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Financement automobile : vers un changement de modèle

Publié le 16 mars 2023

Par Catherine Leroy
13 min de lecture
Le financement automobile tient le cap. Mais derrière cette apparente tranquillité, le secteur se prépare à de profonds bouleversements. La rentabilité des partenariats, la révision de la directive sur le crédit aux consommateurs et les changements de contrat pourraient modifier la donne.
financement automobile
Le secteur du financement automobile se prépare à de profonds bouleversements. (© 88studio / adoble.stock.com)

C’est une petite révolution qui attend le secteur du financement automobile. D’ici quelques semaines, la révision de la directive sur le crédit aux consommateurs sera adoptée, normalement pendant la présidence suédoise de l’Union européenne, puis transposée dans le droit national. Dans la ligne de mire du législateur européen, certaines pratiques qui se sont développées comme les crédits fractionnés, les produits de financement du type "achetez maintenant et payez plus tard". Mais surtout, la LOA devrait entrer désormais dans le champ de la directive avec l’objectif de plafonner les coûts. Jusqu’à présent, la transposition de la directive, qui datait de 2008, s’était traduite par la loi Lagarde, qui se voulait plus stricte dans l’encadrement du crédit à la consommation que la directive.

 

Ainsi, le coût du crédit, quelle que soit la technique utilisée (LOA ou crédit), devait déjà figurer dans tous les contrats, mais pas forcément le TAEG. La LOA était de fait exclue de ce principe. Avec la révision de cette directive, la LOA sera donc traitée peu ou prou de la même manière que le crédit, avec une notion de taux et donc l’application du taux d’usure que subit notamment le crédit classique.

 

Un taux pour la LOA

 

Le texte de la directive révisée n’est toujours pas communiqué. Pour l’instant, les discussions techniques sont en cours avec un élément essentiel pour l’instauration de ce taux : prendre soin à ce que seuls les éléments financiers soient intégrés dans l’assiette d’un éventuel TAEG pour la LOA et non les services additionnels tels que l’entretien du véhicule ou les extensions de garantie qui restent facultatifs pour le client final.

 

Étienne Royol, directeur commercial des marchés auto, loisirs et équipement de la maison de Crédit Agricole Consumer Finance

 

 

Si les acteurs de la location longue durée poussent un soupir de soulagement, ces derniers craignant un temps être intégrés dans la réglementation, la nouvelle disposition crispe cependant les établissements financiers présents sur le secteur de l’automobile. "La réglementation doit apporter une meilleure protection pour le consommateur et nous ne pouvons que nous inscrire dans ce mouvement, affirme Étienne Royol, directeur commercial des marchés auto, loisirs et équipement de la maison de Crédit Agricole Consumer Finance. Mais le problème actuel reste les taux de refinancement toujours en hausse et un taux d’usure qui ne progresse pas à la même vitesse. Il ne faut pas oublier les bénéfices apportés par la LOA ballon, qui a permis une meilleure rotation des clients, les cycles de fidélisation…"

 

Question de rentabilité

 

Cette problématique du taux d’usure reste, en effet, l’une des difficultés du secteur. Même si le gouvernement a modifié la périodicité de son calcul en le mensualisant, sur le premier semestre 2023, jusqu’au début du mois de juillet.

 

Christophe Michaëli, directeur du marché automobile de BNP Paribas Personal Finance

 

"La hausse du coût de refinancement reste plus importante que celle du taux d’usure. Certes, la nouvelle fréquence de calcul va atténuer le problème, mais la correction des taux d’usure prendra encore de nombreux mois. Le déséquilibre va donc se poursuivre", observe Christophe Michaëli, directeur du marché automobile de BNP Paribas Personal Finance.

 

Premier dans le paysage du financement à mettre en lumière cette problématique de la stagnation du taux d’usure par rapport au taux de refinancement, il est désormais rejoint par d'autres acteurs. "La France adore se faire peur, confirme Jean Achard, directeur du réseau et du développement pour les marchés automobile, moto et véhicule de loisirs chez Financo. Normalement, la règle veut que l’écart entre le taux de refinancement (achat) et le taux d’usure (vente), en matière de finance, atteigne 4 points. En 2019, cet écart s’élevait à 5 points, mais depuis fin 2022, nous sommes entre 2 et 2,5 %. Comment rémunérer les partenaires, les commerciaux, couvrir le risque, le refinancement, le coût de nos fonds propres et nos structures avec un écart aussi faible ? "

 

Partage de la valeur

 

Cette problématique de la rentabilité du crédit classique se pose pour toutes les sociétés de financement. Bridé par le taux d’usure et celui du refinancement, il ne reste que peu de marge de manœuvre et encore moins lorsqu’il s’agit de rémunérer un intermédiaire comme le sont les groupes de distribution.

 

"Pour partager la valeur encore faut‑il en créer et que toutes les parties s’y retrouvent: le financeur, le distributeur mais aussi le client", fait remarquer Étienne Royol. Or, cette création de la valeur a, de l’aveu de tous les acteurs du marché, été compliquée tout au long de l’année 2022 avec même une rentabilité négative sur le second semestre.

 

"Il est vrai que le décalage entre le taux d’usure et la hausse rapide des coûts de refinancement nous a fait vivre une période délicate avec une certaine inertie de nos revenus, situation qui va s’améliorer avec la modification de la formule des taux d’usure. Le fait que la LOA sera prochainement soumise à la réglementation sur les taux d’usure permettra de jouer à armes égales et contribuera à redorer le blason du crédit classique, qui a par ailleurs bien des avantages pour le client", estime Pierre‑Marin Campenon, directeur des partenariats pour Younited.

 

Une option pour la location financière

 

Alors que le taux d’usure et la directive sur le crédit à la consommation doivent justement servir de protection du consommateur, celui‑ci se détourne de cette technique, pour se diriger vers la location avec option d’achat. La rentabilité du crédit pose question. "Le sujet est bien d’augmenter les prestations associées au financement et donc la manière d’apporter plus de valeur au contrat pour garantir une stabilité de la rémunération de nos partenaires", fait remarquer Ludovic Van de Voorde, directeur général de CGI Finance.

 

Mais de l’aveu de tous, si les contraintes sur la LOA deviennent aussi importantes, les acteurs devraient privilégier la location financière (type LLD), qui reste encore en dehors du champ d’action de la réglementation. Une mutation qui s’était d’ailleurs déjà produite après 2008, lors de l’encadrement plus strict du crédit.

 

Marché en hausse

 

Le bilan de l’ASF au titre de l’année 2022 montre clairement l’accélération de cette tendance. En valeur, le financement des véhicules neufs et d’occasion a progressé de 6 % pour atteindre 15,1 milliards d’euros.

 

Dans le détail, l’accès au marché du neuf a généré 9,4 milliards d’euros de production (+3,7 %). Pour autant, la lecture des volumes met en lumière une autre tendance. Au global, les dossiers de financement des voitures neuves des particuliers ont baissé de 2,8 % pour atteindre 709 233 unités.

 

 

"Le marché du financement est plutôt bon, assure Christophe Michaëli. Il bénéficie de la hausse des prix des voitures neuves de l’ordre de 15 % en moyenne. Cette inflation accroît la pression sur le pouvoir d’achat des ménages pour qui le financement reste la seule solution."

 

De fait entre 2021 et 2022, le montant moyen financé par les particuliers pour l’acquisition d’une voiture est passé de 15 115 euros à 16 581 euros, soit une hausse de 9,6 %. Cette hausse du prix du dossier moyen permet aux sociétés de financement de montrer un certain dynamisme commercial. Toutes avancent des augmentations des montants moyens financés compris entre 1 500 et 2 000 euros.

 

 

"C’est certain, l’année 2022 s’est montrée positive sur beaucoup d’aspects: la volumétrie auto, moto et loisir, le ticket moyen, la performance des assurances et le coût du risque. Mais il faut admettre que la rentabilité n’a pas été à l’objectif sur l’année, principalement à cause de la contre‑performance sur la seconde partie de l’année", reconnaît Jean Achard.

 

 

 

Changement de modèle

 

C’est donc dans ce contexte de rentabilité serrée qu’une seconde difficulté va bientôt s’ajouter. Celle de la transformation du modèle de distribution vers des contrats d’agent pour certaines marques comme les premiums et les véhicules utilitaires de Stellantis, la commercialisation des véhicules électriques pour le groupe Volkswagen, Mercedes‑Benz ou encore BMW.

 

"La lecture de ces modifications de contrat reste très complexe. Le seul point important est la manière dont les distributeurs automobiles vont continuer à travailler avec la captive de leur constructeur", éclaire Ludovic Van de Voorde.

 

Ludovic Van de Voorde, directeur général de CGI Finance

 

Ces évolutions des contrats n’ont pas encore entraîné, selon nos informations, de redirection automatique du client vers la captive du constructeur. Mais ils sont au cœur des préoccupations des sociétés de financement. Celles se souviennent précisément de la stratégie adoptée par BMW lors du lancement de l’i3 en 2013.

 

Commercialisé sous contrat d’agent, le premier modèle électrique de la marque resserrait très sévèrement les possibilités de financement externes à la captive. Concrètement, la marque imposait le paiement de la voiture aux sociétés indépendantes avant sa livraison.

 

Nouvelles chaînes de valeur

 

"Cela va entraîner une nouvelle répartition de la chaîne de valeur entre le distributeur devenu agent (celui qui vend le crédit) et le constructeur devenu vendeur (celui qui facture), ce qui pourrait se traduire par une modification des marges de la distribution. Ces distributeurs deviendraient des points de livraison et des intermédiaires en opérations de banque. Les structures de coût actuelles pourront paraître disproportionnées au regard des futures marges. Sans compter que les constructeurs vendeurs ne vont pas abandonner la production de crédits aux sociétés financières indépendantes puisqu’ils factureront. Bref, une belle bataille en perspective et un besoin d’adaptation à ce nouveau schéma qui se précise", observe Jean Achard.

 

Jean Achard, directeur du réseau et du développement pour les marchés automobile, moto et véhicule de loisirs chez Financo.

 

 

Des propos relayés par Étienne Royol: "Comme l’agent ne doit plus avoir de stock, le constructeur va vendre en direct et logiquement diriger vers sa captive. Si les financements sont tous fléchés dans cette voie, je ne suis pas certain que ce soit très protecteur pour le consommateur. Nous verrons jusqu’où iront les uns et les autres."

 

Stratégie de captive

 

Pour l’instant, le sujet entraîne un certain attentisme. Mais les acteurs du marché restent assez confiants dans la capacité des distributeurs à garder la maîtrise du financement.

 

"C’est un sujet qui fait la part belle au multimarquisme. Ce levier n’a pas encore été réellement utilisé par les distributeurs, mais il est pourtant essentiel. Il est intéressant pour un groupe d’avoir des compléments de gamme entre les marques représentées. Les groupes les plus importants ont déjà travaillé sur ce sujet et la proximité des distributeurs avec les clients et la richesse du multimarquisme auront un impact important sur le choix des clients. C’est toujours le client final qui décide ! ", poursuit le directeur du marché automobile de BNP Paribas Personal Finance.

 

Mais c’est aussi la raison pour laquelle la plupart des sociétés de financement se positionnent également en tant que captives de constructeur. Dans l’automobile, BNP Paribas Personal Finance a récemment signé un contrat avec Mazda, démarré son partenariat avec les réseaux Jaguar Land Rover, en plus des accords avec Honda et Volvo.

 

Le client a toujours raison

 

En France, les marques du groupe Stellantis doivent finaliser l’accord avec Santander, issu de la réorganisation du financement du constructeur en Europe. CACF reste le financeur de Tesla, Ferrari, mais aussi de MG. Du côté des distributeurs, la banque est également partenaire de Cosmobilis, la holding du groupe de distribution BYmyCAR.

 

CGI Finance, de son côté, reste le partenaire de Hyundai et Kia. La société, mais aussi de groupes de distribution avec notamment Emil Frey France avec qui il possède une coentreprise.

 

"Les clients sont dans la logique de plébisciter le savoir‑faire des distributeurs pour les accompagner dans leurs achats de mobilité", avance Ludovic Van de Voorde. La société de financement propose également une offre en marque blanche à destination des réseaux. Gemy Automobiles Finance, lancé à l’automne 2022, en est un exemple. L’objectif, à chaque fois, est de préserver le contact avec le client.

 

"Les constructeurs ont une vision assez idyllique du client. Mais ce dernier n’appartient en réalité à personne. Et qui peut dire aujourd’hui que le client va choisir le financement du constructeur, si ce dernier considère qu’il peut avoir une meilleure offre ailleurs", se demande Christophe Michaëli.

 

L'open banking avance

 

Si le financement automobile est un marché plus que mature, il n’empêche pas l’arrivée de nouveaux acteurs. C’est le cas de Younited Credit. La banque a été créée en 2011, sous le nom de Prêt d’Union. Elle accueille des actionnaires aussi divers qu’Eurazeo, Crédit Mutuel Arkéa, AG2R La Mondiale, Bpifrance mais aussi Adevinta, la maison mère de la plateforme Leboncoin.

 

Cependant, Younited Credit adopte un positionnement différent de ses concurrents sur le marché automobile. La société de financement a fait du crédit instantané sa spécialité. Elle ne cache d’ailleurs pas ses ambitions dans le secteur. "Nous sommes positionnés sur le financement à la consommation par un prisme très technologique, l’open banking. Mais nous refusont par exemple de proposer des paiements fractionnés non régulés ou du crédit renouvelable", explique Pierre‑Marin Campenon, directeur général en charge des partenariats.

 

Pierre‑Marin Campenon, directeur général en charge des partenariats de Younited Credit.

 

L’open banking (banque ouverte), repose sur une technologie qui donne accès aux comptes bancaires des clients. Un moyen d'analyser leur budget de manière instantanée et d'accorder ou non un crédit.

La pratique peut être vue comme plus inclusive pour le consommateur. Mais elle permet aux sociétés de financement qui le pratiquent un taux d’acceptation plus élevé. Une aubaine pour les acteurs digitaux qui se basent sur un parcours 100 % en ligne. Lequel souffre de l’envoi de documents papier. C’est le cas notamment d’Autohero, filiale de vente de voitures d’occasion en BtoC d’Auto1 Group France.

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