Eric Stierlen, Edenauto : "Le droit à la mobilité ne saurait être négocié"
Journal de l'Automobile. Marquée par les diverses crises que l'on connait, quel bilan tirez-vous de cette année 2022 dans le groupe Edenauto ?
Eric Stierlen. Pour nous, il y a trois indicateurs de tête que sont la performance commerciale, la qualité du service rendu aux clients et le résultat financier. J'ai tendance à trouver que nous souffrons sur le premier volet, car les clients ont beaucoup d'hésitation sur le choix de motorisation à faire et nous ne sommes, ensuite, pas en mesure de les livrer dans des délais raisonnables. Heureusement, sur le plan de la satisfaction client, nos notes restent de bon niveau, car les acheteurs font preuve de compréhension et ne nous jugent pas trop sévèrement. Rares sont ceux qui perdent patience.
JA. Qu'en est-il du volet financier ?
ES. Nous perdons un peu de volume VN et VO, mais nous nous en sortons. Nous allons faire une année correcte en partie grâce aux opérations de croissance externes que nous avons bouclées. Je ne crois pas que le chiffre d'affaires soit l'indicateur de référence. En perdant environ 25 % de CA à isopérimètre depuis 2019, nous avons gagné en profitabilité. Je pense donc qu'en dépit du contexte, nous devons arrêter de nous plaindre et nous concentrer sur notre rôle de distributeur. L'automobile a toujours eu à faire face à des défis.
JA. Quels éléments vous apportent une satisfaction particulière ?
ES. Difficile à dire car par ailleurs, l'après-covid a complexifié la gestion des ressources humaines. Nous cherchons du personnel à l'atelier et en carrosserie sans réellement trouver. En plus, chacun fait désormais preuve d'une grande sensibilité et d'un autre rapport au travail. Il nous faut adopter de nouvelles approches et consentir à des gestes comme la prime "pouvoir d'achat" pouvant atteindre 1 000 euros que nous allons leur verser.
JA. Le grand débat porte sur les velléités des constructeurs à prendre en main le commerce…
ES. J'ai envie de voir comment ils vont composer avec les clients et avec toutes les problématiques du quotidien. Chacun rêve de copier Tesla. Mais aujourd'hui, les clients témoignent de soucis, car il n'y a pas de suivi à l'après-vente. Alors, la distribution va assurément évoluer et nous aurons encore un rôle à jouer dans les années à venir en tant qu'opérateur.
JA. Sous quelle forme ?
ES. La moitié des constructeurs que je représente vont migrer vers un format agent et l'autre moitié ne bougera pas fondamentalement. Qui a tort et qui a raison ? Selon moi, les premiers sous-estiment tout ce que nous réalisons au quotidien pour les clients. Quant aux seconds, ils cherchent à réduire les frais de distribution par tous les moyens possibles. Je crois davantage en ce scénario. Certes, nous devrons réviser certaines ambitions à la baisse, mais les constructeurs auront toujours besoin de nous.
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JA. Les flux financiers ne seront cependant plus les mêmes. Comment allez-vous gérer ce paramètre ?
ES. En effet, ce sera différent. Cependant, nous aurons des montants de stock moindres. La trésorerie servira alors davantage à financer des achats de véhicules d'occasion pour compenser la perte de marge sur les véhicules neufs, sans augmenter les emprunts à la banque.
JA. Justement, dans le classement ICDP des 50 plus importants concessionnaires européens, paru le 16 novembre 2022, nombreux sont ceux qui vous devancent à afficher des ratios de vente largement à l'avantage du VO. Est-ce une inspiration ?
ES. Nous allons dans ce sens. Dans le groupe, nous l'observons tout du moins. Edenauto vend déjà plus de voitures d'occasion à particulier que de VN à particulier. Et avec le canal des ventes à marchands nous tenons le ratio de 1 VO pour 1 VN tous canaux confondus.
Notre feuille stratégique concerne la région Sud-Ouest, sans passer la frontière espagnole
JA. Quelles sont vos ambitions à long terme pour le VO ?
ES. Je cherche à avoir des circuits de préparation les plus courts possibles. Nous avons un centre à Bordeaux (33) et un autre à Pau (64) où nous avons un bâtiment de 2 000 m² et une organisation logistique. Il y a également un projet dans une autre ville qui sera soit Toulouse (31) ou Langon (33). Ces centres permettront d'organiser le VO pour augmenter le volume d'activité.
JA. Vous êtes 43e dans ce top 50 établi par ICDP. Visez-vous à gagner des places ?
ES. Le classement est réalisé sur la base du chiffre d'affaires et le nôtre qui était de 1,14 milliard d'euros en 2021 devrait monter à 1,5 milliard d'euros environ en 2022. En reprenant des sites BMW à Agen et Périgueux dans quelques semaines, après avoir acquis des sites Kia et Nissan en début d'année, nous montrons notre ambition de croissance. Nous resterons dans les mois à venir à l'écoute des opportunités.
JA. Quelle est la ligne directrice ?
ES. Notre feuille stratégique concerne la région Sud-Ouest, sans passer la frontière espagnole. Le web prenant de l'importance, les investissements porteront sur la marque Edenauto. Elle s'affiche maintenant sur toutes les façades et sur les maillots d'équipes sportives et nous souhaitons augmenter sa visibilité en ligne. La montée en puissance est incroyable et les effets se font sentir : nous vendons plus de VO par le site internet du groupe que par Leboncoin ou La Centrale.
JA. Vous financez des projets immobiliers, dont des concessions et des villages automobiles. Pouvez-vous nous éclairer ?
ES. Le groupe Edenauto réalise 3 à 4 projets par an. Il y a en effet deux villages en préparation. Le premier se trouve à Hagetmau (40). Il ouvrira le 1er décembre 2022 et se compose de deux bâtiments avec, d'un côté, Peugeot et Opel et, de l'autre, Renault et Dacia. Cette ville n'était pas couverte, et notre projet a cela d'atypique qu'il se constitue uniquement de points secondaires rattachés aux concessions respectives de Mont-de-Marsan (40). Ce village se tournera donc principalement vers le service et la vente de VO à particulier.
JA. Qu'en est-il de l'autre ?
ES. Le second se trouve quant à lui à Langon et accueillera 7 marques automobiles dont Renault, Dacia et Nissan déjà en place, auxquelles s'ajoutent Mitsubishi, Opel, Kia et MG. Il commercialisera des VN et disposera d'un parc d'environ 250 à 300 VO. Le bâtiment est intégralement reconstruit et nous en profitons pour ajouter des panneaux photovoltaïques afin de réduire la consommation d'énergie et nous inscrire dans une politique écologique vertueuse et d'économie circulaire. Le premier volet du projet sera livré en avril 2023, le deuxième en novembre d'après et la dernière partie en février 2024.
JA. Que cela traduit-il de votre stratégie de gestion immobilière ?
ES. Nous détenons environ 60 à 70 % de notre parc immobilier par le biais de SCI personnelles. Nous les louons à des prix bas aux concessions pour préserver leur rentabilité. Nous savons que dans la majeure partie des cas, ces bâtiments sont bien situés et pourront être valorisés si l'activité automobile se réduit, car nombreux sont les commerçants à chercher des emplacements. Je ne me pose donc pas de question.
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JA. Deux de ces emplacements, ceux de Bordeaux et de Toulouse, ont servi à héberger EdenMobilité. Qu'y a-t-il derrière cette marque ?
ES. Nous sommes concernés par l'écologie et tout ce qui met cette planète en souffrance. Personne ne peut aller à l'encontre de ces principes. Collectivement, il nous faut donc trouver des solutions dans un cadre défini par l'Europe et par l’État. La législation modifie l'aspect des villes et des automobiles. Ce qui va se heurter aux problématiques de pouvoir d'achat. Or, quel que soit le territoire, le droit à la mobilité ne saurait être négocié. Le transport public n'apportant pas toutes les réponses nécessaires, EdenMobilité peut exister avec une offre de mobilité pour tous.
JA. Quelle composition de gamme souhaitez-vous ?
ES. Nous voulons des produits pour toutes les bourses. Il y aura des vélos et des scooters électriques, mais également des vélos cargo pour le transport d'enfants ou de marchandises par des professionnels. Il y aura des solutions d'achat et de location longue durée, notamment au travers de Locapig, notre filiale de prestation BtoB.
JA. Quelle a été la stratégie RH ?
ES. Nous avons recruté en extérieur car nous considérons qu'il s'agit d'un autre métier et donc qu'il nous fallait de nouvelles compétences. Notre responsable, qui n'a jamais travaillé dans l'automobile, a la charge de l'identification des produits, de leur essai de validation et de leur référencement dans nos points de vente.
JA. Que regardez-vous en termes d'indicateurs de performance pour vous convaincre d'avoir pris la bonne décision ?
ES. Il faudra regarder la typpologie de nos clients car nous avons décidé de cibler les familles et les professions libérales avec ces vélos et scooters du quotidien. EdenMobilité fera face à 80 concurrents directs à Bordeaux et 83 à Toulouse. Dans ce contexte, en fonction de notre évolution, nous adapterons notre mécanisme. Ensuite, nous envisagerons les prochains déploiements.
JA. La maîtrise de la location longue durée propre à l'automobile constituera-t-elle un avantage ?
ES. En effet, nous allons nous inspirer de ce que nous avons appris au fil des années. Mais nous savons pertinemment que la LLD ne pourra pas être proposée à certains clients comme un adolescent qui achète un scooter. En revanche, l'artisan qui a besoin de circuler en centre-ville pourra être démarché.
JA. Comment allez-vous traiter vos buy-back ?
ES. Nous allons gérer l'intégralité de la chaîne, jusqu'à la revente. Il y a beaucoup de choses à tester pour proposer des services durant le cycle de location, dont l'entretien. Nos concurrents directs ne proposent pas ce type de formules et n'ont généralement que peu de stock car à titre d'exemple, nous avons investi 600 000 euros dans le nôtre. Ce qui nous confère un avantage.
JA. Comment les partenaires financiers vous accompagnent-ils ?
ES. Pour le moment, nous prenons la décision d'internaliser le financement des contrats de LLD comme nous le faisons avec notre filiale LocaPig qui détient 1 500 véhicules en circulation.
L'informatique m'est rattachée en direct et je la surveille comme le lait sur le feu.
JA. Que pensez-vous des formules alternatives d'accès à l'automobile ?
ES. Sur le papier, les formules de flexibilité qui consistent à alterner entre un type de véhicule ou un vélo la semaine et prendre un autre type le week-end, sont de très bonnes idées. Mais en pratique, il n'y a pas d'équation économique viable. Nous ne savons pas exploiter la flotte qui dort sur le parking la semaine. Cela ne peut être fait qu'à une toute petite échelle. L'autre solution serait de louer des VO. Mais y-a-t-il un intérêt à louer pour 50 euros par jour un véhicule qui nous coûtera finalement bien plus à remettre en état au départ et à nettoyer chaque lundi matin ? Aucun. Nous pourrions vendre des combinés vélo-voiture, mais à des tarifs élitistes. Ce qui est rentable, mais qui n'aide pas à démocratiser les solutions de mobilité de demain.
JA. Il existe un autre service sorti en toute discrétion, EdenCharge. Comment l'avez-vous pensé ?
ES. Nous sommes restés très discrets sur ce sujet, en effet. Quand nous avons voulu proposer une prestation d'installation, nous nous sommes interrogés sur la marche à suivre : reprendre une entreprise spécialisée pour en faire une filiale ou signer un partenariat. Nous avons passé un accord avec Parera, un groupe local très réputé, spécialisé dans l'installation d'équipements de recharge. Nous leur transmettons des leads après commande d'un véhicule et leurs techniciens vont établir un devis que le client est libre de valider ou non. Ainsi, nous nous appuyons sur une compétence de haut niveau et nous nous libérons de la responsabilité. Derrière, nous nous sommes rapprochés de Chargemap pour fournir une carte à l'acheteur que nous créditons d'ailleurs de de quelques euros avant la livraison.
JA. Vous avez un maillage de 157 points de vente. Comment pourriez-vous les inscrire dans une stratégie de mobilité électrique ?
ES. Nous sommes en train de mettre en place un vaste plan d'investissement. Nous avons des concessions dont la configuration permet d'accéder 24h/24 aux bornes et d'autres qui sont fermées. Les premières ont été équipées de bornes où des clients peuvent venir se brancher pour nous acheter de l'énergie. Cela nous a permis de tester plusieurs partenaires comme Driveco ou ZeBorne et nous engrangeons ainsi de l'expérience. Progressivement, nous allons resserrer le périmètre autour des opérateurs les plus performants et les plus rentables, à l'heure où le coût de l'énergie s'envole.
JA. Renault appelle ses distributeurs à rejoindre le mouvement initié par Mobilize Power Solutions…
ES. Nous regardons de près ce dossier. Nous avons des emplacements qui pourraient convenir au cahier des charges imposé par Mobilize. Sinon, dans les autres concessions, nous étudions des plans pour doter les surfaces de panneaux solaires qui produiront de l'énergie à orienter vers les bornes et vers le réseau. Edenauto avance à bon rythme, mais nous découvrons que les complexités techniques sont nombreuses quand il s'agit de déployer un réseau de station et de générer des revenus partagés avec un tiers.
JA. Les salons automobiles sont à un tournant et semblent devenir des rendez-vous locaux. Continuerez-vous de porter de tels événements pour mettre en lumière vos initiatives de mobilité ?
ES. Je ne sais pas ce que vont devenir les salons, il y en a de moins en moins dans notre région. Cependant, notre concept complet n'est pas encore suffisamment mature pour être exposé sur un salon. Je ne veux pas me livrer à des effets d'annonce. Le groupe doit d'abord se prouver qu'il est capable de délivrer les promesses.
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JA. Par ces projets, vous diversifiez les points de contact avec les clients. Ce qui pose des questions sur l'avenir des systèmes d'information. En tant que président, prenez-vous ce sujet en main personnellement ?
ES. Je suis très impliqué. L'informatique m'est rattachée en direct et je la surveille comme le lait sur le feu. Nous investissons beaucoup d'argent dans la sécurité de nos infrastructures. Mais cela contrarie la vie des collaborateurs et des partenaires extérieurs. Je le fais à regret, mais c'est une nécessité car nous sommes vulnérables face aux nombreuses attaques. Je pense que les groupes doivent mettre l'emphase sur ce sujet. Ensuite, pour répondre à la question, les outils de gestion de relation sont encore l'objet de tensions entre les concessionnaires et les constructeurs. A mon sens, nous sommes collectivement nuls. Nous ne savons pas collaborer, alors que la donnée doit être partagée pour gagner en pertinence. Tant qu'il y aura de la méfiance, il n'y aura pas d'issue et seuls nos outils internes et le service après-vente seront nos piliers.
JA. Justement, quel rôle va jouer l'après-vente dans cette transformation ?
ES. L'après-vente fidélise. Une étude interne a montré que nous ne subissons que 12 % de transfert de marque dans le groupe. A chaque fois, le client change en raison d'un coup de foudre pour un véhicule concurrent ou parce qu'il a été déçu du service après-vente. Encore une fois, je pense que cela doit être pris en considération par les constructeurs qui veulent s'affranchir d'un réseau. L'après-vente reste un élément important de la stratégie des concessionnaires et donc des marques.
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