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Constructeurs

Philippe Krief, Alpine : "Le challenge de notre marque sera son internationalisation"

Publié le 18 novembre 2024

Par Nabil Bourassi
11 min de lecture
La marque premium du groupe Renault est entrée dans une phase d’élargissement de sa gamme avec l’arrivée de l’A290 et un premier aperçu de sa grande berline, l’A390. Mais Alpine doit encore asseoir sa notoriété sur un segment très disputé.
Philippe Krief Alpine
Philippe Krief, directeur général d’Alpine. ©Alpine

Le Journal de l’Automobile : Vous étiez très attendus au Mondial de l’Auto de Paris puisque vous présentiez, pour la première fois depuis très longtemps, une toute nou­velle silhouette. Quel a été l’accueil ?

Philippe Krief : Nous n’avons pas encore formalisé les retours sur le succès de notre stand lors des journées publiques, mais ceux de la presse ont été très bons parce que l’A390 est un véhicule qui n’existe pas aujourd’hui. Ce n’est ni un SUV ni un coupé… Je crois qu’à travers le style, le design extérieur, nous avons réussi à transmettre le message et l’ambition de notre marque sur un modèle cinq places.

 

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J.A. : Est‑ce qu’Alpine parvient à aller au‑delà de la curiosité et à créer de l’intérêt, ce qui est commercialement plus vendeur ?

P.K. : Alpine, ça parle à l’imagi­naire collectif. C’est un univers qui touche tout le monde surtout en France et qui se place dans un milieu lié au premium. C’est davantage que de la curio­sité, c’est un vrai intérêt pour une marque qui incarne quelque chose que les gens désirent mais qui n’est pas forcément accessible. Avec l’A290 et l’A390, nous proposons des produits qui peuvent leur per­mettre de franchir un seuil dans l’achat que ce soit en termes de prix ou d’usage. Pour nous, c’est essen­tiel parce que nous sommes dans une démarche de conquête.

 

J.A. : Cet univers Alpine est‑il évoca­teur au‑delà des frontières de l’Hexagone ?

P.K. : Pas suffisamment, c’est notre challenge. Pour le moment, les deux tiers de nos ventes se situent en France. Nous avons un gros tra­vail pour mieux nous positionner en Europe, puis en Asie à partir de 2026, puis enfin, nous irons aux États‑Unis.

 

J.A. : Vous incluez la Chine dans l’Asie ?

P.K. : Pas pour le moment. Nous regardons la Chine, bien sûr. Mais pour l’instant, nous ciblons davan­tage Singapour, la Corée du Sud, où le groupe Renault est déjà pré­sent, ou le Japon, où nous vendons déjà des A110.

 

Nous regardons la Chine. Mais pour l’instant, nous ciblons davan­tage Singapour, la Corée du Sud ou le Japon

 

J.A. : Vous avez évoqué la problématique des usages pour diversifier votre clientèle. Voulez‑vous faire des voi­tures de tous les jours contrairement à l’A110 ?

P.K. : Avec les nouveaux modèles, nous nous inscrivons sur d’autres usages qui permettront d’élargir notre clientèle. Mais notre philo­sophie est la même, c’est une expérience exceptionnelle, extraor­dinaire tous les jours. C’est‑à‑dire de la sportivité, un plaisir de conduite, de l’expérience, du raffi­nement à la française. C’est ce que nous allons mettre dans les A290 et A390, mais également dans les produits qui suivront.

 

J.A. : Comment situer Alpine sur le marché ?

P.K. : Alpine évolue dans un mar­ché que je dirais premium, mais je n’aime pas trop ce terme, parce que ce n’est pas tout à fait cela… C’est un marché de voitures sportives et exclusives qui suscitent de la recon­naissance sociale, de l’affirmation. C’est un marché en forte expansion dans le monde, même s’il est un peu stagnant en Europe. C’est pour cela qu’Alpine doit aller à l’international.

 

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J.A. : Quand on parle du segment pre­mium, on pense à BMW ou Merce­des‑Benz…

P.K. : Notre proposition de valeur se situe un cran au‑dessus, d’où ma réserve sur le terme premium.

 

J.A. : Quelle est la valeur ajoutée d’Alpine face à des marques qui sont bien installées sur les segments premium et au‑delà ?

P.K. : Ce créneau est occupé par des Allemands et des Italiens, mais étonnamment, vous n’avez pas de Français. À l’inverse, si vous par­courez le monde, les Français sont présents dans l’univers du luxe et de la mode. On peut légitimement se dire qu’il y a une place pour une marque automobile tricolore premium qui serait à la fois raf­finée et anticonformiste dans un univers très conventionnel. Mais l’ADN d’Alpine, c’est aussi sa lé­gèreté qui lui procure son expé­rience de conduite.

 

J.A. : Quel bilan faites‑vous de ces quelques années de commercialisation de l'Alpine A110 ?

P.K. : En 2023, nous avons enre­gistré une année record et nous sommes dans la même trajectoire en 2024. C’est très satisfaisant. Mais ce qui est intéressant, c’est que nous observons une forte appétence de nos clients pour des mix plus haut de gamme. Cela nous laisse en­trevoir la place disponible pour une proposition de valeur plus diversifiée et davantage d’options pour notre prochaine génération.

 

Bientôt, nos clients pourront per­sonnaliser leur véhicule et dessiner une voiture unique avec ses cou­leurs, son intérieur, ses matériaux que ce soit au niveau des sièges ou de la planche de bord.

 

J.A. : Avec des ventes en hausse, est‑ce qu’Alpine n’abîme pas les objec­tifs CAFE du groupe Renault ? Al­lez‑vous freiner les transactions pour ne pas trop lester le bilan car­bone du groupe ?

P.K. : L’A110 thermique est au­jourd’hui plutôt à la fin de son cycle qu’au début. Les ventes vont donc naturellement décroître. En paral­lèle, nous lançons en cette fin d'année l’A290, qui est 100 % électrique. De ce point de vue, Alpine sera déjà à l’équilibre dès 2024 et encore plus en 2025 avec la commercialisation de l’A290 sur l’ensemble de l’année et l’arrivée de l’A390.

 

J.A. : L’ADN d’Alpine, c’est aussi les sports mécaniques. Récemment, vous avez annoncé renoncer à fabriquer vos moteurs de Formule 1… N’est‑ce pas un coup de canif dans cette promesse d’incarnation de la sportivité ?

P.K. : Je ne crois pas. C’était une décision très difficile. Mais elle est très rationnelle. Alpine fait face à d’importants besoins d’investisse­ment et le choix entre concevoir et acheter un moteur est significatif d’un point de vue financier. On parle de 100 millions d’euros par an. Sur un plan de cinq à six ans, l’éco­nomie est substantielle. Et le retour sur investissement n’est pas très dif­férent entre produire et acheter le moteur F1. D’autant qu’Alpine est dans une phase d’investissement et d’innovation.

 

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Selon nous, l’exper­tise pointue dans le powertrain du site de Viry‑Châtillon sera cruciale sur nos modèles de série. D’autant que nous n’étions pas certains de disposer d’un moteur F1 compéti­tif dans le temps. Enfin, sur l’im­pact marketing, il faut savoir que seulement 50 % des Français qui connaissent Alpine savent que la marque concourt en Formule 1. À l’étranger, cette part tombe à moins de 20 %. Mais je vous rassure, Alpine garde son écurie et conti­nuera à courir la Formule 1 avec toujours cette ambition de mon­ter sur le podium. Je vous rappelle que sur dix écuries de Formule 1, il n’y a que quatre constructeurs de moteurs.

 

J.A. : En parlant d’investissements, une rumeur courait, et qui a été plus ou moins nourrie par Luca de Meo lui‑même, qu’Alpine pourrait juste­ment ouvrir son capital pour cher­cher des financements.

P.K. : Ce n’est pas l’actualité immé­diate d’Alpine. Notre priorité, c’est de dérouler notre plan produits afin de consolider notre gamme et notre positionnement. On verra alors ce qu’il en est.

 

J.A. : Cela signifie‑t‑il que, pour l’heure, la marque Alpine est financée ?

P.K. : Par le groupe Renault, oui. Notre objectif, c’est d’atteindre la rentabilité en 2026 et de commen­cer à nous autofinancer.

 

J.A. : À quel type de synergies avez‑vous recours pour optimiser la rationali­sation de vos coûts ? Il y a le groupe Renault, mais que reste‑t‑il de l’al­liance avec Nissan pour Alpine ?

P.K. : Avec Nissan, il n’y a pas vraiment de synergies en cours. Avec Renault, nous partageons des plateformes. L’A290 en est un par­fait exemple puisque celle‑ci a été conçue à partir de la plateforme AmpR Small développée par Am­pere et dédiée aux voitures élec­triques. Nous l’avons fait évoluer aussi bien au niveau mécanique qu’au niveau du design. Nous fe­rons pareil sur la plateforme de l’A390 qui a servi à faire la Renault Megane. En revanche, la future A110 coupé aura une déclinaison cabriolet et une version quatre places, ce qui fera trois modèles sur cette plateforme. Il y en aura peut‑être un quatrième. Cette plateforme sera développée par et pour Alpine, pour déployer la gamme la plus ico­nique de notre marque.

 

Notre objectif, c’est d’atteindre la rentabilité en 2026 et de commencer à nous autofinancer

 

J.A. : Le contexte autour de la voiture élec­trique a beaucoup changé depuis votre décision de faire d’Alpine une marque exclusivement électrique. Pourriez‑vous modifier votre stratégie comme d’autres en gardant un peu de modèles thermiques ?

P.K. : Alpine reste focus sur le plaisir de conduite. Et donc, oui, nous allons proposer des voi­tures électriques parce que nous voulons vivre avec notre temps et que nous pensons que c’est la direction que prennent le marché et nos clients. Mais surtout, parce que nous croyons qu’il est possible d’apporter de la valeur ajoutée grâce à l’électrique. D’autant que la marque Alpine n’est pas desti­née à faire du mass market. Notre segment, c’est celui où les gens se font plaisir et l’électrique est par­faitement adaptée pour cela.

 

J.A. : Mais le marché est en panne… Avez‑vous un plan B s’il s’effondre demain ?

P.K. : Nous avons même un plan C. Évidemment. J’ai déjà vécu cette expérience où le marché rechigne face à l’innovation… Lorsque nous sommes passés de la direction mécanique à la direction hydraulique, cela avait soulevé de nombreux griefs. Ensuite, il y a eu la direction électrique qui a suscité les mêmes résistances. Aujourd’hui, on ne peut plus faire machine arrière, c’est acquis.

 

J.A. : Est‑ce que le véritable accélérateur de la mobilité électrique sera l'avènement de la batterie solide ?

P.K. : Je ne pense pas que cela changera fondamentalement les choses. Aujourd’hui, les progrès des batteries sont tels qu’elles ne sont plus très éloignées des pro­messes des batteries solides. Ces dernières nécessitent encore de nombreux réglages industriels et techniques. Le véritable enjeu pour la batterie, demain, c’est celui de son coût. Et nous travaillons beau­coup dessus, notamment au niveau de Renault Group et d’Ampere pour abaisser la structure de coût des batteries et être compétitifs.

 

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J.A. : Est‑ce que l’hydrogène est une solu­tion que vous envisagez ?

P.K. : Nous avons présenté au salon de Paris l’Alpenglow Hy6. Il s’agit de notre laboratoire de l’innovation. Ce véhicule accueille le tout premier moteur thermique à hydrogène d’Alpine, qui pour­ra prolonger nos études sur cette technologie dès les prochaines se­maines. Cette technologie est in­téressante pour une marque spor­tive comme Alpine, tant pour la course que pour des véhicules de route particulièrement sportifs et exclusifs. Et ceci en complément de notre gamme 100 % électrique. Nous poursuivons nos recherches afin d’être prêts lorsque les régle­mentations et l’infrastructure se­ront adaptées.

 

J.A. : Ces dernières années, Alpine a fait l’objet de nombreux revirements stratégiques comme ce projet de dé­velopper la future A110 avec Lotus en Angleterre ou encore d’importants remaniements de gouvernance.

P.K. : Le plan a toujours été clair. C’est le fameux Dream Garage qui était de trois véhicules lors de la pré­sentation du plan stratégique par Luca de Meo, à un catalogue finalement de six à sept véhicules à terme. L’exécution de ce plan était plus complexe. On parle d’un plan in­dustriel ambitieux, il a fallu un peu de temps et de réajustement pour converger. Quelle plateforme ? Faut‑il l’acheter ou la concevoir ? Quels composants ? Ce sont de nombreuses questions, chacune avec de vrais enjeux, qu’il fallait ar­bitrer. Aujourd’hui, c’est une partie qui a été tranchée et stabilisée et nous sommes dans une phase d’exécution. L’équation a évolué, la stratégie s’est simplement adaptée sans perdre de vue les objectifs.

 

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J.A. : Quelle est votre stratégie de distri­bution ?

P.K. : Nous nous basons sur un réseau de distribution de dealers 100 % Alpine avec des standards propres à notre marque à tous les niveaux : accueil, expérience, après‑vente… Une partie de notre réseau sera constituée de distribu­teurs Renault disposant d’un es­pace consacré à notre univers de marque, mais en respectant nos standards. À la fin de l’année, notre réseau comptera 160 points de vente dans le monde, ce qui corres­pond à notre vitesse de croisière. Nous n’irons pas beaucoup plus loin sauf au gré de nos lancements, avec peut‑être jusqu’à 200 points de vente.

 

Nous allons également déployer des "Ateliers", des vi­trines Alpine dans les grandes capitales. Nous en avons ouvert un à Barcelone, d’autres sont prévus en Allemagne, à Milan, à Londres… À Paris, notre Atelier sera situé boulevard des Capucines et nous programmons son ouverture pro­chainement. C’est un endroit où on pourra vivre exactement l’expé­rience Alpine mais à 360 degrés à travers des simulateurs pour voir dans le détail tout ce qui est per­sonnalisation. Bien sûr, il y aura aussi des voitures.

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