Bedros Izikian, ABVV : "La vraie menace provient des nouveaux acteurs digitaux"
Journal de l'Automobile : Les concessionnaires viennent globalement de vivre une année tendue dans bien des registres. Comment avez-vous traversé la période ?
Bedros Izikian : 2021 fut une année dure, elle nous a appris à piloter au quotidien et la notion d'agilité a pris plus de sens qu'elle n'en avait jamais eu auparavant. Elle nous a mis face à de nombreux défis, logistiques même si nous n'avons pas été les plus mal lotis avec nos marques notamment Volvo et Hyundai, mais surtout humains car les conditions d'accueil des clients se sont dégradées sous le double effet des confinements ou des contraintes sanitaires et il a fallu apprendre à s’organiser avec les absences dues à l’épidémie.
J.A. : Plus précisément, quel a été l'impact sur les chiffres ?
B.I. : Le premier semestre a été particulièrement difficile. Globalement, la baisse a été de 15 à 20 % selon les métiers. Entre les incertitudes et l'application plus massive du télétravail, les habitudes de consommation des entreprises ont nettement évolué. Nos emplacements géographiques, proches de bassins d'emplois franciliens, nous exposent particulièrement à ce phénomène. Nous avons retrouvé un rythme d'activité intéressant à partir du second semestre et le dernier trimestre a d'ailleurs été très satisfaisant, voire l'un des meilleurs de notre histoire. Pour preuve, nous avons pris autant de commandes entre octobre et décembre que durant tout le premier semestre.
J.A. : Comment expliquez-vous cette accélération subite ?
B.I. : Nous avons su relancer la machine, renouer avec les opérations commerciales et créer des évènements. Par ailleurs, il est évident que la disponibilité a contribué à faire la différence lors de certaines discussions. Par exemple, Volvo a été l'une des rares marques premium à disposer de véhicules livrables. A travers ce levier clé, nous avons non seulement pu conserver certains de nos clients qui regardaient la concurrence mais également faire de la conquête parfois sur nos rivaux allemands.
J.A. : A quelle niveau avez-vous achevé 2021 ?
B.I. : Le bilan est globalement satisfaisant étant donné le contexte. Les situations ont été différentes sur chacune de nos marques. Pour Volvo, malgré un début d’année très poussif, nous terminons sur une performance égale à celle de l’année précédente, à la fois en commandes et en livraisons. Pour ce qui est de Jaguar Land Rover, le bilan est frustrant. Malgré une dynamique commerciale très forte, en hausse de 15 %, nous n’avons pas pu retrouver ces scores en livraisons car nous avons grandement souffert du manque d’approvisionnement. 115 commandes clients n'ont en effet pas pu être honorées sur 2021. Certaines ont été maintenues grâce à des dispositions exceptionnelles, d'autres malheureusement ont été perdues.
J.A. : Qu'en est-il de Hyundai ?
B.I. : Pour notre première année au sein du réseau Hyundai, nous avons pris 750 commandes et réalisé 450 livraisons. Un bilan dont nous nous nous réjouissons car nous n'avons pu bénéficier d'aucune antériorité sur la zone de chalandise, puisqu’il s’agissait d’un secteur précédemment libre, et que les premières immatriculations ont réellement commencé à la veille du confinement en mars. Nous sommes heureux, et un peu fiers, d'avoir intégré le top 5 des concessionnaires français en nombre de prises d'ordre dès notre entrée dans le réseau.
J.A. : Quel bilan tirez-vous donc de ce premier tour avec Hyundai ?
B.I. : Disons qu'il est à deux facettes. Nos compétences et nos relations nous ont permis d'aller chercher rapidement du volume auprès des entreprises. En revanche, les activités en showroom et à l'atelier ont mis plus de temps à démarrer. Le bilan économique est donc contrasté, malgré des performances commerciales très enthousiasmantes. Néanmoins, nous avons pu montrer au constructeur notre savoir-faire et illustrer le fait que nous souhaitions être un acteur majeur du réseau Hyundai. La prise du panneau en 2020 s'inscrivait dans notre volonté de diversifier la gamme avec des produits exceptionnels, de générer des synergies avec nos marques historiques, et c’est ce qui s’est passé. Nous demeurons confiants pour 2022.
J.A. : Au travers de cette crise, quelles ont été les initiatives payantes ?
B.I. : En priorité, nous avons ajusté notre organisation après avoir fait un état des lieux de nos forces. En situation de crise, il faut se focaliser sur les fondamentaux, nous avons adopté une stratégie de retours aux basiques. L’ADN du groupe ABVV est profondément lié à l’après-vente, la qualité de service offerte ainsi qu’à la satisfaction de ses clients. Concrètement, nous nous sommes tournés vers les clients fidèles du groupe afin de générer du trafic. Quant aux commerciaux, ils ont su faire preuve de plus de proximité, les contacts étant moins nombreux, mais toujours plus qualitatifs.
"Skoda nous a témoigné sa confiance et souhaite que nous avancions dans ce sens pour consolider rapidement un objectif de 500 VN"
J.A. : Qu'avez-vous accompli d'autre ?
B.I. : En parallèle, nous avons énormément investi pour développer nos outils digitaux, nous avons repensé intégralement notre site internet afin d’améliorer l’expérience de navigation de nos clients et disposer d’une vitrine en ligne présentant l’ensemble de nos offres et services. Un pilier qui s'est confirmé comme étant essentiel. Enfin, nous avons également pu bénéficier d’un accompagnement plus étroit de l’ensemble de nos partenaires, ils sont des acteurs incontournables de la chaîne de valeur offerte par le groupe et nous les en remercions.
J.A. : Il a aussi été question de prise de panneaux, pouvez-vous nous éclairer ?
B.I. : Depuis 18 mois, nous avons été approchés par 70 % des constructeurs du marché et, pour répondre à ce besoin de diversification de gamme que nous avions identifié, Hyundai a représenté une opportunité très pertinente. Nous avons d’abord été séduits par la dynamique et le caractère innovant de la marque et je pense que ce fut le cas pour eux aussi concernant ABVV. La marque cherchait un partenaire sur cette zone de l'Ile-de-France historique pour nous et nous avons donc rapidement validé ce premier projet de représentation sur notre site emblématique de Gonesse (95). Nous venons d'ajouter Seat, Cupra et Skoda dans cette même logique. Convaincus par les valeurs et l’esprit de ces marques, aussi et surtout par la complémentarité avec notre portefeuille actuel. Deux choses ont été déterminantes dans nos prises de décisions : vérifier qu’il n'y ait pas de cannibalisation entre les marques que nous représentons et nous assurer d’un plan de développement à moyen terme pour chacune d’elles.
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J.A. : En quoi estimez-vous que le groupe est en mesure de réussir ce virage ?
B.I. : Ces développements tiennent d'une volonté et de rencontres. Nous avons commencé la croissance externe, il y a un peu plus de 5 ans, avec la reprise du site à Chantilly (60) que nous avons fait passer d'une soixantaine de VN Volvo à 300 VN et 150 VO et d'une trentaine de Jaguar et Land Rover à 200 VN et 80 VO. Tout cela sans trahir notre ADN. Cette réussite nous conforte dans notre capacité à intégrer des nouvelles marques pour diversifier notre offre, et performer avec elles, tout autant qu’avec Volvo.
J.A. : Que réservez-vous justement à Volvo ?
B.I. : Volvo est notre partenaire historique. La première marque à avoir fait confiance à la famille Izikian, cela représente beaucoup pour nous. Nous y sommes très attachés et souhaitons continuer à grandir avec elle à travers toutes les opportunités de développement qu’elle sera en mesure de nous proposer. La collaboration est étroite, mutuellement bénéfique, et nous avons la volonté de poursuivre celle-ci pour devenir le premier distributeur en France.
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J.A. : ABVV est actuellement deuxième dans le top 10 des distributeurs Volvo. Le premier étant le groupe d'Alexandre Priod, un autre francilien. Comment conjuguer votre ambition avec votre attachement à la région ?
B.I. : Nous avons un projet majeur à Roissy (95), où nous souhaitons créer un hub de la mobilité, et Volvo a été le premier constructeur impliqué. La clé du succès se trouve dans les services que le groupe sera en mesure d’offrir pour se rendre incontournable. Notre volonté n’est pas d’être le plus "gros" mais d’être la référence en termes d’expérience et de satisfaction client.
J.A. : Concentrons-nous un instant sur Skoda chez qui la rumeur vous prête des intentions de rachat de site. Pouvez-vous nous mettre à jour ?
B.I. : Depuis quelques mois, nous échangeons avec le groupe Neubauer concernant la reprise de la concession de Saint Ouen l'Aumône (95). La marque nous a témoigné sa confiance et souhaite que nous avancions dans ce sens pour consolider rapidement un objectif de 500 VN. Les choses sont en bonne voie et nous espérons aboutir au printemps 2022.
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J.A. : L'actualité plus récente du groupe concerne LEVC dont vous devenez partenaire officiel en France. Quel est le plan pour la marque britannique ?
B.I. : L'implantation se fera au travers de 2 sites, à Saint Ouen l'Aumône et à Roissy. La mise en relation s'est faite par Volvo qui a donné son aval à toutes les étapes du projet. Sur les véhicules, nous retrouvons des plateformes techniques similaires à celle de Volvo, nous pourrons donc assurer les mises à la route et l'entretien des taxis et de l'utilitaire. Cette collaboration est d'autant plus intéressante qu'elle nous amène à accompagner le constructeur sur de nouveaux sujets comme l'implication dans le calcul des valeurs résiduelles ou la définition des schémas de remarketing.
J.A. : Quelles seront les objectifs commerciaux ?
B.I. : Nous allons prospecter toutes les sociétés de transport de personnes, mais également les chaînes hôtelières, notamment de luxe. L'utilitaire conviendra aux artisans et aux TPE à la recherche d'une solution électrique. Nous sommes prudents pour la première année et visons 30 unités. Ensuite, nous voulons multiplier par 5 ce volume très rapidement.
J.A. : Sur le long terme, quelle ligne stratégique suivez-vous ?
B.I. : La stratégie du groupe ABVV est celle d’un groupe "multi-monomarque", capable d’étoffer notre offre, de répondre à l’ensemble des clients et prospects de notre zone de chalandises, tout en préservant l’identité de chacun de ces marques et en respectant la structure d’exploitation, les effectifs et les responsables dédiés qui bénéficient de l’ensemble des compétences transverses du groupe.
J.A. : Dans cette idée, comment allez-vous structurer votre organigramme ?
B.I. : C’est le second grand virage pris par le groupe. Nous avons récemment pris la décision de structurer un comité de direction familial. Une garde rapprochée et exécutive autour du président, Grégoire Izikian, en quelque sorte qui se réunit de manière hebdomadaire. Je me réjouis de ne plus être seul pour mener à bien les défis auxquels nous sommes confrontés, puisque j’ai en effet été rejoint par mes frères, Vrej aux finances et Armen à la direction commerciale, en attendant l'entrée de Vahé. Une jeune génération, aux grandes ambitions. Et nous sommes accompagnés au quotidien par un comité de pilotage de 12 personnes, chefs de services qui représentent les différents métiers du groupe. Elles sont impliquées dans la définition de la feuille de route et le suivi des résultats. Nous ne menons aucun projet sans leur consultation.
"Les constructeurs doivent respecter le timing pour préserver l'équilibre économique des investisseurs"
J.A. : L'évolution des contrats de distribution anime toutes les conversations. Alors que vous multipliez les investissements immobiliers, quel pourrait être le plus durable des schémas de relation entre les constructeurs et les distributeurs ?
B.I. : Je n’oppose jamais constructeurs et distributeurs. Nous sommes dans la même équipe et la vraie menace provient des nouveaux acteurs digitaux qui veulent changer les règles du jeu. Nous devons être capables de toujours échanger pour réfléchir à la meilleure stratégie. C'est un fait, pour de multiples raisons les constructeurs font face à des défis technologiques qui engendrent des coûts importants. Il y a des métiers pour lesquels ils doivent pouvoir s'appuyer sur nous, les distributeurs, notamment ceux de prise en charge technique des véhicules. Il y a des services évident que nous pouvons apporter et de la réflexion commune doivent naître de nouvelles idées et ressources. La meilleure relation sera une relation de transparence dans laquelle chacune des parties refuse de voiler la vérité.
J.A. : Il y a néanmoins des menaces qui pèsent sur vous. Quelle ligne rouge devez-vous tracer ?
B.I. : La marche en avant ne doit pas être forcée. L’évolution pour qu’elle soit pérenne et efficiente doit se faire avec l'adhésion du réseau. Nous sortons tous d'une situation compliquée avec la pandémie et les différents problèmes conjoncturels. Les crispations sont liées aux incertitudes. Les constructeurs doivent respecter le timing pour préserver l'équilibre économique des investisseurs. Les ressources nécessitent des moyens et, rappelons-le, la souveraineté économique reste le seul gage d'un travail de qualité dans le futur. Nous sommes le bras armé des constructeurs et à ce titre nous devons rester suffisamment musclés.
J.A. : D'un point de vue des contraintes propres à chaque territoire, devront-ils avoir des appréciations différentes en fonction des conditions ?
B.I. : Je pense effectivement qu'il faut prendre en considération les spécificités locales. Chaque zone est différente, chaque typologie de clientèle est différente. S'il est nécessaire pour eux d'avoir un cadre, se montrer rigide revient à renier une partie de la clientèle. Il faut des règles qui laissent de la place pour des ajustements. Nous avons la chance d'avoir des constructeurs qui sont visiblement sensibles à ces messages. D'ailleurs si nous avons eu des contacts avec l'essentiel des marques durant notre phase de croissance, nos choix se sont portés sur celles qui partagent cet état d'esprit de complémentarité entre le constructeur et son réseau.
J.A. : Le mois de janvier est celui des réunions de rentrée. Quels ont été les messages diffusés chez vos constructeurs ?
B.I. : L'année 2022 sera encore pleine de défis. Les problématiques d'approvisionnement sont loin d'être solutionnées. Elles nous obligent à changer nos méthodes de travail, notamment dans la gestion des stocks. La flexibilité et la réactivité seront des éléments clés, tout comme notre capacité à nous approprier des outils digitaux. La gestion du lead entrant va aussi être déterminante : nos points de contacts avec les clients seront de moins en moins nombreux, mais de plus en plus qualitatifs. A nous de nous rendre incontournables.
J.A. :Quittons le neuf et parlons du VO. Comment monter en puissance dans une région où la pression sur les coûts immobiliers est si forte ?
B.I. : Le VO a toujours été au cœur de notre stratégie. Il représente entre 35 et 40 % de notre activité commerciale toutes marques confondues. En 2013, nous avons investi dans un bâtiment dédié à Saint-Ouen-l'Aumône pour disposer du plus grand centre Volvo Selekt de France et aujourd’hui il nous faut continuer à travailler sur les process et les outils. ABVV est en phase de recrutement d'un directeur VO qui nous fera entrer pleinement dans l'univers du digital et travaillera sur la création d'un label du groupe ainsi que d’un centre de reconditionnement.
J.A. : Les usines VO, la grande tendance du moment... Quelle est l'idée ?
B.I. : Nous estimons avoir le niveau de maturité suffisant, les ressources, l'expertise grâce à une carrosserie au sein du groupe et des jeunes collaborateurs qui y voient une opportunité de début de carrière. Nous sommes en recherche d'une implantation idéale au centre de notre plaque. Des discussions avancent avec des acteurs locaux pour trouver le terrain et le valider au second semestre 2022.
"Avec le Grand Paris, nous misons sur la multimodalité"
J.A. : Seat vous ouvre les portes d'autres familles de produits hors de l'automobile. Quelles sont les ambitions du groupe ABVV avec les objets de mobilité ?
B.I. : En effet, nous découvrons les scooters et les trottinettes électriques. Mais nous irons plus loin. Le groupe vient tout juste de signer avec Angell pour distribuer leurs vélos électriques et connectés. Nous avons apprécié la culture d'entreprise et ils ont confiance dans notre expertise du premium et notre maîtrise du discours BtoB. Nous avons été nommés au 1er janvier 2022 et nous travaillons sur le plan de commercialisation pour un lancement au cours du premier trimestre.
J.A. : Comment allez-vous vous y prendre ?
B.I. : Le secteur est très large. Nous utiliserons nos concessions. Nos équipes vont aussi démarcher des gestionnaires de flottes car il y a des incitations fiscales qui les intéresseront. Les vélos seront également utilisés à titre de solution de mobilité pour les clients de l'après-vente. Enfin, il a été acté que nous définirons un espace sur le futur site de Roissy. Avec le Grand Paris, nous misons sur la multimobilité et notre ambition sera toujours de nous focaliser sur le client.
J.A. : Vous représentez une nouvelle génération de cadres dirigeants. La même que celle qui fonde des start-up innovantes. Verra-t-on des collaborations en vue d'apporter des idées en rupture ?
B.I. : Le partenariat avec Angell est une bonne illustration du fait que ABVV est sensible à la co-innovation. Nous sommes curieux de beaucoup de choses, attachés aux cercles d'entrepreneurs et, petite confidence, nous souhaiterions devenir un maillon de cette chaîne. Rendez-vous à Roissy qui sera une terre d’innovation.
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