La mobilité est-elle l'avenir de la distribution automobile ?
Et si le vélo était l’avenir de la voiture ? Cette question, qui peut paraître incongrue de prime abord, ne l’a pas été tant que ça lorsqu’elle a été posée à nos interlocuteurs pour ce dossier. Développement de la voiture électrique, modification des contrats, les défis auxquels la distribution automobile doit répondre sont énormes.
Dès lors, beaucoup d’acteurs planchent sur des solutions pour offrir des produits et des services complémentaires à leur activité de vente et d’entretien de véhicules. Des solutions qui se résument en un seul terme : mobilité.
Derrière ce mot fourre‑tout, se cachent plusieurs approches. Vélos, trottinettes, scooters, quadricycles, bien entendu tous électriques, mais également location courte durée, VTC, auto‑école, voitures sans permis, bref, les distributeurs élargissent à tout va leurs offres pour faciliter les déplacements de leurs clients et prospects. Un changement de paradigme qui passe pour certains par un changement de nom. Ainsi, le groupe savoyard Jean Lain a décidé en septembre dernier d’accoler le mot "Mobilités" à son nom.
De son côté, le groupe BYmyCAR a créé une holding, Cosmobilis, dans laquelle la distribution automobile BYmyCAR n’est qu’une branche parmi d’autres, tandis que le groupe Verbaere, pour ne citer que ces opérateurs, lance une marque inédite : Unripe. "Ce changement de nom n’est pas que marketing, rappelle Alistair Lain, en charge de Jean Lain e‑city chez Jean Lain Mobilités. Il montre à nos collaborateurs et à nos clients le changement d’ère dans lequel nous nous sommes engagés."
Le groupe a pris le virage de la mobilité il y a quatre ans en assurant, dans un premier temps, la distribution des petits utilitaires Goupil et puis, en 2020, en rachetant Kleuster, une société lyonnaise spécialisée dans la production de vélos cargos électriques. "Des études montrent qu’à moyen terme, 20 % des véhicules utilitaires qui circulent en ville seront remplacés par des vélos cargos, justifie Alistair Lain. Ces activités sont complémentaires à notre cœur de business."
De quatre à deux roues
De son côté, le groupe nordiste Dugardin s’est déployé dans la mobilité électrique urbaine avec une offre appelée Dugardin Mobility. "Nous avions observé une demande de la part de nos clients d’avoir des solutions de mobilité décarbonées, même si elle n’était pas toujours clairement exprimée", note Philippe Dugardin, président du groupe éponyme. Dans un point de vente dédié, situé entre deux de ses concessions à Villeneuve‑d’Ascq (59), le distributeur commercialise des vélos, des trottinettes et des scooters électriques.
"L’idée est de ne pas opposer ces modes de mobilité à la voiture, mais de proposer une offre complémentaire", souligne‑t‑il. D’ailleurs, le distributeur a mis en place des offres combinées. Pour l’acquisition d’un modèle neuf ou d’occasion, il propose pour quelques dizaines d’euros supplémentaires de la LOA pour un vélo ou un scooter électriques.
Un autre nordiste, le groupe Verbaere, s’est lui aussi lancé dans la mobilité. "En 2021, nous avons créé Unripe, une marque dédiée à la mobilité douce et destinée aux clients BtoB, explique son président, Jean‑Charles Verbaere. Unripe propose en location longue durée des trottinettes, des vélos et des scooters électriques. C’est une entité à part de nos activités de distribution automobile Verbaere. Elle a été créée de toutes pièces après deux ans de réflexion et de travail. L’équipe est constituée de quatre collaborateurs dont deux au commerce et deux à l’après‑vente et aux services."
Après un an d’exercice, le groupe ne cache pas qu’il est toujours en phase d’évangélisation, mais poursuit son développement en ouvrant une boutique éphémère à Lille, afin de toucher la clientèle BtoC. "Avec des abonnements mensuels, nous souhaitons nous positionner comme le Netflix de la mobilité", poursuit Jean‑Charles Verbaere. Avec comme idée d’apporter un complément à l’automobile, mais ici aussi, de ne pas s’y substituer.
En fonction de la ville
Autre exemple, le groupe rémois Yes My Car. Ce dernier, qui se présente sur son site Internet comme un "agitateur de mobilité", vient de lancer il y a un mois Vista Green. "Sous cette enseigne, nous allons proposer cinq offres, énumère le dirigeant Antoine Contardo. La vente de véhicules d’occasion électriques, la distribution de scooters électriques, le déploiement d’un vrai service après‑vente sur les VE, le lancement d’une offre de location courte durée sans engagement et le partenariat possible avec un fabricant de petites voitures électriques."
Bref, les exemples sont multiples. Reste que vendre des deux‑roues électriques n’est pas tout à fait le même métier que celui de commercial dans l’automobile. "Pour que cela fonctionne, il faut savoir recruter les bonnes personnes", souligne Philippe Dugardin qui a embauché un vendeur et un technicien dédiés à l’activité Dugardin Mobility. Autre critère à prendre en compte, la taille du marché. "Si les ZFE sont une réalité dans certaines agglomérations, c’est loin d’être le cas partout. Ce contexte peut avoir un impact important sur l’activité mobilité", constate Antoine Contardo.
Quant à l’aspect financier, une grande partie des investisseurs botte en touche. "Nous nous sommes lancés sans idée de chiffre d’affaires ni de volume", indique Philippe Dugardin. Depuis son lancement en juin 2021, Dugardin Mobility a écoulé une trentaine de vélos par mois, ainsi qu’une quinzaine de scooters et tout autant de trottinettes. Il a notamment signé un contrat d’entretien avec une flotte d’une entreprise de livraison.
De son côté, le groupe Verbaere qui vise 300 à 400 machines, se donne trois ans pour réussir son pari qu’il a entièrement autofinancé. "Nous apprenons en marchant, ne se cache pas Jean‑Charles Verbaere. Nous pensons que la mobilité douce passera avant tout par la clientèle professionnelle. C’est d’ailleurs le cas dans certains marchés ; 70 % des vélos achetés aux Pays‑Bas le sont par les entreprises." Un avis partagé par Alistair Lain. "Le fait de disposer dans notre portefeuille de plusieurs solutions de mobilité nous permet de remporter plus facilement des appels d’offres", explique le directeur. "Les besoins de mobilité sont réels, mais ils ne sont pas identiques partout et nos clients ont du mal à les exprimer, souligne Antoine Contardo. L’avenir est clairement dans cette direction, mais quelle sera la rentabilité de ces activités ? Impossible à dire. Nous testons beaucoup et à terme, nous sélectionnerons les offres les plus pertinentes."
De son côté, Alistair Lain ne cache pas que pour l’instant, la filiale liée à l’activité BtoB est rentable principalement grâce à Goupil (entre 75 et 100 unités par an). "Jean Lain e‑city réalise un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros", précise‑t‑il.
Le VO en grâce
Si le développement dans les nouvelles mobilités intéresse de plus en plus d’acteurs, tous s’accordent à dire que leur métier de base s’appuiera toujours sur les fondamentaux d’aujourd’hui que sont le VN, le VO et l’après‑vente.
"Mais avec l’arrivée des nouveaux contrats de distribution et le développement de la voiture électrique, la rentabilité de ces postes va évoluer, constate Jean‑Charles Verbaere. Il nous faut donc trouver d’autres sources de rentabilité et il est indispensable pour nous, acteurs de la distribution automobile, de nous diversifier." Outre ces services de mobilité, cela passera également par l’occasion. Car pour beaucoup de distributeurs, cette activité, qui a d’ailleurs permis à certains réseaux d’afficher une rentabilité positive en 2021, fait partie intégrante de la mobilité. "De nouveaux entrants proposent des services qui n’existaient pas auparavant, comme la livraison par exemple, observent plusieurs de nos interlocuteurs. Nous sommes légitimes sur ce sujet et nous devons absolument nous imposer."
Le VO est aussi fortement porté par Cosmobilis. "Faire vivre le parc roulant le plus longtemps possible contribue également à favoriser la mobilité des Français et à intégrer un cercle vertueux de protection de l’environnement", glisse Christophe Pineau, directeur de la stratégie et de la mobilité chez Cosmobilis.
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Même si la distribution tâtonne selon les dires de certains, tous ont pour ambition de développer leur marque au sein de leur groupe, voire de développer le concept auprès d’autres acteurs. Antoine Contardo met, en effet, en place des standards afin qu’il puisse dupliquer Vista Green ailleurs. Présent à Reims (51) et prochainement à Charleville‑Mézières (08), deux territoires où le groupe Yes My Car est implanté, il compte ouvrir à court terme deux autres sites au‑delà de son périmètre naturel d’action.
Même discours à une tout autre échelle pour le groupe Cosmobilis, holding du distributeur BYmyCAR. "Nous souhaitons apporter notre expérience et décliner nos offres de mobilité auprès d’autres acteurs de la distribution", présente Christophe Pineau. De son côté, Jean Lain Mobilités, qui avec Kleuster est également devenu fabricant, prévoit de lancer un réseau au niveau national. L’avenir de la distribution automobile ne sera pas le vélo, mais il y contribuera. En partie.
3 questions à : Christophe Pineau, directeur de la stratégie et de la mobilité chez Cosmobilis
Journal de l'Automobile. Quelle est l’approche de Cosmobilis concernant la mobilité ?
Christophe Pineau. Nous ne sommes pas sur une offre de mobilité, mais d’automobilité. Nous estimons que l’automobile a un avenir et nous souhaitons la rendre accessible au plus grand nombre. Notre stratégie est ainsi de multiplier les offres autour de l’automobile. Nous avons donc organisé nos produits en branches, sous une entité globale appelée Cosmobilis. La première, notre activité historique BYmyCAR, porte sur la distribution de véhicules neufs. La seconde sur le véhicule d’occasion avec les enseignes Elite Auto et Proxauto. La troisième concerne les services, l’auto‑école en ligne En Voiture Simone !, les VTC Marcel, l’opérateur Fleetway destiné à la clientèle BtoB et Goa, une offre de mobilité sans engagement, sans oublier la récente acquisition d’Ucar en avril dernier. Enfin, nous avons un partenariat très fort avec Crédit Agricole Consumer Finance. Ce portefeuille de marques permet ainsi d’avoir une offre à 360° autour de l’automobile.
JA. Cette automobilité passera‑t‑elle par le deux‑roues ?
C.P. Nous ne prévoyons pas, du moins à court terme, de distribuer des deux‑roues car nous estimons que ce n’est pas notre métier.
JA. Quelles sont les synergies possibles entre toutes les branches de votre activité ?
C.P. Il ne s’agit pas de remplacer la concession automobile par ces nouveaux services, mais de proposer des offres complémentaires afin que chacun de nos clients puisse bénéficier d’une offre adaptée à ses besoins. Pour cela, nous nous appuyons sur les bases de données de nos distributeurs, car nous avons une approche très territoriale de la mobilité. En parallèle, nous travaillons sur des offres combinées entre les différentes marques.
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