François-Xavier Thivolle : "Un concessionnaire qui n’est pas concentré sur le VO est en décalage avec son temps"
Le Journal de l'Automobile : Il y a quelques semaines, vous avez entériné le rachat d’une concession Ford à Saint-Étienne. Quelle est l'origine de ce projet ?
François-Xavier Thivolle : Dans notre cas, le cédant de la concession Ford EDA, Patrick Ouillon, part à la retraite et nous avions manifesté une volonté de monter en puissance chez Ford. Le constructeur a donné son aval. Dans l'automobile, tout le monde le sait, ce sont les constructeurs qui font et défont les opérations de rachat. Nous pouvons nous satisfaire du travail accompli car, depuis la première acquisition d'une concession Ford en 2015, notre groupe de distribution a construit une plaque qui écoule 1 000 véhicules par an.
J.A. : Quel est le projet pour cette concession stéphanoise ?
F.-X. T. : Il n’est pas question de tout révolutionner. Il y a une cinquantaine d'employés fidèles à leur entreprise et cela se respecte. D’autant plus que cette concession a toujours été bien gérée et gagne de l’argent. Nous allons donc étudier leur recette pour en extraire les meilleures pratiques et faire évoluer notre propre méthode opérationnelle.
J.A. : N'est-ce pas un pari risqué d’investir chez Ford dont le plan produit semble indécis ?
F.-X. T. : Même si les dirigeants de Ford en France ont une marge de manœuvre réduite, ils se montrent très à l’écoute de leur réseau. Il nous appartient, en tant que concessionnaires, d'aller chercher la performance, notamment sur la gamme de véhicules utilitaires qui rencontre le succès. Le risque chez Ford nous apparaît donc mesuré et nous sommes confiants quant à l’atteinte de cet objectif.
J.A. : Renault reste votre marque principale, quelle analyse faites-vous de la situation ?
F.-X. T. : Les résultats 2024 du constructeur ont été corrects, mais ceux du réseau sont moins bons. Ceci s’explique d’une part à cause d'un souci de tarification des véhicules électriques et, d’autre part, en raison de la volonté du constructeur de diminuer les coûts de distribution. Les concessionnaires Renault ont dû sacrifier une grande partie de leur marge pour convaincre les clients et ne pas souffrir davantage des coûts financiers liés au stockage. Cela nous a montré que le marché français nous attend un cran plus bas en termes de niveau tarifaire. La Renault 5 est un bon indice de cette réalité et les Renault 4 et future Twingo seront une confirmation. Tout laisse penser que le réseau Renault va devenir rentable sur l'électrique.
J.A. : Dans quelle mesure cela remet-il en question les objectifs d’électrification à court terme ?
F.-X. T. : Je pense que la gamme VP de Renault sera alignée sur l’objectif de 30 % de pénétration des motorisations électriques. Ce sera plus compliqué pour les véhicules utilitaires. L'Union européenne veut faire des flottes le canal de déploiement des véhicules électriques et je partage cette analyse tout particulièrement sur les segments C et supérieurs.
Les annonces du plan européen vont changer l'équation. Il faut les voir comme un signe positif envoyé à l’industrie automobile
J.A. : Vous parlez de la tarification des véhicules électriques. Quelle opinion avez-vous donc de Dacia sur ce sujet ?
F.-X. T. : L'année 2024 a été compliquée, en raison du changement de régime pour la Spring. Nous sentons clairement la concurrence de la Citroën ë-C3. Le réseau attend donc avec impatience la voiture électrique (qui devrait partager sa plateforme avec la Twingo, NDLR) pour reprendre l’avantage.
J.A. : Quelle position faut-il donc adopter ?
F.-X. T. : Il faut capitaliser sur la Sandero et le Duster pour soutenir la performance de Dacia en attendant l’arrivée de la marque sur le segment C avec le Bigster. On ne peut cependant plus se contenter d'immatriculer classiquement des Dacia, nous devons aussi renforcer notre capacité à vendre des prestations annexes qui génèrent des revenus.
J.A. : Pour compléter le tour des généralistes, terminons avec Nissan. Quel est l’état de la situation ?
F.-X. T. : Cette marque nous tient toujours à cœur et nous aspirons à nous développer avec elle. Mais à ce jour, aucun projet concret en vue, il nous faut poursuivre un dialogue constructif avec la direction nationale pour repartir de l’avant.
Renault demeure la principale marque du groupe Thivolle. ©Le Journal de l'Automobile
J.A. : Comment vivez-vous ce début d’année 2025 dans le groupe Thivolle ?
F.-X. T. : Le mois de janvier n'a pas été trop mauvais. Celui de février a été plus difficile. Je me refuse néanmoins à crier avant d’avoir mal et il faudra analyser les chiffres du mois de mars pour tirer une première conclusion. Les annonces du plan européen vont changer l'équation. Il faut les voir comme un signe positif envoyé à l’industrie automobile. Les constructeurs vont diminuer la pression sur les véhicules électriques. Ce qui nous convient car si nous nous en sortons avec les VP, la situation est plus complexe sur les utilitaires électriques dont les clients professionnels ne veulent pas.
J.A. : Qu’attendez-vous des constructeurs ?
F.-X. T. : Nous attendons évidemment d'eux des gammes attrayantes. La Renault 5 a montré qu’il est possible de gagner sur des pures électriques. En revanche, il serait utopique de croire que les constructeurs changeront leurs dispositions industrielles. Ils n'adapteront pas la cadence de production à la demande réelle et, de toute manière, il faut avoir du stock de voitures pour vendre. Cela dit, nous réclamons plus d’adéquation. Comment expliquer que certains concessionnaires entreposent, sur leur parc, suffisamment d'utilitaires pour travailler pendant un an ? Cela peut être ajusté pour soulager les trésoreries.
J.A. : Qu'en est-il de la performance du groupe ?
F.-X. T. : Les véhicules neufs ne sont pas suffisants pour faire vivre l’entreprise. Chacun le sait depuis longtemps. Or, les voitures d’occasion ont été dans le dur en 2024. Ce qui nous a mis à mal. Notre défi sera de retrouver de la profitabilité sur les VO, alors que l'offre sera plus importante et les buy back bien plus nombreux. Nous allons devoir rivaliser d’ingéniosité.
J.A. : À quoi pensez-vous particulièrement ?
F.-X. T. : Le groupe va s'évertuer à anticiper les fins de contrats locatifs. Cela signifie que le dimensionnement des stocks se fera constamment en fonction des périodes et selon nos prévisions d'afflux. Nous devrons aussi maîtriser les coûts de frais de remise en état et de préparation.
Le centre Alpine de Villefranche est l'un des plus performants au monde. ©Le Journal de l'Automobile
J.A. : Pensez-vous donc ouvrir un site de reconditionnement ?
F.-X. T. : Non, ce n’est pas dans nos projets. Le groupe continue de faire le choix d'un travail de reconditionnement localisé dans les concessions et avec la contribution de prestataires, si nécessaire. Nous ne sommes pas totalement convaincus par l'argument de refaire à neuf les véhicules d'occasion, car cela peut coûter cher et donc décaler le prix de vente à la hausse, rendant notre offre moins compétitive. Selon nos projections, nous pensons qu'il y aura une équivalence de tarifs entre des voitures d'occasion de 2 ans et des buy back de 3 ans, autrement dit une véritable distorsion de la concurrence qu'il serait mal avisé d'accentuer.
J.A. : Quels sont vos projets pour le groupe dans les mois à venir ?
F.-X. T. : Ce sera une année particulièrement riche en opérations de croissance externe. Nous allons nous concentrer sur ce point. Il nous faut déjà consolider la reprise de la concession Ford, par exemple.
Nous libérons la dénomination Autothivolle pour chapeauter toutes nos activités liées aux véhicules d’occasion et à l’après-vente
J.A. : Après que le groupe Bony a fait une offre pour une plaque Renault du groupe Meignan, la logique voudrait que vous vous positionniez sur l’autre partie…
F.-X. T. : Ce serait logique en effet et nous en avons discuté avec l'intéressé. Nous sommes tombés d'accord sur la négociation et le dossier est maintenant entre les mains de l'Autorité de la concurrence.
J.A. : Qu’est-il prévu comme chantier pour les voitures d’occasion afin de retrouver de la profitabilité ?
F.-X. T. : À ce jour, nous n'avons pas encore atteint ce fameux ratio d’un VN pour un VO. Nous travaillons non seulement pour avoir cet équilibre mais pour, à terme, vendre plus de voitures d'occasion que de neuves. En 2025, notre enjeu sera de faire tourner les assiettes, de savoir jongler avec tous les paramètres. Alors, nous initions des projets pour y parvenir.
J.A. : De quoi s’agit-il ?
F.-X. T. : Tout part d’un changement de nom. L'entreprise dans son ensemble va désormais s’appeler Groupe Thivolle. Ainsi, nous libérons la dénomination Autothivolle pour chapeauter toutes nos activités liées aux véhicules d’occasion et à l’après-vente. Concernant l’occasion, cela comprend les ventes en concession, mais aussi de nouvelles entités. Nous lançons Autopro VO qui va commercialiser des véhicules utilitaires à destination de clients professionnels et particuliers. Les véhicules proviendront majoritairement de chez Renault et ils nous permettront de couvrir un segment inexploré. Cette structure accompagnera de surcroît toutes les concessions pour répondre aux sollicitations.
Le groupe Thivolle a révélé son nouveau logo aux employés le 14 mars 2025. ©Groupe Thivolle
J.A. : Y a-t-il d'autres choses prévues au programme ?
F.-X. T. : Oui, nous dynamisons également une structure baptisée Laura, pour Location Automobiles Rhône-Alpes, une dénomination que nous avions laissée en sommeil depuis quelques années. Elle fera du négoce automobile, achat et revente. Son portefeuille de clients se composera de concessions du groupe et de tiers. À titre d’exemple, nous venons de livrer des véhicules en buy back chez un loueur. Cela nous permettra de maîtriser notre approvisionnement et la valeur des véhicules qui alimenteront nos parcs.
J.A. : Est-ce le signe que les concessionnaires doivent reformater leur logiciel ?
F.-X. T. : Comme pour Windows, nous sommes forcés de repartir de la version précédente. Quand la profitabilité est inférieure à 1,5 %, on ne peut pas faire table rase. Nous devons restructurer à moindre coût. Je crois surtout qu'un concessionnaire qui n’est pas concentré sur le VO en 2025 est en décalage avec son temps… Ou alors il est concessionnaire Ferrari. Les captives n'ont rien vu venir du problème des buy back et nous, les concessionnaires, avons manqué de réactivité. Nous avons signé des affaires que nous n'aurions pas dû faire. Il faut maintenant assumer.
Je me focalise sur les opportunités proposées par mes actuels constructeurs et sur des ouvertures
J.A. : Certains disent qu'une forme de crise des subprimes menace votre profession, le croyez-vous ?
F.-X. T. : Non, je ne pense pas que nous irons jusqu'à ce point. En revanche, il est certainement possible que les concessionnaires cessent pendant un temps de proposer des contrats locatifs, estimant que cela ne fait en réalité que le jeu des constructeurs. Ma question est alors très simple : les constructeurs sont-ils prêts à donner des moyens aux réseaux pour supporter les risques à leur place ?
J.A. : Avez-vous été tenté par les nouvelles marques ?
F.-X. T. : J'ai été tenté, en effet. Mais pour l’instant, en toute humilité, je me focalise sur les opportunités proposées par mes actuels constructeurs et sur des ouvertures, comme le futur Centre Alpine de Saint-Étienne (42), dont les travaux s’achèveront en fin d’année. De toute manière, je pense qu'en France le multimarquisme est encore mal accepté et, au fond, je ne suis pas totalement convaincu du bienfait.
Authotivolle va proposer des utilitaires d'occasion en BtoB. ©Le Journal de l'Automobile
J.A. : Le groupe Thivolle avait ouvert, en février 2020, le seul centre certifié de réparation de batteries du réseau privé Renault. Qu’est-il devenu ?
F.-X. T. : Il existe toujours dans notre concession de Villefranche-sur-Saône (69). L’an passé, nous avons pris en charge environ 350 batteries. Notre ambition nous pousse à voir plus haut. De fait, des négociations avec Renault se sont tenues pour monter à 500 unités, mais le constructeur n’a pas pu nous donner des garanties de volume pour le moment. Nous avons donc ajusté nos investissements pour 2025 et attendons que l'horizon se dégage.
J.A. : Pour finir, comment préparez-vous vos équipes à l’avenir de la distribution automobile ?
F.-X. T. : À la rentrée de septembre dernier, nous avons ouvert une école de vente interne. Le projet, conduit par Séverine Cauda aux RH, implique par ailleurs Renault et un centre de formation local. Nous inculquons ainsi aux jeunes une culture générale du commerce et nos méthodes propres au groupe. Au terme du cursus réalisé en alternance, ils obtiendront un diplôme. Ainsi, nous nous créons un vivier de compétences, indispensable aujourd’hui, avec des jeunes formés selon nos exigences. Tous les cadres du groupe ont également suivi un parcours de formation en 2024, dispensé par Auto Consultant, afin d’être plus performants pour recruter, superviser et fidéliser leurs équipes.
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