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Carrossiers : une profession sous tension

Publié le 14 novembre 2022

Par Louis Choiset
10 min de lecture
Entre le prix des pièces et des ingrédients de peinture qui ne cesse d’augmenter, les ateliers de carrosserie doivent également faire face à la flambée du poste énergie. Le coût de la réparation explose et les professionnels engagent un bras de fer avec les assureurs et le gouvernement pour trouver des solutions.
Selon SRA, depuis le premier semestre 2019, le coût des réparations a augmenté de 15,2 %.

Le salon Équip Auto touche bientôt à sa fin, ce vendredi 21 octobre 2022, au parc des expositions de la Porte de Versailles. Les visiteurs se dirigent peu à peu vers la sortie. Au milieu de toute cette agitation, attablé à son stand, Jean‑Marc Donatien, président des carrossiers de Mobilians, refait l’histoire du métier : "Il y a plus d’un siècle, un réparateur s’occupait des carrosses. Il prenait ce qu’il trouvait pour réparer une roue, une partie de la coque du carrosse, il n’y avait pas de production de pièces. Il prenait de l’ancien pour faire du neuf. Ce n’étaient pas des remplaceurs, mais bien des réparateurs. C’est pourquoi nous sommes le premier acteur des services de l'après-vente automobile à être écoresponsable."

 

Depuis, ce monde a bien changé. Au cours du 20e siècle, un marché de vente de pièces neuves a vu le jour. Accompagné d’un certain nombre de réglementations et de normes, ce dernier a contraint les réparateurs, sous la pression des stratégies d’acteurs, à se tourner vers le remplacement de pièces. "Lorsque l’on fait notre analyse sur les expertises, environ 70 % des pièces sont remplacées. Un taux qui augmente d’année en année, dû au fait de la présence de pièces technologiques et d’enjolivement", déclare Rodolphe Pouvreau, directeur de l’organisme professionnel SRA.

 

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Aujourd’hui, ce marché est frappé de plein fouet par l’inflation. Selon SRA, depuis le premier semestre 2019, la valeur du coût des réparations a subi une hausse de 15,2 %. Le prix des pièces représentant la part la plus importante de ce coût. Entre le premier semestre 2021 et celui de 2022, le prix des pièces constitue 51,4 % du coût de la réparation (38,2 % pour la main‑d’oeuvre et 10,4 % pour la peinture). 

 

Des prix qui ne cessent d’augmenter comme l’indique également le panier de pièces SRA, constitué à partir des prix des catalogues des constructeurs, prenant en compte les changements de génération des véhicules et l’arrivée des nouveaux modèles sur le marché. Ce dernier accuse une hausse du prix des pièces de 9,8 % sur les douze derniers mois. "Depuis 25 ans que je m’occupe du panier de pièces et je n’ai jamais vu de telles variations des tarifs sur une année. En 2022, presque chaque mois, tous les constructeurs que nous suivons changent leurs tarifs, explique Bruno Pelletier, conseiller finance en informatique chez SRA. Par exemple, pour une certaine marque, le prix d’un capot a augmenté de 177 %, entre les premier et troisième trimestres 2022. Soit une hausse de 556 euros HT. "

 

Face à ce contexte de crise, auquel s’ajoute l’urgence écologique, deux solutions sont mises en avant. D’abord, revenir le plus fréquemment possible à la base du métier qui reste la réparation, comme l’explique Rodolphe Pouvreau : "Il y a un intérêt commun à réparer plus. C’est une philosophie qui commence à entrer dans les réseaux de réparateurs ou d’experts. Mais il faut que les matériaux des pièces le permettent, que les compétences du réparateur soient suffisantes et que l’expert aille également dans ce sens‑là. Avec les soucis d’approvisionnement en pièces, d’inflation et d’impact carbone à réduire, nous avons tout intérêt à réparer davantage."

 

Les vertus de la pièce de réemploi

 

Concernant la deuxième opportunité, depuis 2017 et la mise en œuvre du décret PIEC, le gouvernement a accéléré sur l’utilisation de la pièce de réemploi. En effet, depuis le 1er janvier 2017, le réparateur est dans l’obligation de proposer une pièce issue de l’économie circulaire à ses clients. Une législation qui n’a pas encore montré son efficacité lorsque l’on sait qu’aujourd’hui, seulement 3,9 % des pièces utilisées lors de la réparation après sinistre sont des pièces de réemploi, selon Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs. "C’est un levier double, permettant à la fois de réduire l’empreinte carbone de la réparation automobile mais aussi de lutter contre l’inflation, car le différentiel de prix entre une pièce neuve et une de réemploi peut aller jusqu’à 50 %. Développer cette économie circulaire, c’est essentiel pour diminuer le poids des pièces détachées dans le coût de la réparation et donc pour lutter contre l’inflation", ajoute Franck Le Vallois.

 

De par l’origine même du métier, les premiers acteurs de la pièce issue de l’économie circulaire sont les réparateurs. Ces derniers engagent alors une obligation de résultat et sont en première ligne dans le champ des responsables en cas de problème. "Dans le cas d’une pièce de réemploi comme d’une pièce neuve, la responsabilité ne repose pas sur les épaules de l’assureur, ni de l’expert ou même du recycleur. Si en sortant du garage, la voiture est bien réparée, c’est de la responsabilité du réparateur, si elle est mal réparée, c’est donc également de sa responsabilité. Si le véhicule fonce dans un fossé et qu’il y a quatre morts, c’est la case prison pour le réparateur “, déclare Jean‑Marc Donatien, par conséquent satisfait des demandes de Mobilians entendues dans le cadre de l’arrêté PIEC. Dans le cas des PIEC et notamment des pièces d’occasion, le réparateur a la capacité de s’exonérer de proposer au client des pièces issues de l’économie circulaire. C’est dans le cas où il aurait un doute sur la sécurité de sa réparation ou sur les effets sur l’environnement s’il remettait en circulation le véhicule avec des pièces de réemploi", ajoute‑t‑il. 

 

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Avec cette casquette de responsable, les réparateurs sont d’autant plus attentifs aux limites des pièces issues de l’économie circulaire. Ce marché, qui pourrait attirer du monde, soulève certaines interrogations sur la provenance des pièces, avec une chaîne des responsabilités qui pourrait être difficile à suivre en cas de dommage. "Tout ce que nous demandons, c’est un minimum de traçabilité objectivée des fournisseurs de pièces issues de l’économie circulaire. Aujourd’hui, nous avons des opérateurs fiables et conformes, essentiellement des centres agréés VHU, mais si demain, on se dirige trop vers une dérégulation, une libéralisation des marchés comme on a pu le voir avec les pièces captives, on ne sait pas qui va entrer dans le marché français et européen, combien il y aura de distributeurs intermédiaires et la provenance de la pièce", prévient le président des carrossiers de Mobilians.

 

Face aux difficultés financières que rencontrent les carrossiers, Mobilians est sur tous les fronts. L’organisation patronale ne lâche pas les assureurs afin d’obtenir des améliorations dans le travail des carrossiers. "Il faut donner les facultés aux professionnels de faire des réparations de sécurité, de qualité et de durabilité. Fin 2021, début 2022, nous avons connu pour la première fois des renégociations tarifaires un peu plus importantes que ce que nous avions coutume de voir en fin d’année et en début d’exercice sur la décennie précédente. France Assureurs a vraiment joué le jeu", rapporte Jean‑Marc Donatien. 

 

Les assureurs en mission

 

Une satisfaction qui fut vite effacée suite au conflit en Ukraine et la répercussion sur le gaz et l’électricité. Cependant, de leur côté, les assureurs agissent également pour protéger le pouvoir d’achat de leurs assurés. C’est la ligne directrice de l’engagement pris auprès du gouvernement, dont l’objectif est justement d’amener tous les acteurs économiques à amortir les effets de l’inflation en faveur des Français. C’est pourquoi le secteur de l’assurance a été sollicité par Bercy.

 

"Les assurances du quotidien comme l’assurance automobile peuvent être perçues par nos concitoyens comme une dépense subie. Pour un assureur automobile, agir contre l’inflation, c’est agir pour infléchir l’évolution du coût de la réparation après sinistre qui ne cesse d’augmenter depuis plusieurs années, avec même une accélération sur la période récente de + 10,4 % au 3e trimestre 2022", explique Franck Le Vallois.

 

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Pour cela, en plus de la pièce issue de l’économie circulaire, plusieurs pistes de réflexion et de travail avec le ministère de l’Économie et des Finances sont évoquées concernant le coût des pièces détachées. "Il y a un certain nombre de leviers que nous pourrions activer, essentiellement pour le cas de l’augmentation du prix des pièces détachées. Lutter contre le monopole des constructeurs sur les pièces visibles telles que la carrosserie ou les optiques, c’est une position que nous portons depuis plusieurs années et qui a été partiellement entendue l’année dernière avec la loi climat et résilience", annonce le directeur général de France Assureurs.

 

Ces dispositions ne seront mises en œuvre qu’à partir de janvier 2023 et n’auront pas un effet immédiat, étant donné que la protection du design des pièces dure désormais 10 ans. "Cela reste encore long, même si au moins, les choses sont enclenchées. Notre idée n’est pas de supprimer cette protection du design, mais d’en rendre la durée plus raisonnable, autour de 5 ans", ajoute‑t‑il. 

 

Un secteur en danger

 

Si toutes ces mesures commencent à être prises, c’est qu’il y a urgence pour le secteur de la carrosserie. L’ensemble de ce contexte inflationniste pourrait mettre certains acteurs de la branche en danger. Les carrossiers agréés pourraient être les plus exposés selon Christophe Bazin, secrétaire général et chargé de missions au sein de la FFC. "Les volumes du carrossier agréé dépendent de la volonté de l’assureur de lui en fournir. S’il ne les a pas, il risque de mourir, car il n’a pas été habitué à aller chercher du volume tout seul. De plus, les agréés ont souvent de plus grosses structures humaines. Ils sont également beaucoup plus fragiles s’ils se retrouvent à avoir un refus des assureurs d’augmenter les taux horaires. Il y en a qui ont de très grosses carrosseries avec des agréments et si le château de cartes s’écroule, c’est très dangereux pour eux. Les non agréés, au contraire, sont déjà dans la démarche d’aller faire du commerce, chercher des marchés et du produit pour remplir leur atelier."

 

Pour ne pas sombrer, il reste la diversification. Certains réparateurs sauvent les meubles en ajoutant d’autres activités à la carrosserie. "Certains faisaient purement de la carrosserie et se mettent à faire du vitrage, d’autres font de la mécanique, louent des voitures, vendent des véhicules d’occasion, font du dépannage ou du débosselage sans peinture. Il y a une diversification qui s’est structurée autour de la carrosserie”, ajoute Christophe Bazin, qui, au sein des adhérents de la FFC, a déjà vu mourir une carrosserie. “Une seule parmi mes adhérents m’a annoncé qu’elle n’allait pas pouvoir continuer jusqu’à la fin de l’année. Elle était implantée dans un milieu rural dans lequel il est impossible de négocier quoi que ce soit, car sans concurrence."

 

Sur le stand Mobilians du salon Équip Auto, Jean‑Marc Donatien préfère rester optimiste : "Le carrossier est solide, il s’accroche depuis des années avec toutes les évolutions techniques, sociétales et procédurales qui ont eu lieu. Le dernier des petits carrossiers du fin fond de la Creuse, qui a un compagnon, pas de multisite et sans outil de chiffrage, peut se retrouver toujours debout 50 ans plus tard."

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