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Distribution

L'essor des voitures sans permis

Publié le 28 février 2022

Par Christophe Bourgeois
13 min de lecture
[Abonnés] Le véhicule sans permis (VSP) a connu depuis trois ans une embellie sans précédent. Ses ventes ont presque doublé. Les principales raisons ? Une nouvelle clientèle, beaucoup plus jeune, un besoin de mobilité individuelle accru et des produits modernes.
Le secteur a bénéficié d'un important coup de projecteur avec le lancement de la Citroën Ami.

Le véhicule sans permis (VSP) doit une sacrée chandelle à l’Ami! Le quadricycle commercialisé par Citroën en 2020 et qui s’est écoulé à 9 183 exemplaires sur cinq marchés (France, Italie, Espagne, Portugal et Belgique) a permis aux VSP d’exploser. "En France, le marché est passé entre 2019 et 2021 de 12800 à 21973  unités, indique Philippe Colançon, fondateur du groupe Aixam (Aixam, Mega). 2021 a battu la période 2006-2007 qui représentait 15 000  ventes." Même tendance en Europe: les transactions ont progressé de 25 000 à 42 000  unités, portées, en dehors de la France, par l’Italie, le Benelux et l’Allemagne, qui vient d’assouplir sa réglementation sur ce type de véhicules. Les raisons d’un tel succès ? Plusieurs facteurs.

 

Le premier est indéniablement le lancement de la Citroën Ami. Tous les acteurs interrogés s’accordent à dire qu’elle a donné un coup de projecteur inespéré sur les VSP. "Parmi les quelque 22 000  immatriculations en France, l’Ami représente à elle seule pas loin de 30 %", indique Ludovic Dirand, directeur des ventes du groupe Ligier (Ligier, Ligier Pro et Microcar). Le deuxième est la profonde évolution de la clientèle. Un phénomène récent, porté lui aussi par plusieurs éléments. À commencer par le style des véhicules et la politique de personnalisation des constructeurs qui n’a rien à envier aux pratiques de l’automobile. "Nous sommes passés d’une clientèle populaire, rurale, bien souvent âgée, n’ayant pas le permis, à une clientèle de jeunes de 14 ans ou de jeunes citadins n’ayant pas le permis, mais à la recherche d’une mobilité individuelle", constate Philippe Dugardin, du groupe éponyme (Ford, Hyundai, Maserati, Mitsubishi, Land Rover‑Jaguar, Volvo) qui distribue les marques Ligier, Microcar et Chatenet (300 véhicules), dont certaines d’entre elles depuis vingt ans.

 

Les constructeurs proposent des gammes de véhicules au style moderne.

 

"En France, les 14-18  ans et les jeunes adultes représentent aujourd’hui 40 à 50 % des clients avec une forte disparité régionale", indique Ludovic Dirand. "Dans le Sud, principalement sur la Côte d’Azur, le VSP est devenu un moyen de mobilité tendance", complète Philippe Colançon. "Sur la concession de Cannes, 80 % de ma clientèle sont des jeunes" , constate Frédéric Delabrouille, directeur général du groupe Cavallari (Honda, Volvo, MG, Ferrari, Maserati, Kia, Lotus, Subaru) qui distribue les marques du groupe Aixam (200  VN en 2021, ambition: 280 en 2022) à Cannes, Nice (06) et Monaco (98) depuis 2019. "Chez moi, cette clientèle est passée de 0 à 30 % en l’espace de deux ans" , note de son côté Philippe Dugardin qui, en tant que concessionnaire dans le Nord, était jusqu’à présent habitué à une clientèle "traditionnelle".

 

La sécurité avant tout

 

La principale raison de cet achat est la sécurité. "Les parents ne veulent plus voir leurs enfants sur des scooters", constate Antoine Contardo, directeur du groupe champenois Yes My Car (Kia) et qui s’est lancé l’année dernière dans le VSP en reprenant un acteur historique, Ligier (ambition: 70  VN + 40  VO), à Reims (51). "En près de dix ans d’activité, je n’ai jamais eu à perdre de clients à cause d’accidents, relate un important distributeur de VSP. Nous avions d’ailleurs des airbags sur nos produits, mais le constructeur les a supprimés du catalogue, car nous n’avons jamais eu de retours avec des voitures dont les airbags s’étaient déclenchés." Aixam indique sur son site Internet qu’"en France, les VSP ont un très petit taux d’accidentologie, le plus faible taux du marché des véhicules à moteur, proche de 0,2 %".

 

Le marché du véhicules sans permis a presque doublé en seulement trois ans.

 

Le véhicule sans permis peut également dire merci à la pandémie. "La demande de mobilité individuelle a été très forte, appuie Philippe Colançon. En juin 2020, nous avons vu nos carnets de commandes s’envoler. Nous pensions que cette embellie était due à la fermeture de nos usines pendant le confinement, mais la demande n’a cessé de croître. Un phénomène que nous n’avions pas anticipé. Nous avons alors vu une nouvelle clientèle, celle des trentenaires, urbains, qui n’avaient pas leur permis de conduire, mais qui, ne souhaitant plus prendre les transports en commun, avaient besoin de mobilité."

 

A lire aussi : Aixam et ALD Automotive lancent l’offre LLD Aixam Lease

 

Enfin, les opérateurs du VSP séduisent une troisième typologie de clientèle qui, elle, n’évolue pas au fil des années, mais qui reste constante et qui permet de développer l’activité très rentable de la location, à savoir les personnes qui ont vu leur permis de conduire être suspendu suite à des infractions. "Fin de la décennie 90, notre clientèle était composée à 95 % de retraités, résume Philippe Colançon qui voit ce marché se transformer en profondeur depuis vingt ans. À la fin des années 2000, deux tiers d’entre elle était active et dix ans plus tard, elle est constituée à la fois de retraités, d’actifs et de jeunes, les deux derniers tendant à supplanter les premiers."

 

Un produit financé

 

Mais qui dit nouvelle clientèle, dit également évolution de la politique commerciale. "Nous avions jusqu’à présent une clientèle avec des revenus, certes modestes, mais avec peu de dépenses annexes, facile à capter et à financer", indique Ludovic Dirand. "Aujourd’hui, avec la clientèle jeune, nous avons affaire aux parents d’un milieu social élevé qui ont l’habitude de négocier leurs achats automobiles", observe Philippe Dugardin. Les VSP restent des produits chers, dont le tarif varie, selon les marques et les véhicules, entre 10 000 et 15 000 euros, soit deux fois le prix d’une Citroën Ami, même si cette dernière ne dispose pas de tous les attributs des VSP d’aujourd’hui. "70 % de nos ventes sont financées. Les valeurs résiduelles sont très importantes, note de son côté Frédéric Delabrouille. D’ailleurs, nous parlons toujours de budget mensuel, jamais de prix fixe."

 

 

Malgré ces évolutions, il s’agit pour tous les acteurs interrogés d’une activité très rentable. Selon les produits et leur positionnement tarifaire, la marge brute est d’environ 16 %, "marge qui peut être complétée par différentes primes, liées notamment à la qualité du service, qui peuvent majorer la rentabilité jusqu’à 5 %", précise‑t‑on chez Ligier. Cela représente selon les véhicules entre 1 500 et 2 000 euros de marge brute. "Comme nous sommes sur un marché de niche, nous sommes très vigilants sur la rentabilité de nos réseaux", indiquent les constructeurs. Un message reçu 5 sur 5 par les distributeurs automobiles qui voient dans cette activité un complément de revenus non négligeable dans un marché très porteur.

 

Un certain nombre d’entre eux, comme le groupe Cavallari ou Yes My Car, n’ont pas hésité à se lancer dans l’aventure. "Le VSP nous permet d’accroître notre offre de mobilité", appuie Frédéric Delabrouille. "Il permet également de fidéliser cette jeune clientèle au pouvoir d’achat non négligeable en les basculant à leur majorité vers un véhicule de notre portefeuille, ajoute Antoine Contardo. Nous travaillons d’ailleurs actuellement sur des offres de financement qui leur permettraient, une fois le permis en poche, de profiter plus facilement de nos voitures." "Comme nous touchons une clientèle avec un certain pouvoir d’achat, le VSP est une bonne porte d’entrée pour faire découvrir aux parents nos marques automobiles", complète Philippe Dugardin.

 

Vers des standards automobiles

 

Pour accompagner cette nouvelle clientèle, les constructeurs ont revu leur mode de distribution. C’est le cas du groupe Ligier. Sous la direction de Ludovic Dirand qui a fait toute sa carrière chez les constructeurs automobiles, le constructeur auvergnat a décidé de moderniser ses points de vente en s’inspirant de ce qui existe dans la distribution automobile. "Nous avons mis en place les Ligier Stores, explique ce dernier. Il s’agit d’un espace dédié aux marques du groupe avec un mobilier intérieur et une signalétique spécifiques." Les critères? Un showroom d’environ 100 m² et un investissement entre 10000 et 15000 euros. Cette stratégie a non seulement l’ambition de professionnaliser encore plus le réseau, mais également de valoriser le client et de faciliter son parcours. "Notre nouvelle clientèle a l’habitude de fréquenter des marques premium qui disposent d’une identité forte", poursuit Ludovic Dirand. Toutes proportions gardées, sa stratégie est de créer une image de marque forte dans les points de vente.

 

En outre, le groupe a fait quelque peu le ménage dans le profil de ses distributeurs. "Nous n’avons plus d’acteurs du jardinage comme cela a pu l’être dans le passé", indique Ludovic Dirand. Si le réseau est composé de 80 % de distributeurs 100 % dédiés aux VSP, Ludovic Dirand ne cache pas sa volonté de se tourner vers les opérateurs automobiles afin de développer la distribution sur des secteurs qui ne sont pas, selon lui, assez performants. "Nous avons récemment nommé le groupe Sofida dans le Nord, le groupe Touboul et Riester en Seine-et-Marne, JFC en Normandie…", cite‑t‑il, sans être exhaustif. Et d’autres partenariats sont recherchés en Bretagne, Île‑de‑France et dans les Alpes. Avec un critère important: assurer une présence sur plusieurs sites. "Dans notre top  10, ce sont les acteurs dédiés multisites qui sont les plus performants."

 

Le groupe Ligier a fixé des standard de distribution dans un concept appelé Ligier store.

 

C’est le cas par exemple de Vincent Hidalgo. Il a acheté sa première concession en 2012 à La Rochelle (17). Aujourd’hui, son groupe Auto Loisirs dispose de sept points de vente répartis entre la Vendée, les Deux‑Sèvres, la Charente‑Maritime et la Gironde couvrant un large territoire sur la façade atlantique. "Au fil des années, j’ai décidé de prendre plusieurs concessions afin de mutualiser les coûts et d’avoir une belle visibilité, surtout en termes de communication", explique‑t‑il. En 2021, le distributeur a réalisé un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros, commercialisé 700 VN et VO et a vu ses ventes progresser de 50 % en deux ans. Comme tous les autres distributeurs, elles ont augmenté avec l’apparition de cette nouvelle clientèle. "Le Ligier Store nous aide à toucher cette dernière car il permet de mieux nous identifier et de redorer le blason des VSP", poursuit‑il alors qu’il vient d’ouvrir son premier site sous les nouvelles couleurs à Mérignac (33). Aujourd’hui, le groupe compte se développer sur d’autres outils de mobilité, comme le vélo, le scooter électrique ou sur la livraison du dernier kilomètre avec des petits utilitaires électriques.

 

"Nous allons nous implanter dans la Cité de l’automobile à Reims afin de bénéficier d’une parfaite visibilité", indique de son Communiquer autrement Tous les acteurs du VSP reconnaissent que la Citroën Ami a donné un sacré coup de projecteur sur le marché du véhicule sans permis. "Outre les moyens financiers que le secteur n’a pas, Citroën nous a aidés en axant sa communication sur la conduite à partir de 14 ans, message que nous avions jusqu’à présent du mal à faire passer auprès de cette clientèle", constate Philippe Colançon (Aixam). Car d’une manière générale, communiquer sur le VSP reste compliqué, surtout avec une clientèle aussi hétérogène. "Pour toucher la nouvelle clientèle, celle des jeunes, nous utilisons beaucoup les réseaux sociaux, comme Instagram ou TikTok ou nous nous appuyons sur les influenceurs, explique Ludovic Dirand (Ligier). Mais n’oublions pas que parmi cette clientèle, les utilisateurs ne sont pas ceux qui paient. Nous nous adressons donc aux parents en communiquant également sur Facebook ou par d’autres moyens." côté Antoine Contardo qui lui aussi propose de nombreuses solutions de mobilité.

 

Des vendeurs dédiés

 

Au‑delà de la standardisation des sites de distribution, tous les opérateurs s’accordent à dire qu’il faut des vendeurs dédiés. "C’est une clientèle, surtout celle des jeunes, qui ne se déplace pas toujours dans les concessions, note Frédéric Delabrouille. Tous nos vendeurs disposent d’un véhicule et d’une remorque et se rendent chez les clients pour présenter le produit. Il est, en effet, très important que le jeune puisse appréhender le véhicule dans son environnement, qu’il puisse l’essayer entre chez lui et le lycée par exemple."

 

Aixam envisage de vendre 19 000 VN en Europe en 2022.

 

"Auprès des vendeurs traditionnels, le VSP souffre encore d’une mauvaise image, mais à tort, car nous sommes sur un marché très porteur", précise Antoine Contardo. Face à cette forte demande, le marché du VO est tout aussi tendu que celui des VP. "Un concessionnaire commercialise 2 VO pour un 1 VP", présente Ludovic Dirand. "J’en suis très loin, répond Philippe Dugardin. Il est aujourd’hui très difficile de trouver du matériel." "Nous créons du VO avec la LOA", indique Frédéric Delabrouille. "Le VO a lui aussi subi une forte demande liée au besoin très important de mobilité individuelle", relate Philippe Colançon. Quant au SAV, l’activité reste modeste. "Ce sont des véhicules simples de conception et très fiables", notent tous les acteurs interrogés. "Le SAV représente 15 à 20 % de mon CA", indique Vincent Hidalgo.

 

L’électrique aussi

 

Jusqu’où ira cette croissance des ventes? "Nous ne savons pas où se situe le plafond de verre de ce marché, indique Ludovic Dirand. Mais nous nous donnons les moyens de renforcer nos outils de production." Même sentiment chez Aixam. "Pour répondre à la demande, notamment à l’export, je compte ouvrir trois sites industriels dans les mois à venir, indique Philippe Colançon qui insiste sur la notion de made in France dans l’assemblage des modèles des principaux acteurs français. Nous sommes très confiants car notre carnet de commandes en ce début d’année a été multiplié par quatre par rapport aux années précédentes. Nous prévoyons de commercialiser en Europe 19000  VN contre 18000 en 2021."

 

De son côté, Frédéric Delabrouille voit plutôt un avenir en tout électrique: "Cette technologie représente déjà 10 % de nos ventes et nous sentons une appétence de la part de nos clients, d’autant plus que le VSP se prête parfaitement à l’électrification car le kilométrage quotidien reste assez faible. En outre, il bénéficie d’un bonus de 900 euros." Chez Aixam, les versions électriques couvrent 15 % des ventes et ce taux ne cesse d’augmenter. Si d’autres constructeurs se penchent sur le quadricycle léger, on pense notamment à Renault qui pourrait avec le concept Mobilize EZ‑1 remplacer le Twizy et relancer sa présence, le marché de la voiture sans permis est promis à un bel avenir.

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