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Distribution

2025, l'année de tous les dangers pour la distribution automobile

Publié le 23 janvier 2025

Par Catherine Leroy
9 min de lecture
La frugalité sera de mise dans les réseaux de distribution en 2025. Compressés financièrement par un manque de trésorerie et des frais financiers qui ont explosé, les groupes craignent l’éclatement de la bulle des engagements de reprise.
En 2025, la distribution automobile doit faite face à des contraintes financières importantes. (©adobestock.com)

Depuis cinq ans, les distribu­teurs subissent la crise du marché automobile. Pour certains, la longévité de cette période cri­tique aurait dû les préparer à re­voir leur modèle. Pour d’autres, la transformation du modèle a déjà démarré. Car cette phase s’annonce bien pire que la crise financière, puis économique de 2008. Depuis la pandémie de Covid‑19, plusieurs facteurs se conjuguent pour en faire un épisode historique.

 

La baisse du marché automobile est l’un de ces premiers facteurs. Avec 1,71 million de véhicules neufs immatriculés, 2024 ramène les distributeurs automobiles aux années 1973, hors périodes de confinement. "De manière assez logique, nous voyons nos rentabilités en forte baisse. Cela s’explique par la contraction des marges accordées par les constructeurs automobiles, sur facture, qui ne sont pas compen­sées par les marges arrière. Le tout aggravé par une explosion des frais financiers", nous explique Marc Bruschet, président des conces­sionnaires VP chez Mobilians.

 

Tensions sur la trésorerie

 

Un effet de taux dont les origines sont doubles. Tout d’abord par la forte hausse des taux d’intérêt mais aussi par l’assiette financée. Comme le prix des voitures a flam­bé, l’ampleur du besoin en fonds de roulement (BFR) s’est également renforcée. Et les perspectives ne sont pas forcément réjouissantes. Certes, la banque centrale européenne donne quelques signes de détente récemment en abais­sant son taux directeur à 3 %. Les prévisions de croissance sont en baisse, tout comme les perspectives d’inflation jusqu’en 2027. Mais le mal est fait. "Les taux ont été mul­tipliés par trois ou quatre. Ce qui détériore la trésorerie", soulignent certains distributeurs interrogés.

 

Nicolas Manuelli, directeur as­socié du cabinet BCG à Paris, en charge de la partie automobile, n’est pas très optimiste sur les pers­pectives : "Les taux d’intérêt n’ont pas baissé aussi vite que prévu et la situation géopolitique actuelle ne permet pas d’avoir de la visibilité sur les semestres à venir."

 

 

Les conséquences ont été immé­diates comme notamment la ten­sion sur la trésorerie. Et c’est là le problème principal des distri­buteurs : en 48 h, un groupe peut connaître une crise de trésorerie quand de mauvais résultats sur une année font bouger l’édifice sans pour autant qu’il ne tombe.

 

Des stocks trop lourds à porter

 

Autre source de tension qui pèse sur la trésorerie : le portage des stocks. "On peut s’attendre à ce que les constructeurs utilisent cette variable comme levier pour réduire leurs charges, glisse Nicolas Manuel­li. Cela a déjà été fait par le passé." Subrepticement, les distributeurs voient ainsi arriver le retour des ventes tactiques. Ce qui crée des charges supplémentaires pour le ré­seau. "Et dans le contexte actuel où l’argent coûte cher, cela pénalise en­core plus les trésoreries", poursuit le consultant.

 

"Les distributeurs français ont oublié un peu vite que l’argent a un prix. Et ils ont pensé également que les stocks étaient gratuits. La gestion de la tré­sorerie a été mise de côté, comme un processus administratif car la liquidité était facile", ajoute ce banquier européen.

 

 

Alors que la pénurie des semi‑conducteurs semait le trouble dans la production de voitures neuves, le marché VO a chanté pen­dant plusieurs mois, masquant ain­si les problèmes du véhicule neuf. "On a assisté à beaucoup d’euphorie, à des suréquipements en stocks, plus grands en volume mais aussi en va­leur, compte tenu du renchérissement du prix des voitures et de leur rareté. Jusqu’à ce que le marché ralentisse et qu’une gestion prudente revienne. Tout le monde a oublié, à cette pé­riode, la théorie basique de l’éco­nomie. Aujourd’hui, nous sommes juste face à un retour à la normale", poursuit cet intervenant.

 

La double peine du leasing social

 

À ce tourbillon infernal est venu s’ajouter le mécanisme du leasing so­cial. Car le gouvernement utilise le même instrument que lors d’un bo­nus classique. Bercy exige du distri­buteur automobile qu’il fasse l’avance de l’aide à l’achat accordée par l’État. 650 millions d’euros en six semaines ou presque ont disparu de la trésore­rie des réseaux de distribution pen­dant presque trois mois. Dont les deux tiers supportés par les dis­tributeurs Stellantis qui ont raflé la majorité des dossiers.

 

Manque de chance pour les ré­seaux des marques du groupe. Ces derniers ont subi la double peine avec déjà une rentabilité en forte baisse, voire négative, à cause des mauvais résultats sur la vente de vé­hicules neufs. Mais ce qui vaut pour Stellantis est également vrai pour de nombreuses marques généralistes. Et presque tous les réseaux se pré­parent d’ores et déjà à une baisse de leur rentabilité. C’est donc dans un stress financier intense que démarre l’année 2025.

 

En attendant la publication des ré­sultats financiers de 2024, les distri­buteurs serrent les dents. "Je sens que les banques sont un peu tendues, nous confirme un patron de groupe. Car elles ont bel et bien une vision à 360° de l’état financier des réseaux."

 

Une année 2025 très technique

 

D’autant que l’année 2025 s’annonce très technique sur le mix des ventes. Les normes CAFE qui sont durcies depuis le 1er janvier promettent des mois difficiles dans les réseaux. Pour éviter les amendes qui pourraient être infligées aux constructeurs automobiles, ces derniers ont mis sur pied des politiques commerciales très strictes. Figure notamment dans les tuyaux une baisse des allocations en véhicules thermiques si jamais les commandes en électriques ne sont pas suffisantes. Or, le métier de la distribution reste profondément basé sur un commerce de volume. Si ce volume de vente baisse, la rémunéra­tion suivra la même tendance.

 

 

"Pour respecter ces normes, les constructeurs devraient limiter les modèles thermiques ou hybrides alors qu’ils sont encore plébiscités par les clients, sont sources de volume et créateurs de marge, avance Nicolas Manuelli. En parallèle, ils doivent ré­duire le prix des voitures électriques pour développer leurs ventes dans un marché qui montre des premiers signes d’essoufflement."

 

Les distributeurs ne se bercent pas d’illusions sur le sujet. Ils savent pertinemment que les amendes liées aux normes seront répercutées sur le prix des véhicules, ce qui aura pour conséquence de malmener encore plus un marché qui n’en a pas besoin.

 

Le tout entraîne des gouvernances dans la distribution qui sont parfois "tétanisées" car elles voient le fruit du travail de plusieurs années qui s’étiole sans perspective réelle. Dans ce contexte, la rentabilité des réseaux de toute marque devrait s’amenuiser. Et les groupes qui ne dégageaient que 1 % de marge en 2023 pourraient bien passer en négatif en 2024.

 

La publication des comptes 2024 au printemps 2025 sera une vraie étape pour certains, car le haut des bilans va se dégrader. Et le renouvellement des encours sur le second trimestre va poser des problèmes. Beaucoup de groupes de distribution devront trouver des solutions de finance­ment à long terme et réinjecter de l’argent frais.

 

 

Les captives des constructeurs pourraient alors commencer à fer­mer le robinet du portage et même faire valoir des causes de résiliation. Mais avant d’en arriver à ce stade, les sociétés de financement, filiales des constructeurs, pourraient deman­der un paiement des voitures sur bons de commande comme mesure conservatoire. Le problème est que quand cette étape est enclenchée, les banques partenaires indépendantes le voient. Le tout créant une spirale dangereuse.

 

Beaucoup de réseaux ne peuvent d’ailleurs pas provisionner la vraie réalité des stocks VO et encore moins des en­gagements de reprise à venir sous peine de consommer l’intégralité de leurs fonds propres. 2025 sera une année cruciale pour la distribution.

 


Valeurs résiduelles : après l’optimisme, la dépression

 

La menace des engagements de reprise pèse sur la distribution. Comme les voitures électriques étaient inaccessibles pour le particulier, les constructeurs ont choisi la facilité de gonfler les valeurs futures de reprise, en offrant ainsi des loyers plus abordables aux clients.

 

Mais pousser la poussière sous le tapis en matière de valeurs résiduelles n’est jamais une bonne idée, comme le souligne le cabinet Othra Consulting Business et Finance. Surtout quand les constructeurs forcent les réseaux à cet engagement de reprise. Les chiffres donnent le vertige. On parle de pertes futures qui pourraient atteindre plus de 4 000 euros par voiture.

 

Pour un point de vente moyen qui commercialise 1 000 voitures et peut s’attendre à une reprise de 250 buy back, la perte peut grimper jusqu’à 750 000 euros en se basant sur un déficit moyen de 3 000 euros par voiture ! Dans le réseau Citroën, les calculs donnent froid dans le dos. Un opérateur s’est en effet "amusé" à évaluer les pertes potentielles en France pour l’ensemble des distributeurs à près de 80 millions d’euros. Il suffit d’estimer un volume de retours de location de 40 000 voitures en 2025. Soit environ 20 % des ventes annuelles du constructeur. "Il va bien falloir trouver une solution, explique ce financier. Quand nous reprenons notre portefeuille et nous nous projetons, les écarts sont énormes."

 

 

"Normalement, fixer un engagement de reprise relève du processus scientifique : nous regardons le passé et nous essayons de lire l’avenir. Le problème est que le passé ne comporte pas de voitures électriques", justifie Christophe Michaëli, directeur du marché automobile de BNP Paribas Personal Finance.

 

Dans une année normale, la masse de ces VR surestimées pourrait être absorbée au fur et à mesure. Mais, en 2025, compte tenu de la pression des normes CAFE sur les constructeurs, il se peut que ce soit la foire d’empoigne sur les promos en véhicules électriques et hybrides. "Il faut résoudre le problème de l’occasion avant de s’atteler au sujet de la voiture neuve", assure Christophe Michaëli.

 

Les marques automobiles promettent de s’attaquer à ce sujet avec un rachat d’un volume de ces VO. Stellantis en tête. Reste la question centrale : où les constructeurs vont‑ils mettre ces voitures ? Et à quel prix vont‑ils les revendre ? Certaines plateformes européennes de revente VO s’en frottent déjà les mains.

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