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Industrie

Transition énergétique : les équipementiers payent l’addition

Publié le 2 octobre 2025

Par Mohamed Aredjal
6 min de lecture
Secoués par l’effondrement de la demande et une électrification mal maîtrisée, les équipementiers automobiles font face à une série de plans sociaux sans précédent. L’hémorragie d’emplois fait planer le spectre d’une désindustrialisation massive en Europe.
Plans sociaux chez les équipementiers automobiles : ZF, Bosch et Continental réduisent leurs effectifs, symbole de la désindustrialisation qui menace la filière auto en Europe. ©ZF
Plans sociaux chez les équipementiers automobiles : ZF, Bosch et Continental réduisent leurs effectifs, symbole de la désindustrialisation qui menace la filière auto en Europe. ©ZF

Depuis quelques mois, les annonces se multiplient. Et ne s’arrêtent plus. Chez les équipementiers automobiles, les plans de restructuration font désormais partie de l’actualité. Ce 1er octobre 2025, c’est ZF qui a confirmé la suppression de 7 600 postes dans sa division transmissions, soit un quart des effectifs de cette activité.

 

Le groupe prévoit plus d’un demi-milliard d’euros d’économies d’ici 2027 et compte privilégier les départs volontaires et la reconversion plutôt que les licenciements secs. Fin septembre, Bosch, premier équipementier mondial, a de son côté programmé 13 000 départs d’ici 2030, principalement en Allemagne. Ces coupes s’ajoutent aux 9 000 autres déjà actées depuis 2024.

 

Loin d’être un phénomène conjoncturel, c’est une contraction durable de l’emploi industriel qui s’est amorcée dans l’automobile, en particulier outre-Rhin. Selon le cabinet EY, près de 250 000 postes ont disparu en Allemagne depuis 2019, principalement dans l’automobile.

 

Continental et Schaeffler ont eux aussi engagé des plans d’économies, tandis que Volkswagen prévoit 35 000 suppressions sur le territoire allemand et Audi veut se séparer de 7 500 postes d'ici 2029. Cette réduction des effectifs traduit une fragilité commune : des usines surdimensionnées par rapport à une demande qui s’essouffle.

 

Un secteur pris en étau

 

Les difficultés sont multiples pour l’industrie automobile. Les immatriculations de véhicules neufs peinent à retrouver de l’allant en Europe, plombées notamment par les ventes de modèles électriques qui ont reculé en 2024 (-5,9 %). La transition énergétique, imposée à marche forcée, met les équipementiers sous tension.

 

D’un côté, ils doivent réaliser des investissements colossaux pour transformer leur outil industriel et, de l’autre, ils souffrent de la baisse des volumes et de la stagnation des ventes en Europe. Dans une récente étude, Allianz Trade pointe un secteur pénalisé par des surcapacités, des stocks coûteux et une rentabilité en chute libre.

 

À ces facteurs s’ajoute la montée en puissance des constructeurs chinois, qui gagnent des parts de marché, aussi bien sur le Vieux Continent que sur leur marché domestique, qui constituait un débouché important pour plusieurs marques européennes. Symbole de cette ambition croissante : ils n’hésitent plus désormais à délocaliser une partie de leur production, à l’instar de BYD, Leapmotor ou encore Chery.

 

En France, 15 000 postes supprimés en cinq ans

 

Face à cette spirale, les représentants de la filière haussent le ton. D’autant que la situation semble se dégrader de plus en plus pour les équipementiers. Selon le Clepa, plus de 76 000 suppressions de postes ont été recensées sur 2024-2025. Dans ce contexte, elle exhorte l’Union européenne à privilégier une neutralité technologique, en soutenant non seulement l’électrique mais aussi les hybrides, l’hydrogène et les carburants bas carbone.

 

La Fiev tire le même signal d’alarme en France. Dans une enquête menée auprès de ses adhérents, 70 % d’entre eux estiment qu’une partie de leur production nationale est menacée, et plus de la moitié constate déjà des transferts de commandes vers des pays à bas coûts.

 

Selon une étude Xerfi réalisée pour la PFA, l’industrie automobile hexagonale a perdu près de 15 000 emplois depuis 2020, dont une large partie chez les équipementiers. Le pays ne compte plus qu’environ 55 000 salariés dans ce segment, contre près de 70 000 avant la pandémie. Xerfi ajoute que la France a perdu la moitié de ses effectifs équipementiers en 15 ans…

 

Les fermetures d’usines et les restructurations en cascade expliquent cette érosion, à laquelle s’ajoute la pression des donneurs d’ordre qui privilégient de plus en plus des fournisseurs basés hors d’Europe. Ce déclin fragilise fortement le tissu industriel local et accentue la dépendance vis-à-vis de l’étranger.

 

Raison pour laquelle Jean-Louis Pech, président de la Fiev, plaide pour l’adoption rapide d’exigences de contenu local européen et pour un plan de compétitivité.

 

"Les récentes annonces de suppressions d’emplois par Bosch et ZF confirment malheureusement les nombreuses alertes que la Fiev n’a cessé de formuler […] Sans l’adoption rapide par l’Union européenne de mesures de contenu local européen, de telles annonces se multiplieront, avec leurs conséquences sociales et économiques pour les territoires", nous a fait savoir la fédération.

 

Bruxelles revoit sa copie

 

Pour rappel, sous la pression des États membres et des industriels, la Commission européenne a déjà avancé la révision de la réglementation 2035. La clause de revoyure, initialement prévue pour 2026, aura lieu dès la fin 2025. Le 12 septembre dernier, les constructeurs ont de nouveau rencontré les dirigeants européens dans le cadre du dialogue stratégique sur l'avenir de l'industrie. À l'issue de cet échange, l'institution s'est engagée à réexaminer "le plus tôt possible" l’interdiction de vente des véhicules thermiques à compter de 2035.

 

L’exécutif européen s’apprête à introduire des marges de flexibilité, notamment pour prolonger le rôle des hybrides rechargeables ou autoriser les véhicules dotés de prolongateurs d’autonomie au-delà de 2035. Deux groupes de travail vont plancher sur la production de petites voitures électriques abordables et sur la définition de la "neutralité technologique".

 

Mais ces propositions n’ont pas réellement satisfait les constructeurs et les perspectives à court terme restent moroses. Pour inverser la tendance, les économistes et les cabinets de conseil estiment qu’un véritable plan industriel reste incontournable. Allianz Trade propose de rationaliser les gammes de véhicules, de renforcer l’intégration verticale, d’investir massivement dans les logiciels et la R&D, et d’explorer de nouveaux marchés émergents.

 

Un avenir à reconstruire pour l’automobile européenne

 

L’étude confiée par la PFA au cabinet Roland Berger va plus loin en appelant à un ensemble de mesures pour enrayer l’érosion de l’appareil productif français. Pour éviter ce scénario, elle insiste sur trois priorités.

 

La première consiste à réduire l’écart de compétitivité avec les pays à bas coûts, en agissant sur le prix de l’énergie, en soutenant l’automatisation et la digitalisation des usines et en développant des matériaux décarbonés comme l’acier vert. La deuxième passe par un effort massif de modernisation et de R&D, afin de consolider les filières émergentes comme les moteurs électriques, l’électronique embarquée ou les logiciels de conduite autonome.

 

La troisième implique de structurer des filières d’excellence, en désignant des chefs de file industriels capables de fédérer les PME autour de pôles de compétences, et en conditionnant les aides publiques à des opérations de consolidation horizontale. Le rapport insiste également sur la nécessité d’une coopération européenne renforcée, autour de consortiums capables de rivaliser avec les géants asiatiques et américains.

 

Sans un tel sursaut, préviennent les experts, la mise en place de politiques de contenu local restera insuffisante et n’évitera pas la délocalisation de pans entiers de la chaîne de valeur. À l’inverse, une stratégie volontariste pourrait permettre de préserver l’emploi, et donner une nouvelle place à l’industrie automobile européenne dans la compétition mondiale.

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