Citroën : un réseau qui ne retrouve plus son souffle
Les fondations de la maison Citroën tremblent. Les distributeurs, tout comme les agents, ont de nombreux griefs contre leur marque qui, en annonçant mi‑mai la résiliation des contrats d’ici deux ans, a ajouté une couche supplémentaire à leurs inquiétudes. Les remontrances sont nombreuses, à commencer par le non‑versement des primes au début d’année. En février dernier, plus de 50 % du réseau ne les avait pas touchées. Les raisons ? Des objectifs difficilement réalisables à cause d’une gamme de produits pas à la hauteur des ambitions de la marque. "En 2021, Citroën projette de faire 11 % de part de marché (contre 8,7 % à fin mai, NDLR), alors qu’en 2019, une bonne année grâce aux performances de la C3 et du C3 Aircross qui étaient au meilleur de leur forme, nous faisions 10,6 % ", note un concessionnaire. Beaucoup d’acteurs déplorent une gamme sans véhicules phares et vieillissante. "La C3 marche bien, mais les loyers sont trop élevés par rapport à l’âge de la voiture et la concurrence intramarque du groupe, notamment avec l’Opel Corsa, est forte", regrette un autre distributeur. "Le C5 Aircross se vend bien, mais ne compense pas les performances commerciales en retrait enregistrées par le reste de la gamme, complète de son côté Christophe Deluc, président du groupement des concessionnaires Citroën. Avec ce véhicule, nous faisons beaucoup de conquêtes, ce qui est une bonne chose pour la marque, mais cela a un coût commercial non négligeable." "Quant au Berlingo, explique Denis Baeza, président du groupement national des agents Citroën, il ne séduit plus, car trop cher pour les possesseurs d’anciennes générations et pas assez "premium", pour les acheteurs de SUV." Enfin, le C3 Aircross n’est pas au niveau des ambitions et le C4 SpaceTourer ne sera pas remplacé.
Une C4 à la peine
Et la C4 ? Si tous les concessionnaires sont unanimes sur les qualités intrinsèques de la voiture, ils le sont tout autant sur son lancement complètement raté. "Le constructeur n’a pas été capable de doter le réseau d’assez d’exemplaires, si bien que certains points de vente se sont retrouvés avec un seul, voire pas de modèle à faire essayer ! ", s’étouffe un autre distributeur interrogé. "Cela fait six mois que la voiture a été lancée et nous n’en voyons toujours que très peu sur la route", regrette Christophe Deluc. En outre, il estime "que la transition entre la C4 Cactus et cette nouvelle génération de C4 ne s’est pas faite", avec une perdition non négligeable de clients. Depuis le début de l’année, la C4 ne s’est écoulée, en effet, qu’à 7 607 exemplaires, ratant de peu la troisième marche du podium, alors que la Peugeot 308, en fin de vie, s’est vendue à 11 175 unités, devancée par les 14 772 exemplaires de la Renault Megane, pas récente non plus. La médaille de bronze revient à la Toyota Corolla qui la remporte avec 7 694 unités vendues. Et avec les problèmes de semi‑conducteurs que rencontre Stellantis, comme bon nombre de constructeurs, la situation tend à se compliquer. "Les délais de livraison oscillent entre trois et quatre mois et Citroën ne produit aujourd’hui quasiment que des voitures clients", explique Christophe Deluc. Quant à l’ë‑C4, avec elle aussi ses ratés d’allumage, elle arrive trop tard pour bon nombre d’acteurs. "Difficile de remonter la pente face à des constructeurs coréens qui ne nous ont pas attendus sur le sujet", lâche le concessionnaire. Le mois dernier, Jérôme Gautier, directeur du commerce de Citroën en France, reconnaissait que les 925 immatriculations enregistrées à fin mai "n’étaient pas représentatives de son potentiel, car nous avons été limités par le niveau de production. Ces 925 unités représentent 12 % des ventes du modèle au premier trimestre, mais notre objectif est de vendre une C4 sur cinq en 100 % électrique.
Outre les problèmes sur les produits, le groupement des concessionnaires reproche la mise en place de processus lourds qui conditionnent le versement des primes et ce, en plein confinement. "Nous sommes focalisés sur ces paramètres de qualité afin de toucher nos primes, alors que trop dogmatiques, ils nous empêchent en partie de faire notre travail naturellement", observe Christophe Deluc. Selon plusieurs concessionnaires, "l’accumulation de processus visant à améliorer l’expérience client fait exactement l’inverse". Enfin, autre grief, les distributeurs sont inquiets pour l’après‑vente. "D’année en année, la part de marché de Citroën ne cesse de se réduire, observe Christophe Deluc. Cette situation a pour conséquence la contraction du parc, ce qui par effet ricochet génère une érosion des entrées en atelier."
Un constructeur qui se veut rassurant
Y a‑t‑il de l’écoute de la part du constructeur ? Sollicité, Citroën n’a pas donné suite à notre demande. Pour autant, Jérôme Gautier se voulait rassurant : "La dynamique [commerciale] est meilleure, comme en témoigne notre portefeuille de commandes à la fin du premier trimestre." Un constat qui ne semble pas se voir sur le terrain. "Le juge de paix sera le 30 juin prochain, lorsque ces commandes se transformeront en immatriculations. Et là, on risque d’avoir des surprises… ", prophétise, sceptique, un patron de groupe. Les chiffres lui donnent d’ailleurs raison. À la fin avril, sur un marché en hausse de 50 %, la marque Citroën ne croît que de 36 %, un résultat en dessous de la performance du groupe Stellantis, dont la progression de 38,7 % est plombée par DS Automobiles (+ 4,4 %), Alfa Romeo (+ 5 %) et, dans une moindre mesure, par Opel (+ 18,2 %).
"Concernant les objectifs fixés en début d’année et qui étaient difficilement atteignables dans le contexte actuel, nous observons aujourd’hui un meilleur équilibrage entre le VP et le VUL qui, lui, se porte plutôt bien, même si de nouveaux acteurs, comme Toyota et Opel, sont très agressifs, ce qui réduit fortement nos marges si on peut encore parler de marges", note Christophe Deluc. En outre, les livraisons de véhicules réalisées sur les quatre premiers mois de l’année l’ont été en majorité aux professionnels. "Le marché VPP est chez Citroën en chute de 45 %, souligne un concessionnaire. Si le canal des sociétés est bon pour les volumes, il ne l’est pas pour nos marges qui, d’une manière générale, fondent comme neige au soleil." Une partie du réseau reconnaît néanmoins que depuis quelques semaines, les commandes à particulier reprennent - tout - doucement. Et les distributeurs sont assez peu confiants sur l’avenir. "Nous avons perdu un semestre, ce que nous ne pourrons jamais rattraper et ce n’est pas la C5 X, prévue pour la deuxième partie de l’année, qui viendra compenser ces pertes", poursuit un concessionnaire.
Même si nous n’avons pas pu avoir la confirmation chiffrée, beaucoup de distributeurs s’attendent à une profitabilité négative sur le premier semestre, loin du 0,45 % enregistré en 2020. Et ce n’est pas DS Automobiles qui pourra rendre le sourire aux comptes des investisseurs. Si la marque est rentable, selon les distributeurs, le plan produits est lui aussi très pauvre en 2021. "Les ventes de la DS 9 seront anecdotiques et la DS 4, qui est pour moi une superbe voiture, arrive bien trop tard", glisse ce distributeur. Bien que les prix aient été dévoilés fin mai, la DS 4 ne sera disponible dans les concessions qu’en décembre. Ce qui est beaucoup trop tard pour compenser une année qui n’a pas bien démarré. Pour DS Automobiles, le réseau craint d’ailleurs que 2021 soit une année blanche et qu’au final, il perde de l’argent, tiré vers le bas par Citroën qui aura beaucoup de mal à être rentable.
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