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Constructeurs

Véhicules électriques chinois : la Turquie comme cheval de Troie ?

Publié le 15 juillet 2024

Par Christophe Jaussaud
5 min de lecture
À l'image des constructeurs occidentaux qui profitent de l'accord douanier entre la Turquie et l'Union européenne, ceux venus de Chine comptent bien faire de même. Après l'annonce de l'implantation d'une usine BYD, Ankara indique discuter avec cinq autres acteurs chinois.
BYD Turquie
Comme les constructeurs occidentaux qui ont choisi la Turquie pour ses avantages compétitifs, les chinois veulent en profiter pour éviter les droits de douanes européens. ©BYD

L'Europe, cette union qui a longtemps eu la concurrence comme point cardinal, semble se réveiller. Les différents plans stratégiques de ces dernières années (semi-conducteurs, hydrogène, batteries…) semblent le montrer, comme les récentes taxes sur les véhicules électriques importés de Chine.

 

Mais tout cela aurait été trop facile, trop simple. En effet, pour contourner les taxes sur les VE importés, les constructeurs chinois ne sont pas pour autant obligés de mettre leur production sur le sol de l'Union européenne. La Turquie, qui a signé une entente douanière avec l'Europe, compte bien attirer les usines chinoises sur son sol. Les constructeurs occidentaux en profitent largement aussi.

 

Ainsi, BYD a été accueilli en grandes pompes dans le pays avec son projet d'usine synonyme de 5 000 emplois et d'un milliard d'euros d'investissement. La Turquie lui a même offert le terrain.

 

"Nous poursuivons nos pourparlers avec d'autres compagnies chinoises", a affirmé cette semaine le ministre turc de l'Industrie et de la Technologie, Mehmet Fatih Kacir. "Nous voulons transformer la Turquie en un centre de production de véhicules de nouvelle génération", a-t-il expliqué sur la chaîne publique Haberturk.

 

"La Turquie est un pays très avantageux du fait de son union douanière avec l'UE et de ses accords commerciaux avec 28 autres pays", a-t-il déroulé. "Les producteurs chinois souhaitent un accès rapide aux marchés mondiaux. Un investissement en Turquie leur offre ceci", idéalement situé entre l'Europe, le Moyen-Orient et l'Asie centrale.

 

Une taxe turque sur les véhicules chinois qui a duré deux jours !

 

Ankara a noué en 1995 un accord qui prévoit la libre circulation de biens entre la Turquie et l'UE pour de nombreuses catégories de biens, en particulier les automobiles, dont la Turquie s'est faite une spécialité depuis les années 1970, accueillant de nombreux constructeurs tels que Fiat, Renault, Ford, Toyota ou Hyundai.

 

À l'image de l'Europe, la Turquie avait imposé le 3 juillet 2024 une taxe supplémentaire de 40 % aux voitures importées de Chine. Avant, deux jours plus tard, de décréter une exonération pour les constructeurs qui investissent en Turquie leur ouvrant de facto l'accès au marché européen sans frais.

 

A lire aussi : Togg veut réinventer le concept de la mobilité individuelle

 

Après BYD, au moins cinq autres constructeurs automobiles chinois seraient en train d'étudier l'ouverture d'une usine en Turquie, selon l'agence officielle turque Anadolu. Un partenariat a aussi été signé entre le constructeur turc Togg et le chinois Farasis pour produire des batteries pour voitures électriques en Turquie.

 

Depuis un an, les rencontres se sont multipliées entre représentants du gouvernement turc et industriels chinois, a d'ailleurs relevé le ministre de l'Industrie. Début juin, le chef de la diplomatie turque, Hakan Fidan, s'est rendu en Chine pour sceller une nouvelle entente entre les deux pays, qualifiés par le ministre comme "moteurs de la richesse de l'Asie".

 

Une première depuis 2012 pour un haut responsable turc, Hakan Fidan a pu se rendre dans la région du Xinjiang dans laquelle Pékin est accusé de crimes contre l'humanité et de parquer plus d'un million de citoyens Ouïghours et d'autres minorités musulmanes : une politique que le président turc Recep Tayyip Erdogan avait qualifiée en 2009 de "génocide".

 

Mais depuis, Ankara a tempéré son discours et, lors de sa visite, Hakan Fidan a par deux fois insisté sur "le soutien total de la Turquie à l'intégrité territoriale de la Chine".

 

Pour Gulru Gezer, ancienne diplomate et directrice de programme à la Fondation Tepav de recherche sur les politiques économiques en Turquie, bien qu'important, le sort des Ouïghours n'est plus le seul ordre du jour entre Pékin et Ankara. Il ne devrait pas faire obstacle au développement de leurs relations. "La visite de Fidan a joué en ce sens. Le fait que Pékin ait laissé Fidan se rendre dans le Xinjiang, parler avec la population, ont été des pas positifs", estime-t-elle.

 

Pire, s'alarme Ceren Ergenç, experte sur les relations turco-chinoises au Centre for european policy studies, à Bruxelles : "Accueillir davantage d'investissements chinois pourrait changer la position de la Turquie sur la question ouïghoure et l'inciter à mettre en vigueur un accord d'extradition. Ce qui aurait un impact très négatif sur la sécurité de la diaspora ouïghoure en Turquie". Celle-ci est estimée à plusieurs dizaines de milliers de réfugiés.

 

Un climat économique pas assez fiable

 

Pour la chercheuse, la Turquie suit les pays européens qui veulent eux aussi inciter les entreprises chinoises à investir en Europe, en multipliant les taxes à l'importation. Mais des obstacles subsistent, relève-t-elle, citant "le règlement de l'UE relatif aux subventions étrangères" qui pourrait "compliquer pour la Chine l'utilisation de la Turquie comme tremplin vers l'UE".

 

Et aussi, "par le passé, des compagnies chinoises ont jugé le climat économique pas assez fiable en Turquie, lui préférant la Hongrie ou la Pologne".

 

Cependant, le rapprochement entre les deux pays est basé sur des intérêts communs, fait valoir Gulru Gezer. "Ankara et Pékin ont des points communs dont une vision du monde multipolaire. Leurs relations vont se développer encore davantage dans les périodes à venir", prédit-elle.

 

En marge du sommet de l'Otan à Washington, le président Erdogan a confirmé son intention de rejoindre comme membre permanent l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui réunit notamment la Russie, la Chine et l'Iran et dont la Turquie n'est encore que "partenaire". (avec AFP)

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