaille : “Ces trois scénarios, qui sont inévitables, montrent tout de même qu’il reste environ 10‑15 années avant que l’électrique ne représente la totalité des ventes. La gestion de cette dizaine d’années sera différente selon les acteurs. Les concessionnaires seront touchés plus rapidement étant donné qu’ils traitent des véhicules plus jeunes. Dans le schéma de l’aftermarket, ils s’occupent des véhicules entre 0 et 5 ans d’âge, il y aura alors forcément une montée plus rapide des véhicules électriques dans les ateliers. Les constructeurs doivent donc se préparer avant. De plus, il y aura une distinction entre les territoires soumis aux ZFE comme Paris (qui en 2024 ne pourra plus accueillir de motorisations diesel et en 2030 plus de moteurs thermiques) et les villes plus petites exemptes de ZFE, où il sera possible de rouler plus longtemps avec des véhicules thermiques.

 

Selon le cabinet, l’après‑vente devrait donc se complexifier avec des garages entièrement spécialisés dans l’électrique aux alentours des grandes villes. D’autres, plus éloignés des restrictions imposées par les ZFE, tenteront de faire survivre le thermique pendant que certains feront valoir leur capacité à maîtriser la double compétence.

 

 Autre conséquence de l’électrification accrue du parc automobile, le bouleversement des différentes catégories de produits sur le marché de la rechange et les rôles des entreprises qui y opèrent. Selon Roland Berger et le Clepa, les véhicules électriques offrent un potentiel de vente inférieur d’environ 30 % sur les composants traditionnels du marché de la rechange par rapport aux véhicules thermiques. Les opérations de vidange étant évidemment en première position. 

 

Les opportunités de l’électrique

 

En contrepartie, l’électrification ouvre de nouvelles portes aux différents équipementiers et industriels. “Par exemple, les fabricants de pièces peuvent réorienter leur portefeuille vers des composants spécifiques aux batteries ou élargir leur modèle commercial en les reconditionnant et en les remettant à neuf “, ajoute Matthieu Simon.

 

 Alors que l’usage d’une plateforme électronique et de connectivité s’avère indispensable pour la gestion complexe des logiciels et des données des véhicules électriques, une autre opportunité serait de mettre sur place une offre de solutions de diagnostic des batteries. 

 

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Une collaboration avec des spécialistes de la batterie peut être bénéfique pour toutes les parties prenantes selon l’étude. Enjeu majeur de l’après‑vente VE, la batterie semble être une réelle opportunité pour les acteurs de la rechange. Structure du véhicule électrique et coûteuse, celle‑ci est un élément qui pourrait être essentiel pour les réparateurs. 

 

Autour de la batterie, il y a un enjeu pour l’après‑vente. Des ateliers de réparation de batteries commencent à voir le jour dans les réseaux des marques. Par exemple, Nissan en a inauguré un dans les Yvelines. C’est une activité qui commence à s’implanter au fur et à mesure que le parc électrique s’accroît “, soutient Jérôme Daumont, président du groupe de distribution Altaïr. Pour autant, ce service demande des investissements élevés et surtout des réparateurs formés à ce nouveau métier. 

 

Il faut dimensionner le nombre de réparateurs par rapport au business existant. Cela demande des investissements importants entre les câbles adaptés, les éléments de sécurité et les outils spécialisés pour détecter les modules défectueux, etc. Sans compter la formation spécifique de certains collaborateurs sur ce nouveau métier. C’est pourquoi nous prenons souvent des électromécaniciens que nous reformons spécialement pour la réparation des batteries. Certains voient l’arrivée de l’électrique avec plus d’inquiétude que d’autres, personnellement, je vois ça avec beaucoup d’intérêt”, explique Jérôme Daumont. 

 

Un réveil difficile pour les constructeurs après la léthargie due au covid 

 

Afin de mieux se pencher sur l’avenir, il faut déjà regarder dans le rétroviseur. Le marché de l’après‑vente a connu plusieurs phases différentes depuis la pandémie mondiale. Après un arrêt en 2020, l’année suivante fut propice aux rattrapages de l’activité avec plus d’entrées dans les ateliers. L’apport du contrôle technique ayant également étayé les ateliers sur le second semestre 2021. Pour autant, insuffisant pour atteindre les chiffres d’une année classique. 

 

Selon le dernier baromètre Mobilians-Solware, au premier semestre 2022, les chiffres d'activité dans les ateliers étaient en hausse par rapport à 2021 (+5,4% en mécanique et +12,7% en carrosserie). Une hausse qui s'explique en partie par l'inflation du coût des pièces et qui s'est estompée au courant de l'été 2022.  

 

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Fin août, les chiffres d'activités sont descendus à -5,9% en mécanique et plus que +6,7% en carrosserie. Pourtant, aujourd'hui, en termes de valeur, le marché de l’après‑vente dans les ateliers a quasiment rattrapé le niveau de 2019.

 

 “Il faut cependant noter le décalage entre les réseaux des constructeurs et les indépendants. Ces derniers se trouvent en meilleure posture qu’en 2019. Ce qui n’est pas le cas pour les réparateurs agréés. Cela s’explique par le fait que la population n’a pas acheté de voitures neuves sur cette période et le vieillissement du parc leur a été fatal. Selon nos statistiques, leur part de marché en volume ne progresse pas”, explique Odette Dantas, directrice générale adjointe du cabinet GiPA France.

 

Le marché de l’après‑vente des constructeurs paie le prix du contexte inflationniste 

 

Une tendance encourageante pour le marché, alarmante pour les réseaux des constructeurs. En outre, si la crise du Covid 19 est passée, ses effets secondaires persistent. Notamment ceux liés à la hausse des prix des matériaux et des matières premières. 

 

L’inflation est dès lors la nouvelle infection de l’ensemble du secteur. Le marché français avec ses 2 millions d’immatriculations de voitures semble désormais appartenir au monde du passé. Cette année, le marché devrait à peine atteindre 1,5 million d’unités. Un manque d’environ 500 000 véhicules neufs qui va affecter fortement les réseaux des marques. Au fur et à mesure que les véhicules vieillissent, ils s’éloignent des ateliers des constructeurs. 

 

Cette problématique soulève alors de nouveaux enjeux pour ces derniers. “La politique actuelle des constructeurs est donc d’améliorer la rétention des véhicules plus anciens. Afin de capter cette clientèle souvent plus regardante sur l’aspect prix, nous avons proposé des offres plus segmentées”, annonce le président d’Altaïr. 

 

Fidéliser en après‑vente, un objectif primordial pour les constructeurs qui voient le vieillissement du parc profiter aux acteurs indépendants. “L’obstacle des réparateurs agréés, c’est le prix. Il leur faut trouver des solutions pour conquérir ce parc vieillissant et ramener les clients dans les ateliers, quel que soit l’âge du véhicule, explique Odette Dantas. Avec l’arrivée de l’électrique, il y aurait naturellement une fidélité plus importante avec ces véhicules qui pourrait bénéficier aux constructeurs. Cependant, certains d’entre eux vendent des véhicules électriques sans avoir de réseau. C’est ce qui profite aux indépendants.

 

Les réseaux des marques demeurent optimistes 

 

Alors, les indépendants sont‑ils réellement en train de prendre le dessus sur le marché ? Selon une étude de YouGov réalisée en août 2021 pour Le Journal de l’Automobile, 39 % des Français interrogés ont choisi les garages indépendants pour leur dernier entretien contre 34 % chez les concessionnaires. 

 

Jérôme Daumont préfère nuancer cette tendance : “La première cause d’entrée en réparation, c’est le pneumatique. Un marché sur lequel les indépendants sont les plus présents. C’est une opération moins technique où le client est moins fidèle et aura tendance à regarder les comparateurs de prix. Mais dès lors qu’il y a une intervention importante, le client fait plus confiance aux réseaux des marques. C’est une clientèle que nous voyons venir pour ces grosses opérations mais qui disparaît pour les plus courantes comme les pneus, les essuie‑glaces, etc.

 

 Selon le président d’Altaïr, la prise en compte de l’âge du véhicule dans les chiffres laisse de côté une donnée non négligeable. Lorsqu’un client achète un véhicule neuf chez un constructeur, ce dernier n’a pas de mal à le garder dans le réseau de marque pour le fidéliser à l’après‑vente. 

 

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Seulement, lorsque ce même client revend son véhicule à un particulier ou s’il le fait racheter par un groupe de revente VO, il passe entre les mains d’un second possesseur. Celui‑ci a ses habitudes et a donc assez peu de raisons de revenir chez le constructeur pour l’entretien. 

 

C’est là que l’on perd une partie importante de notre clientèle. Selon moi, ce n’est pas tant l’âge du véhicule qui rentre en compte mais le changement de propriétaire qui nous fait perdre un client, soutient Jérôme Daumont. Nous voyons aujourd’hui un allongement des durées de détention chez nos clients. Si nous travaillons bien, la clientèle, à qui nous avons vendu des voitures, restera plus longtemps dans nos réseaux. Globalement, les réseaux de distribution ont réalisé des progrès sur le véhicule d’occasion. Sur ce marché, certains marchands ont disparu à cause des pénuries de VO et la clientèle peut émettre certains doutes en termes de fiabilité sur les ventes de particulier à particulier sujettes parfois aux arnaques. C’est une opportunité pour les constructeurs qui parviennent à mieux fidéliser les acheteurs en après‑vente lorsque le véhicule d’occasion vient de chez eux. Dans une certaine mesure, avec ces effets‑là, nous devrions mécaniquement arriver à améliorer notre rétention sur les véhicules plus anciens. Tous ces éléments mis bout à bout font que je ne suis pas forcément inquiet pour notre avenir.

 

 “Aujourd’hui, on ne peut pas rester attentiste", somme Odette Dantas. Les différents enjeux du marché de l’après‑vente forgent chaque acteur à demeurer proactif malgré les interrogations sur l’avenir du secteur.

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