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Constructeurs

Nouvelle donne sur le marché de l’électrification

Publié le 31 octobre 2024

Par Nabil Bourassi
10 min de lecture
L'année 2024 restera comme un point de bascule pour l'industrie automobile européenne. L’essoufflement inattendu du marché des voitures électriques et l’envol des modèles full hybrid ont pris les constructeurs de court. Les pouvoirs publics, eux, ne semblent plus en mesure de soutenir les véhicules à batterie qu’ils ont pourtant imposés à la filière.
marché de l'électrique
La technologie full hybrid a le vent en poupe avec des ventes qui se sont envolées de 22 % au premier semestre 2024. ©AdobeStock-paulynn

Quel retournement de marché ! L’année 2024 aura sonné le glas de la trajectoire exponentielle de la voiture électrique, à la faveur des hybrides. Cette nouvelle donne n’aura été anticipée par aucun constructeur et très peu d’ana­lystes du marché.

 

Et la débâcle est rude au vu des sommes investies. Sur les seules batteries, la filière a misé 250 mil­liards d’euros. Sans parler des fortunes mises dans les nouvelles gammes, les nouvelles plate­formes, les budgets marketing des nouveaux modèles…

 

Au‑delà de ces pertes faramineuses, les constructeurs s’inquiètent des conséquences sur les objectifs CAFE. Renault est très mal posi­tionné avec la fin de la Zoe et l’exclusion de la Spring du dispositif de leasing social. Luca de Meo, patron de Renault, s’alarme des conséquences pécuniaires sur la filière si le marché ne se redresse pas et chiffre à 15 milliards d’eu­ros les amendes potentielles.

 

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Il ne reste donc plus que les hy­brides pour limiter la casse. Mais là aussi, les termes du débat ont radicalement changé avec des ga­gnants et des perdants.

 

Revenons sur l’implacable ré­alité des chiffres pour mieux comprendre ce nouveau paysage. Après une progression à deux chiffres depuis la Covid, la crois­sance des véhicules électriques a donc été stoppée net dès le pre­mier semestre.

 

Les ventes n'ont augmenté que de 1,3 % en Europe (sur un marché en hausse de 5 %) et la pénétration est quasi stable à 13 %. D’un côté, le mar­ché a été soutenu en France par le leasing social (+15 % sur six mois). De l’autre côté, la fin bru­tale du bonus en Allemagne a fait baisser les ventes de 16 %.

 

C’est le marché hybride qui a bé­néficié de ce désamour mais pas n’importe quelle hybridation. Ainsi, les hybrides rechargeables (PHEV) n’ont pas profité de l’au­baine et ont vu leur pénétration baisser à 6,9 %.

 

La chute des PHEV

 

Il faut dire que les PHEV, autre­fois coqueluches des flottes d’en­treprise, sont sous forte pression depuis plusieurs années avec des subventions publiques en retrait continu.

 

Les États ont cessé de considérer le PHEV comme une solution de décarbonation durable. Ils sont plus lourds et les conducteurs, la plupart du temps équipés par leur entreprise pour des raisons fiscales, ne rechargent pas suffisamment (voire jamais) la batterie. In fine, ils polluent plus.

 

Une étude de Transport & En­vironment a mis en lumière ce défaut d’usage à une échelle qui rend le PHEV rédhibitoire d’un point de vue écologique.

 

D’ailleurs, le barème de calcul du bilan carbone des PHEV sera bientôt révisé. Certains modèles pourraient voir leurs émissions de CO2 doubler, voire tripler à partir du 1er janvier prochain.

 

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À titre d’exemple, un BMW X1 PHEV passerait ainsi de 45 à 96 g de CO2 par kilomètre. Autrement dit, le petit SUV de la marque premium allemande sortirait des objectifs CAFE. En 2027, son bi­lan carbone atteindra même les 122 g.

 

À l’inverse, la technologie du 48 V est une aubaine pour les consommateurs. Elle permet de compenser les manœuvres les plus énergivores des véhicules grâce à une technologie élec­trique d’appoint qui n’a pas besoin d’être rechargée.

 

D’après les constructeurs, il est possible de conduire en zéro émission en ville grâce à cette dernière. De plus, elle n’est pas très chère : "C’est le nouveau diesel", se réjouissent les constructeurs au­tomobiles en chœur.

 

En réalité, le bénéfice écologique du 48 V est limité à 10 à 15 % des rejets de CO2. Une performance insuffisante pour atteindre le zéro émission et pour être dans les clous des objectifs CAFE.

 

Toyota qui rit, Stellantis et Volkswagen qui pleurent

 

C’est donc sur la technologie full hybrid que les consommateurs se sont rués. Les ventes ont bondi de 22 % au premier semestre pour atteindre une part de marché de 30 % en Europe. Au rythme actuel, les ventes de full hybrid pour­raient représenter trois fois celles des voitures électriques et sept fois celles des PHEV à très court terme.

 

Cette technologie a été lar­gement défendue par Toyota qui se frotte les mains. Pour rappel, c’est le même qui n’a jamais vrai­ment cru en la voiture électrique à batterie. Au premier semestre, les ventes du japonais se sont en­volées de 20 %, caressant les 8 % de part de marché, soit un point de plus en un an.

 

À l’inverse, cette nouvelle donne est une catastrophe pour Stellantis et Volkswagen qui sont totalement absents de la technologie full hy­brid et qui avaient misé d’impor­tants moyens sur la voiture 100 % électrique. Officiellement, ils n’ont annoncé aucune inflexion sur leur stratégie de propulsion.

 

Ils estiment (toujours officiel­lement) que le 100 % électrique reste dans le sens de l’histoire, mais aussi de la réglementation. Les analystes, eux, sont plus cir­conspects. "Les constructeurs dans une certaine mesure, mais surtout les pouvoirs publics commencent à réaliser le décalage entre la voi­ture électrique et le mass market et tout ce que cela implique. On se rend compte que c’est plus cher, plus contraignant et donc un challenge pour l’imposer à l’échelle de toute une population", juge Guillaume Crunelle, directeur associé chez Deloitte et spécialiste de l’indus­trie automobile.

 

Même son de clo­che chez Thomas Morel, directeur associé chez McKinsey : "Pour les acteurs de l’industrie automobile, l’hybridation était une technolo­gie de transition. Aujourd’hui, on estime que cette transition devrait durer plus longtemps que prévu."

 

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"Aux yeux du consommateur, l’hybridation présente des atouts sur certains points que l’électrique n’a pas encore totalement résolus : le stress de l’autonomie, la percep­tion d’un risque de fiabilité sur une technologie nouvelle, la question du prix ou encore la valeur rési­duelle…", ajoute Thomas Morel.

 

Autrement dit, la voiture électrique est le faire‑valoir de l’hybridation. D’ailleurs, la contrainte de l’infrastructure de recharge est égale­ment un argument à charge contre les PHEV. Pour les constructeurs automobiles, le changement de pa­radigme en cours est complexe… et coûteux. "C’est un coût en termes de portefeuille de produits", rappelle Thomas Morel. Il est impéra­tif de trancher, mais le flou artis­tique qui entoure la réglementation européenne n’aide pas…

 

Les caisses de l’État sont vides

 

Face au plongeon des voitures électriques, les constructeurs au­tomobiles attendent que les pou­voirs publics remettent la main à la poche. Or, la situation bud­gétaire des États européens laisse peu de marge de manœuvre pour une nouvelle politique de soutien massif à la voiture électrique. Pour rappel, la facture des aides pu­bliques à l’achat de l’État français (tous dispositifs confondus) de­vrait atteindre 1,5 milliard d’euros. Une somme colossale quand on sait que le gouvernement cherche à économiser 17 milliards d’euros.

 

"Bruxelles a deux leviers : le bud­get ou la réglementation, s’il ne peut pas bouger le premier, il de­vra bouger le second, c’est une question de vie ou de mort pour les constructeurs automobiles eu­ropéens", nous explique un né­gociateur représentant la filière automobile auprès des institutions européennes.

 

De fait, de plus en plus de voix se lèvent pour réclamer des aména­gements sur les objectifs CAFE : Renault, Volkswagen, plus récem­ment, c’est le gouvernement italien qui s’est exprimé sur le sujet…

 

"La probabilité d’un marché auto­mobile 100 % électrique en 2035 est remise en question. Les constructeurs travaillent sur des solutions alternatives comme l’hybride, les prolongateurs d’autonomie (range extenders), les carburants verts ou la combustion à hydrogène. En attendant la pleine maturité de l’écosystème du véhicule électrique, l’hybridation reste la meilleure fa­çon de répondre aux besoins du plus grand nombre, tout en rédui­sant les émissions de CO2. On peut s’attendre à ce que cette technologie subsiste encore un moment", ex­plique, fataliste, Thomas Morel.

 

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En d’autres termes, la balle est dans le camp du législateur. "Si on laisse l’industrie automobile dépérir face à cette équation impossible, ce sont les mouvements populistes qui iront sur les piquets de grève des ouvriers le jour où les constructeurs annonce­ront des fermetures d’usines", pro­phétise notre négociateur.

 

"Revenir sur le full hybrid n’a aucun sens d’un point de vue régle­mentaire et économique, cela décrédibilisera la parole publique qui avait promis le 100 % électrique pour tous", ajoute‑t‑il.

 

Guillaume Crunelle s’interroge également sur la cohérence des arbitrages publics : "Les pouvoirs publics n’ont pas suffisamment pris en compte la contrainte sociale des besoins de mobilité, notamment de certaines classes plus concernées que d’autres. Une fois qu’on a vendu des voitures électriques à ceux qui en avaient les moyens, on se rend compte que le réservoir d’acheteurs est plus contraint. Il y a également une vraie question de timing. Il faut du temps pour qu’une technologie soit acceptée et on a voulu aller plus vite que nécessaire sur l’électrique."

 

L’hybride plus cher à développer que l’électrique

 

Pour autant, un groupe comme Stellantis n’a pas souhaité s’asso­cier à l’initiative de Renault de demander un report des normes CAFE. Mais Thomas Morel conti­nue de penser que l’hybridation restera une solution de transition : "Elle embarque deux technologies, ce qui rend les véhicules plus lourds en termes de poids, mais aussi en termes de process puisqu’il faut connecter ces deux technologies, ce qui est source de complexité."

 

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L’automobile européenne souffre ainsi de fortes distorsions de marché avec des contraintes réglementaires qui conduisent les constructeurs à pousser des ventes plus que d’autres. "Il n’y a plus de loi de l’offre et de la demande en Europe, déplore le négociateur qui insiste, c’est ça qui rend un marché efficient."

 

Mais les analystes préfèrent désor­mais rester prudents sur leurs pré­visions. "Nous nous sommes trom­pés tellement souvent ces dernières années", reconnaît, sous cape, un spécialiste du secteur. Le marché automobile est désormais extrê­mement corrélé aux politiques pu­bliques. Les États comme la Com­mission ont le pouvoir de faire bouger les curseurs.

 

À quelques mois de l’entrée en vigueur du nouveau seuil de la norme CAFE, la filière reste dans l’expectative.

 

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En France, le doute sur la fisca­lité et les bonus pourrait durer jusqu’à la dernière minute tant le gouvernement est en retard sur le processus d’adoption de la loi de finances 2025. Les représentants de la filière sont toutefois très in­quiets sur les intentions du gou­vernement Barnier qui pourrait alourdir la fiscalité des hybrides et celle sur le poids des véhicules.

 

Dernier espoir… la détente des taux d’intérêt, mais rien n’in­dique que cela suffira à relancer la demande européenne. Face à de telles incertitudes sur la de­mande, les valeurs résiduelles, la fiscalité, les prix… le full hybrid pourrait devenir la valeur sûre du secteur automobile autant pour les consommateurs que pour les constructeurs.

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