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Distribution

Carlos Gomes, Cosmobilis : "Notre objectif est de traiter l'automobile sous toutes ses formes"

Publié le 21 juillet 2022

Par Catherine Leroy
15 min de lecture
Cosmobilis a terminé de déployer sa feuille de route avec le rachat d’Ucar au printemps dernier. Le groupe, qui intègre la distribution automobile avec BYmyCAR, dispose désormais de tous les atouts pour aborder sa mue en groupe d’automobilité. Explications de son directeur général, Carlos Gomes.
Carlos Gomes, directeur général de Cosmobilis.

Journal de l’Automobile : Le conseil de l’Union européenne vient d’adopter un texte validant la baisse de 100 % des émissions de CO2 en 2035 et donc l’interdiction de la vente de véhicules neufs thermiques. Quelle est votre réaction face à cette position ?

 

Carlos Gomes : Ce choix peut être abordé de différentes façons, mais je pense, qu’in fine, la messe était dite. En revanche, il me semble que la prise de décision s’est réali­sée sans évoquer toutes les consé­quences. L’interdiction de ces véhi­cules, sans la construction d’un plan et sans l’analyse des répercussions, est dangereuse. Car ce que je vois, c’est que le monde va continuer à utiliser des véhicules thermiques sauf en Europe. Si le marché ne les accepte plus, la production ne se fera plus en Europe. Les impacts sur l’emploi, sur les constructeurs et sur l’ensemble des actifs vont être cuisants. Ceux qui ont pris position en faveur de cette interdiction n’ont pas anticipé ces questions. Il s’agit d’un vote politique. Ce n’est pas un vote technique, fondé sur des faits, mais un vote de conviction. L’Europe a surtout décidé de prendre les de­vants sur un sujet parce qu’elle est à la traîne politiquement et prise dans un étau entre les USA, la Russie et la Chine. Les gouvernements euro­péens sont aujourd’hui dans une si­tuation délicate et ils ajoutent encore de la difficulté.

 

 

JA : Au bilan de ces six mois de l’an­née 2022, le marché français atteint 771 979 voitures neuves. Quelles an­ticipations faites‑vous du niveau de marché cette année ? Avez‑vous une visibilité sur la sortie de cette crise ?

 

C.G. : Il s’agit peut‑être du moment le plus dur pour faire des prévisions, car nous n’avons jamais vécu une période si compliquée. Deux ana­lyses à faire sur le marché : celle des livraisons et celle des commandes. En ce qui concerne les livraisons, nous nous dirigeons vers un mar­ché qui sera inférieur à 1,5 million de voitures neuves en VP. Et, bien sûr, personne ne peut se satisfaire d’un volume qui recule de 40 % par rapport au pic que le marché français a connu avec 2,2 millions de voitures neuves en 2019. Nous sommes sur un niveau très bas. Et calibrer les portefeuilles est égale­ment un exercice très difficile. Ce niveau s’explique par l’incapacité des constructeurs de fournir les voitures attendues par les clients. Ils n’ont pas été capables avec leur écosystème de production d’approvisionner le marché. Dans le contrat qui lie le constructeur et le distributeur, un des devoirs des constructeurs est de fournir ces voitures. Le contexte fait que les décisions prises à la sortie de la pandémie de Covid ne nous per­mettent pas d’avoir ces véhicules.

 

 

JA : Qu’en est‑il du niveau des com­mandes ?

 

C.G. : Ce marché de la commande se portait plutôt bien en 2021. Cette année, jusqu’en mai, il semble que nous étions sur la même tendance. Je pense qu’en ce moment, nous assis­tons à un petit décrochage chez les particuliers. Notamment parce que la Bourse est en chute et les clients qui ont des ressources ne regardent que cet indicateur. Mais aussi parce que les clients qui ont moins de res­sources sont fortement impactés par l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat. La hausse des taux d’intérêt va aussi rogner ce pouvoir d’achat que ce soit par une empreinte plus forte des crédits immobiliers ou par l’augmentation des tarifs des voi­tures.

 

 

JA : Sommes‑nous dans une nouvelle phase avec une crise de l’offre qui de­vient une crise de la demande ?

 

C.G. : Je ne l’appelle pas encore crise, mais on voit un changement de rythme des commandes chez les particuliers et dans les entreprises, notamment parce que le niveau des remises a beaucoup baissé vis‑à‑vis de cette clientèle. Ce marché de la commande est en train de se tasser et tous les segments de clients sont désormais touchés par ces problé­matiques d’achat. Il se peut que le ni­veau des commandes à la fin de cette année soit inférieur à celui de 2021.

 

 

La qualité des ventes s’est amé­liorée grâce à une augmentation des ventes de financements et de pro­duits périphériques

 

 

JA : Dans ce contexte difficile, le groupe BYmyCAR, qui est devenu une enti­té de la holding Cosmobilis, a vu ses ventes de voitures neuves augmenter de près de 5 % à plus de 39 000 unités et atteindre un chiffre d’affaires proche de 2 milliards d’euros (+ 21,4 %). Quelle est la part de la croissance ex­terne dans cette progression ?

 

C.G. : Nous n’avons pas opéré de rachats en 2021, il s’agit donc d’une croissance organique pure. Notre ren­tabilité s’est améliorée de 0,2 point par rapport à 2019 et notre rendement de 10 %, 2020 étant un pic bas. Pour 2022, nous sommes sur le même trend.

 

 

JA : Comment êtes‑vous parvenus à cette croissance dans un contexte de mar­ché en baisse ?

 

C.G. : Nous avons beaucoup travail­lé sur tous les business. Le véhicule d’occasion a été très contributeur, notre marge VO a progressé en uni­taire de 30 %. Notre marge globale a augmenté davantage, car les prix moyens ont été supérieurs. En VN, même si nous avons livré plus qu’en 2020, nous avons aussi mieux ven­du. La qualité des ventes s’est amé­liorée grâce à une augmentation des ventes de financements et de pro­duits périphériques. Enfin, le groupe a également pra­tiqué une certaine frugalité, que ce soit en organisant des synergies immobilières, humaines, physiques ou en mettant en place des pro­cess pour réduire nos frais fixes, notre point mort mais toujours avec le même dynamisme. C’est ce qui explique que ces résultats ont continué de s’améliorer, même si nous sommes aujourd’hui dans un écosystème qui est extrêmement fragile.

 

 

 

 

JA : Les contrats qui lient les construc­teurs et les distributeurs sont en complète réorganisation pour cer­taines des marques distribuées par le groupe. Quelles conséquences antici­pez‑vous de ce changement ?

 

C.G. : Nous ne disposons pas encore de toutes les informations. Mais glo­balement, nous voyons cette muta­tion assez sereinement. Nous allons vivre cette phase de changement, de­voir nous adapter à une nouvelle ré­alité et trouver de nouvelles recettes. Avant, le monde était assez simple avec un seul système, un seul type de contrats. Nous savons que l’ave­nir sera différent avec des construc­teurs qui choisissent de rester dans le système classique où le tarif sera fixé après discussion entre le distri­buteur et le client. D’autres marques vont évoluer vers un contrat d’agent pour maîtriser leur prix de vente à client et d’autres encore souhaitent changer pour économiser. Finale­ment, une grande variété de menus est proposée. Mais au moins, dans le contrat d’agent genuine, les choses sont claires et le constructeur prend en charge tous les investissements.

 

 

JA : C’est d’ailleurs le seul reconnu par la Commission européenne…

 

C.G. : Tout à fait, mais beaucoup d’autres versions de contrats d’agent sont en cours de réflexion. Nous al­lons laisser une réalité pour passer à une autre qui sera plus variée. De leur côté, les constructeurs vont se recaler aussi. Constructeurs et dis­tributeurs pourront comparer les résultats des marques sous contrat de distribution, qui font l’effort de vendre moins cher aux clients, avec ceux des marques sous contrat d’agent avec des prix imposés. Ce sera aussi très intéressant.

 

 

Les distributeurs resteront des acteurs et des héros de leur clien­tèle, en local, sur leur territoire

 

 

JA : Les contrats d’agent sont‑ils aussi intéressants, d’un point de vue finan­cier, pour un groupe de taille impor­tante, que ceux de distribution ?

 

C.G. : Je pense que oui. D’autant que pour aller vers ce changement, les constructeurs vont devoir compac­ter et optimiser leur distribution. Ils devront avoir des partenaires plus importants. Les choses se compen­seront. L’opportunité n’est pas dans le taux d’efficience quoique quand on devient très grand, la question du cash est très importante, mais si on ne porte pas les stocks, la ré­ponse est différente. Quoi qu’il en soit, les distributeurs resteront des acteurs et des héros de leur clien­tèle, en local, sur leur territoire. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes complètement rassurés par tous les partenaires.

 

 

JA : Quels changements cette modification des contrats peut‑elle induire dans les relations qu’ont les groupes de distri­bution avec les banques ?

 

C.G. : Les relations peuvent chan­ger effectivement. Mais si demain, la question essentielle des stocks est résolue, les banques vont perdre un peu d’importance par rapport à cet élément. Mais le nouvel enjeu sera peut‑être le financement au client. C’est là où être grand est intéressant.

 

 

JA : Ce changement juridique de relation peut‑il remettre en cause votre plan stratégique ?

 

C.G. : Les nouveaux contrats se met­tront en place à partir de 2024. Mais notre plan se termine en 2025. Nous serons donc à la fin de sa réalisation et nous construirons un autre plan. Notre référence aujourd’hui était le chiffre d’affaires. La nouvelle sera sans doute la rentabilité.

 

 

JA : Le groupe dispose, au bilan de l’an­née 2021, de 80 sites principaux de vente. Anticipez‑vous d’ores et déjà une diminution de votre empreinte immobilière ?

 

C.G. : À terme, oui, la tendance semble être une configuration un peu plus intelligente, où les standards des marques vont évoluer vers des sites complets et des points relais qui seront soit de service, soit VO, soit autre chose. Cette évolution va en­traîner une réduction de l’empreinte physique en faisant mieux travailler les territoires. D’autant que le digital concourt à ce qu’il y ait moins d’utili­sation de l’immobilier. De toute façon, il faut quand même que l’on dépense moins. Et la première règle pour y parvenir, c’est moins de mètres carrés.

 

 

JA : Cette réduction est‑elle l’un des plus grands challenges de la distribution automobile ?

 

C.G. : La distribution a deux gros challenges à relever dans les 10 pro­chaines années : le premier est la re­conversion du parc immobilier, nous y travaillons. Environ 20 % de nos mètres carrés doivent être dirigés vers d’autres activités. Le second est la reconversion de nos talents. Nous sommes confrontés à des besoins de profils différents, car le système de l’agent signifie un prix unique où la négociation n’aura plus lieu. Ce sont l’expérience client, l’essai et le contenu produit qui seront mis en avant. L’as­pect négociation disparaîtra pour le véhicule neuf et ne restera que pour la voiture d’occasion ou encore le finan­cement. Nous devons faire évoluer ces fonctions.

 

 

JA : Vous avez investi en Europe, en Es­pagne, en Italie… d’autres développe­ments sont‑ils en cours ?

 

C.G. : Oui, deux dossiers sont en train d’être travaillés. Nous voulons nous renforcer en Espagne et en Ita­lie. Nous aurons d’autres annonces dans les jours qui viennent (NDLR : à l’heure où nous imprimons, la si­gnature n’est pas encore effective). Notre objectif est de racheter chaque année pour 400 millions d’euros de chiffre d’affaires. Mais d’ores et déjà, nous réalisons 10 % de nos résultats hors de France. C’est un chiffre très encourageant.

 

 

JA : En matière de VO, le groupe a récem­ment créé des labels, pour les clients finaux. Mais qu’en est‑il de l’amont du secteur et notamment des activités de reconditionnement ?

 

C.G. : Nous avons encore de la ca­pacité et des actifs à mobiliser dans des plages horaires qui ne sont pas couvertes. Donc, nous n’avons pas encore senti le besoin d’investir de la même façon que d’autres acteurs de la distribution. D’autant que cer­tains d’entre eux rendent disponibles leurs infrastructures à des tiers avec nos gammes de pièces. Le capital est quelque chose de très important et nous pensons que ce n’est pas encore le moment pour le faire. Mais nous avons créé une entité de sourcing à l’international (BYmyCAR Trading) qui est destinée à fournir l’interne et l’externe du groupe. Si tout se passe comme prévu et que la volumétrie augmente, nous devrons envisager cette question et nous doter d’un centre de reconditionnement, mais ce n’est pas pour 2022. Aujourd’hui, nous avons organisé la reprise des voi­tures en développant le rachat cash. Par exemple, nous achetons 15 % de nos ventes de véhicules d’occasion, en moyenne, ce qui est déjà très bon. Nous avons ainsi pu garantir notre sourcing dans un contexte de rareté. La prochaine étape est de faire plus pour vendre plus.

 

 

JA : Que représentera le véhicule d’occasion à la fin de votre plan stratégique ?

 

C.G. : Nous voulons faire 100 000 VO à particulier. En 2022, notre objec­tif est de réaliser 50 000 ventes. Nous avons donc trois ans pour doubler ce volume.

 

 

JA : Fin 2021, vous avez créé une holding de tête, Cosmobilis, qui accueille l’en­semble de vos activités, pourquoi ?

 

C.G. : Cosmobilis réunit nos activités de distribution classique, digitale avec Elite Auto, les auto‑écoles, Marcel, Fleetway, Ucar et GOA. Nous vou­lions diversifier notre portefeuille de business dans l’automobilité et nous sommes donc partis dans ce sens.

 

 

Nous voulons basculer d’un monde où 100 % de nos revenus viennent de la distribution à un monde où 60‑70 % seront issus de la distribution et 30 à 40 % viendront de ces nouveaux services

 

 

JA : Est‑ce pour cette raison que vous avez réalisé une augmentation de capital et intégré le Crédit Agricole en tant qu’ac­tionnaire ?

 

C.G. : Oui, c’est pour financer et abor­der le rachat d’Ucar et organiser notre plan sur la mobilité. Sinon, nous n’au­rions pas eu besoin de réaliser cette augmentation de capital.

 

 

JA : Que devient l’activité de mandataire d’Elite Auto ?

 

C.G. : L’activité de mandataire est un peu compliquée en ce moment. Nous étions dans un monde où les voitures coulaient à flots, ce qui laissait un es­pace pour que les plateformes digi­tales puissent proposer des véhicules à un prix moindre. Aujourd’hui, la pénurie étant ce qu’elle est, il n’y a plus de 0 km et nous devons repositionner le business d’Elite Auto vers un opéra­teur de 0 km.

 

 

JA : Vers une sorte d’Aramisauto ?

 

C.G. : Oui vers quelque chose qui soit dans cette direction et c’est ce que nous faisons aujourd’hui.

 

 

JA : Comment se positionnent les autres activités : Fleetway, En Voiture Simone, Marcel, Ucar… et comment s’arti­culent‑elles ?

 

C.G. : Fleetway est notre courtier BtoB. Nous pensons que les en­treprises ont besoin d’un interlo­cuteur professionnel, proposant les meilleures solutions pour elles. Les PME ont besoin de ce support, car les grands opérateurs n’aiment pas travailler avec de petits clients. Nous sommes très contents de notre rythme de développement qui pèse désormais près de 5 000 contrats dans notre portefeuille. Avec En Voiture Simone, la stratégie est assez logique. Avec cette activité, nous agissons avant que la mobili­té commence. Le jeune client ne va peut‑être pas acheter un VN ou un VO, mais peut‑être un pack de mobi­lité tout court, sans engagement. Nous croyons beaucoup à ce business, car nous pensons à terme que la plupart des permis seront passés par le digital. Aujourd’hui, c’est moins de 5 %, donc le potentiel est gigantesque et le coût au client est réduit d’au moins 400 eu­ros. C’est 30 % de moins qu’un per­mis passé dans une filière classique. Cosmobilis agit aussi pour le pouvoir d’achat dans ce sens. En Voiture Si­mone est une marque pour les jeunes qui pourra les accompagner dans une partie de leur vie. Enfin, nous avons notre sujet mobilité avec nos offres d’abonnement GOA et surtout le ra­chat d’Ucar avec notre location de courte durée qui sera le cœur du ré­acteur de notre mobilité avec Marcel. Nous avons aujourd’hui 5 piliers qui sont clairs.

 

 

JA : Pourquoi GOA ?

 

C.G. : GOA est une ville en Inde, qui est la rencontre entre l’Orient et l’Oc­cident. Mais c’est aussi une rencontre entre le monde de l’automobile d’hier et de demain que nous avons voulu si­gnifier. De plus, c’est facile à dire dans toutes les langues. Nous avons com­mencé les offres d’abonnement GOA sur notre site BYmyCAR.

 

 

JA : Quelle part prendra la mobilité dans le plan en termes de chiffre d’affaires et d’un point de vue de la rentabilité ?

 

C.G. : Une marque de mobilité prend 10 ans à s’installer. Mais nous voulons basculer d’un monde où 100 % de nos revenus viennent de la distribution à un monde où 60‑70 % seront issus de la distribution et 30 à 40 % viendront de ces nouveaux services.

 

 

JA : Beaucoup d’acteurs de la distribution se lancent dans des offres de mobilité va­riées (vélos électriques, trottinettes…). Allez‑vous également vous diversifier dans ce sens ?

 

C.G. : Non, nous ne sommes que sur l’automobilité. Nous ne pouvons pas tout faire. Traiter l’avenir de l’automo­bile et les autres formes de mobilité, je n’y crois pas, mais nous ne pouvons pas non plus exclure de construire une marketplace avec des produits que l’on ne commercialise pas dans nos points de vente physiques. Notre plateforme a suffisamment de trafic (près de 3 millions de visiteurs par an) pour proposer d’autres produits que la voiture. Nous n’excluons rien, mais nous nous concentrons sur l’essentiel et celui‑ci reste l’automobile.

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