Les constructeurs automobiles européens jouent leur avenir à Bruxelles face à l’échéance 2035
Le 12 septembre 2025, tous les dirigeants des constructeurs automobiles européens se retrouveront à Bruxelles pour une nouvelle étape du dialogue stratégique. Ce sera la troisième fois, cette année, que l'exécutif européen rencontre les patrons de l'industrie. Cette réunion marque une phase cruciale dans les négociations pour la clause de revoyure, mi-2026, qui doit permettre la révision du règlement européen.
L'urgence n'est pas feinte pour le secteur. Depuis 2019, les ventes sur le marché européen ne sont pas reparties. De 15 millions d'unités avant la Covid-19, les immatriculations ne devraient pas dépasser 12 millions cette année. "Trois millions de ventes : c'est l'équivalent des marchés italien et espagnol réunis", fait remarquer Antonio Filosa, directeur général de Stellantis, lors d'un entretien avec nos confrères des Échos.
Une industrie "en danger de mort"
Factuel, le constat est également partagé par Bruxelles. "L'industrie automobile européenne est en danger de mort", a averti Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission européenne, en mars dernier lors de la présentation d'un plan d'action pour le secteur.
Incertitudes économique, politique, réglementaire, technologique, les Européens repoussent l'achat de voitures neuves, qui plus est, si elles sont électriques. Alors que la part de ces motorisations devrait dépasser les 20 %, elle plafonne en réalité à 15,6 % en moyenne sur le continent.
Or, dans dix ans, c'est-à-dire demain à l'échelle de l'industrie automobile, les constructeurs seront obligés de ne vendre que des véhicules zéro émission. Sous peine d'amendes astronomiques. D’autant que les véhicules utilitaires sont logés à la même enseigne que les voitures particulières. En juillet dernier, Jean-Philippe Imparato, directeur pour l'Europe élargie de Stellantis, évoquait un risque de pénalités de 2,7 milliards d'euros pour le groupe, pourtant leader sur ce segment de marché.
Certes, les constructeurs ont d'ores et déjà obtenu un lissage du calcul de leurs émissions de CO2 sur trois années (2025-2027). Et si cette échéance semble à leur portée, au moins pour les émissions des voitures particulières, ce n'est pas le cas pour les utilitaires. D'ores et déjà, Antonio Filosa plaide pour un lissage sur cinq ans ! En tout cas, tous s'accordent pour dire que le prochain calendrier prévu pour 2030 est inaccessible. À cette date, les émissions de CO2 devront être une nouvelle fois divisées par deux pour atteindre la moyenne de 49 grammes.
Dans une lettre commune entre l'ACEA et le Clepa, les industriels ont déjà prévenu. "Respecter les objectifs stricts de réduction des émissions de CO2 des voitures et utilitaires pour 2030 et 2035 n’est tout simplement plus réaliste dans le monde d’aujourd’hui. La révision à venir des normes CO2 pour les voitures et utilitaires est une occasion de corriger le cap et d’ancrer dans la loi la flexibilité indispensable, une perspective industrielle et une approche guidée par le marché", précise le courrier envoyé début septembre à la Commission européenne.
Bataille de lobbyistes automobiles
Face à ce fossé entre le réglementaire et la réalité, la bataille fait rage. Cette troisième réunion au sommet engage d'un côté les associations environnementales, quelques équipementiers mais aussi deux constructeurs : Volvo et Polestar. Ces derniers ont écrit à Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, afin de ne surtout pas modifier l'objectif de 2035. Accompagnés de 150 entreprises (fabricants de batteries, opérateurs de recharge…), ces industriels appellent la présidente de la Commission "à ne pas reculer" sur l'échéance 2035.
Sur ce même plateau de la balance figure l'ONG Transport & Environment. Le 8 septembre 2025, celle-ci publiait une étude maison indiquant que, selon ses calculs, les trajectoires de vente de cinq des six groupes européens devraient leur permettre d’atteindre les objectifs de réduction de CO₂ fixés par la réglementation européenne.
Selon T&E, malgré un important écart de conformité au S1 2025, tous les constructeurs automobiles devraient être en conformité avec leurs objectifs de CO2 sur trois ans. Mercedes-Benz est le seul groupe automobile européen à être à la traîne par rapport aux objectifs de l’UE et devrait se mettre en commun.
Sur les sept premiers mois de 2025, les ventes de voitures électriques des six groupes ont progressé en moyenne de 38 %, estime T&E. Mais Mercedes-Benz, qui affiche un important retard, devra, d’après l’ONG, recourir à un "pooling" avec Volvo Cars et Polestar pour se mettre en conformité. L’organisation estime que les mesures de flexibilité adoptées en mai sur la cible 2025 seront responsables de la vente de deux millions de voitures électriques en moins sur la période.
Changer l'objectif ?
Les constructeurs réunis au sein de l'ACEA avancent un peu en ordre dispersé. BMW propose de repousser à 2050 l'interdiction des ventes de voitures neuves à moteur thermique dans l'UE, au lieu de 2035. "Les fabricants devraient tous tendre vers 2050" comme date butoir au lieu de 2035 comme fixé par la Commission européenne, a déclaré à l'AFP Walter Mertel, directeur financier du constructeur allemand.
Il est rejoint par Mercedes. Ola Källenius, président du constructeur mais aussi de l'ACEA, appelle à une "réalité check". Selon lui, la date butoir de 2035 est trop ambitieuse et risque de provoquer un effondrement du marché automobile européen. Il déclare notamment qu’"autrement, nous fonçons à toute allure dans un mur et le secteur pourrait s'effondrer" si la date n’est pas révisée.
Les deux constructeurs bénéficient d'un soutien de poids avec le chancelier allemand qui appelle l'Union européenne à "davantage de flexibilité" dans sa réglementation sur l'automobile électrique. "Nous tenons bien sûr fondamentalement à la transition vers la mobilité électrique", mais "il nous faut une réglementation européenne intelligente, fiable et souple", a déclaré le chancelier, en inaugurant le salon international de l'automobile à Munich.
Revoir le mode calcul des émissions de CO2
Retarder l'échéance de 2035 reste cependant une position difficilement acceptable par la Commission européenne, sans perdre la face. Pour éviter une volte-face trop brutale, l'ACEA se réunit le 9 septembre 2025 afin d'apporter une solution à l'exécutif européen entraînant le moins de critiques possible. L'idée majeure serait de revoir la manière de calculer les émissions et de passer d'une méthode à l'échappement des voitures à une évaluation du cycle de vie.
Prendre en compte l'utilisation d'acier à faibles émissions ou l'assemblage des modèles dans des usines fonctionnant à énergies 100 % renouvelables, mettre des bonus ou supercrédits pour les ventes de petits véhicules électriques... Tout est possible.
La prise en compte de l'incorporation de biocarburants ou de carburants synthétiques pourrait également faire partie des propositions des constructeurs. D'ailleurs, à la demande de l'Allemagne, la Commission européenne avait évoqué une prise en compte des carburants "neutres en carbone" sans aller plus loin pour l'instant.
Reste le sujet des hybrides rechargeables tout comme des modèles à prolongateur d'autonomie (REEV). Difficile à accepter pour Ursula von der Leyen, ces deux motorisations sont pourtant prônées par les constructeurs qui sont prêts à accepter une méthode plus sévère pour vérifier le taux d'utilisation en mode électrique de ces modèles.
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