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Distribution

Marc Bruschet, président des concessionnaires de Mobilians : "La guerre des prix est inévitable"

Publié le 12 juillet 2023

Par Catherine Leroy
9 min de lecture
Pour le président des concessionnaires de Mobilians, la progression du marché automobile français masque une tempête, qui se rapproche, portée par la flambée des prix des voitures neuves et l'arrivée des marques chinoises. Les constructeurs européens devront baisser leurs tarifs, quitte à contraindre leurs marges.
Marc Bruschet et guerre des prix voitures neuves
Pour le président des concessionnaires de Mobilians, la voiture d'occasion a été une béquille pour les réseaux en 2022. ©Mélanie Robin

Journal de l'Automobile : Quelle analyse faites-vous des immatriculations du premier semestre 2023 ?

Marc Bruschet : Que ce soit au premier ou deuxième trimestre, la progression du marché est stable, en réalité autour de 15 %. Sans différence fondamentale sur la globalité des canaux. Même si l'on peut se satisfaire de cette hausse, la réalité n'est pas très rassurante puisque la base de référence reste faible. N'oublions pas que le premier semestre 2022 s'affichait en baisse de 16 %. Donc, le bilan de cette première moitié de l'année 2023 reste inférieure de 4 % par rapport à 2021.

 

JA. : Cette progression a-t-elle été linéaire ?

M.B. : Non et c'est bien le danger. Au premier trimestre, les ventes à client final (particulier et société), ont augmenté de 16,8 % et de 14,4 % entre avril et juin 2023. Le ralentissement ne vient pas du segment des sociétés, mais surtout des particuliers. Ces ventes ont augmenté de 12,3 % contre 18,5 % entre janvier et mars. Plus inquiétante encore est l'anormalité des livraisons sur les deux derniers jours de chaque mois. Globalement depuis le début de l'année, les deux derniers jours du mois représentent 20 % des immatriculations totales. C'est juste énorme. On peut donc légitimement penser qu'une partie des immatriculations repose sur des anticipations d'immatriculations. A moins que cela ne relève de la magie ! Autre phénomène inquiétant : la différence entre l'évolution des commandes et des livraisons. Si les livraisons augmentent de 15 %, les commandes, au cumul des six mois, s'affichent entre -18 et -20 %. Certaines marques voient même leur carnet de commandes s'effondrer de 50 %.

 

JA. : A quel niveau voyez-vous le marché français en 2023 ?

M.B. : A ce jour je maintiens mes prévisions de marché à 1,650 million de véhicules.

 

JA. : Cette baisse des commandes s'est-elle aggravée au fil des mois ?

M.B. : Non, il est vrai que sur le mois de juin, le niveau des commandes s'est stabilisé. Voire même a progressé pour certaines marques. Mais l'explication tient essentiellement sur la mise à disposition de moyens financiers dans le commerce.

 

JA. : Ce sursaut montre-t-il la problématique du prix des véhicules neufs et la baisse du pouvoir d'achat des Français ?

M.B. : Sans aucun doute. La prise de conscience des constructeurs est aujourd'hui réelle. Nous voyons bien que nous ne sommes plus dans une pénurie d'offre même si, bien sûr, les constructeurs subissent encore des problèmes logistiques. La crise des semi-conducteurs n'est pas totalement terminée mais elle s'éloigne. Donc nous ne pouvons pas dire que le marché est bloqué par un manque d'offre. Ce qui grippe le marché, c'est la crise de la demande. C'est très clair. Pour débloquer le marché, les constructeurs devront baisser leurs prix, d'une manière ou d'une autre. Ils n'ont que deux choix : baisser les prix catalogue ou remettre de l'argent dans le commerce pour faire des rabais. Ce qui signifie qu'ils doivent sacrifier leur marge. La période du Covid, jusqu'à l’année dernière, leur a été très profitable mais ce moment est terminé.

 

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JA. : Cela sera-t-il suffisant pour faire repartir le marché ?

M.B. : Cela ne sera pas suffisant pour débloquer immédiatement le marché mais indispensable pour inverser la courbe négative des commandes que nous observons depuis 2022 et espérer un rebond en 2024.

 

JA. : Le marché va donc entrer dans une réelle guerre des prix ?

M.B. : Certainement. L'automobile neuve est devenue un produit de luxe. La mèche a été allumée par les marques chinoises et même pour Tesla et Dacia dans une certaine mesure. Puis d'autres marques chinoises entrent dans le jeu, comme BYD qui affiche désormais une gamme assez complète et propose même sur le marché chinois une entrée de gamme à 10 000 euros.

 

La concurrence chinoise va s'intensifier et la guerre des prix va véritablement commencer

 

JA. : Comment analysez-vous les mouvements opérés par Tesla sur leur prix catalogue ?

M.B. : C'est juste une question d'utilisation de l'outil industriel. Pour Tesla, l'année 2022 avait commencé par une hausse des prix car à cette époque, le mécano industriel de Tesla était en devenir avec notamment l'usine de Fremont en Californie qui tournait à plein régime. Mais celle de Shanghai n'était pas encore parvenue à sa vitesse de croisière et le site de Berlin était en cours de construction. Le calcul est donc simple : comme le constructeur n'avait pas assez de véhicules pour satisfaire la demande, les prix ont augmenté. En 2023, le schéma est différent puisque les trois usines fonctionnent à leur pleine capacité. Aujourd'hui, le problème est inverse. Pour saturer les capacités de production des usines, il faut augmenter la rotation et donc baisser les prix et la marge unitaire en compensant avec la hausse des volumes. Résultat, pour 44 000 euros aujourd'hui en France, le client a le choix entre une Tesla Model 3 et une Renault Megane E-Tech. Pour 2 000 euros de plus, il peut s'offrir une Model Y. Pendant ce temps, une MG 4 s'affiche à 32 000 euros, soit peu ou prou le même prix que la e-208.

 

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JA. : Mais le problème est différent pour les constructeurs chinois qui arrivent sur le marché européen et notamment français ?

M.B. : Effectivement. Depuis 2022, Les constructeurs chinois sont devenus les premiers opérateurs sur leur propre marché. Leur stratégie remonte au début des années 2000. A cette date, le gouvernement chinois a compris que le secteur automobile était stratégique pour eux mais qu'ils n'arriveraient pas à produire des moteurs thermiques. Ils ont alors obligé les constructeurs allemands et américains à créer des co-entreprises sur leur propre marché. Mais ils ont surtout compris que s'ils voulaient une industrie automobile propre, il fallait qu'elle soit propulsée par des moteurs électriques. D'ailleurs BYD est, à l'origine, un fabricant de batteries. Vingt ans plus tard, nous arrivons à la concrétisation de leur stratégie. Ils se positionnent en tête sur leur propre marché. Ils disposent d'usines qui tournent à plein régime, sur un marché intérieur dont le taux de croissance donne des signes de faiblesse, de l'ordre de 4 % contre 10 à 15 % il y a quelques années encore. De plus, le marché chinois est hyper concurrentiel. Désormais le relais de croissance à l'extérieur du pays est indispensable. Or, les deux plus gros marchés automobiles mondiaux restent les USA et l'Europe. Se positionner sur le marché américain est très difficile notamment à cause des règles protectionnistes mais aussi sur le plan culturel. Il ne reste que le marché européen. Nous avons décidé seuls de nous tirer une balle dans le pied en interdisant les voitures thermiques en 2035. Donc les constructeurs chinois vont investir l'Europe et de manière intelligente. Car BYD ne va pas uniquement importer des voitures chinoises mais il va produire en Europe. Le choix de l'usine se fera en fonction des subventions accordées par les gouvernements des pays susceptibles d'accueillir cette usine.

 

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JA : Les mesures annoncées par Bruno Le Maire seront-elles efficaces pour protéger l'industrie européenne ?

M.B. : Sans doute pas, d'autant qu'elles seront difficiles à mettre en œuvre. La mesure de l'empreinte carbone des voitures évoquée par Bercy consiste à prendre la moyenne des émissions des pays. Mais c'est la mesure de l'empreinte carbone des usines qu'il faut prendre en compte. Donc la concurrence chinoise va s'intensifier et la guerre des prix va véritablement commencer.

 

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JA. : Dans ce contexte de marché, comment se portent les réseaux ?

M.B. : L'année 2023 sera la quatrième année consécutive de crise du marché VP. Nous n'avons jamais connu une telle profondeur et durabilité dans une crise. Le choc pétrolier en 1974 a duré deux années. Quant à la crise de 2009, le redressement a débuté en 2011 avec les Juppettes et les Balladurettes.

 

JA. : Pourtant les niveaux de rentabilité des groupes de distribution ne sont pas mauvais ?

M.B. : Sans doute, mais en 2022 c'est le véhicule d'occasion qui a sauvé les réseaux. Cette année, l'occasion n'est pas orientée de la même manière. Globalement, le marché 2022 s'est terminé avec 5,2 millions de transactions, en retrait par rapport à 2021 qui comptait plus de 6 millions de ventes. Ce qui a constitué un record absolu. Mais le plus inquiétant dans les volumes de 2022, c'est le recul et le retour au niveau de marché de 2009. Cela n'a pas eu d'impact significatif sur nos résultats, car la valeur des véhicules a augmenté d'environ 15 %, mais le phénomène ne va pas durer. Les dirigeants du Boncoin et de l'Argus voient un marché VO à 5 millions d'unités. Je suis proche de cette vision. Jusqu'à présent, le prix moyen de transaction progressait en moyenne de 5 % par an. En 2021, la hausse s'est élevée à 15 %. Tout comme en 2022. Ce n'est pas tenable même si l'on considère qu'il y a un rattrapage des prix des véhicules neufs. Cette baisse du volume de transactions est déjà visible, tout comme le tassement des prix. La voiture d'occasion a été une béquille pour les réseaux en 2022. Ce ne sera pas le cas en 2023. Car, il va falloir sortir les véhicules de nos parcs.

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