Nouvelle donne sur le marché de l’électrification
Quel retournement de marché ! L’année 2024 aura sonné le glas de la trajectoire exponentielle de la voiture électrique, à la faveur des hybrides. Cette nouvelle donne n’aura été anticipée par aucun constructeur et très peu d’analystes du marché.
Et la débâcle est rude au vu des sommes investies. Sur les seules batteries, la filière a misé 250 milliards d’euros. Sans parler des fortunes mises dans les nouvelles gammes, les nouvelles plateformes, les budgets marketing des nouveaux modèles…
Au‑delà de ces pertes faramineuses, les constructeurs s’inquiètent des conséquences sur les objectifs CAFE. Renault est très mal positionné avec la fin de la Zoe et l’exclusion de la Spring du dispositif de leasing social. Luca de Meo, patron de Renault, s’alarme des conséquences pécuniaires sur la filière si le marché ne se redresse pas et chiffre à 15 milliards d’euros les amendes potentielles.
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Il ne reste donc plus que les hybrides pour limiter la casse. Mais là aussi, les termes du débat ont radicalement changé avec des gagnants et des perdants.
Revenons sur l’implacable réalité des chiffres pour mieux comprendre ce nouveau paysage. Après une progression à deux chiffres depuis la Covid, la croissance des véhicules électriques a donc été stoppée net dès le premier semestre.
Les ventes n'ont augmenté que de 1,3 % en Europe (sur un marché en hausse de 5 %) et la pénétration est quasi stable à 13 %. D’un côté, le marché a été soutenu en France par le leasing social (+15 % sur six mois). De l’autre côté, la fin brutale du bonus en Allemagne a fait baisser les ventes de 16 %.
C’est le marché hybride qui a bénéficié de ce désamour mais pas n’importe quelle hybridation. Ainsi, les hybrides rechargeables (PHEV) n’ont pas profité de l’aubaine et ont vu leur pénétration baisser à 6,9 %.
La chute des PHEV
Il faut dire que les PHEV, autrefois coqueluches des flottes d’entreprise, sont sous forte pression depuis plusieurs années avec des subventions publiques en retrait continu.
Les États ont cessé de considérer le PHEV comme une solution de décarbonation durable. Ils sont plus lourds et les conducteurs, la plupart du temps équipés par leur entreprise pour des raisons fiscales, ne rechargent pas suffisamment (voire jamais) la batterie. In fine, ils polluent plus.
Une étude de Transport & Environment a mis en lumière ce défaut d’usage à une échelle qui rend le PHEV rédhibitoire d’un point de vue écologique.
D’ailleurs, le barème de calcul du bilan carbone des PHEV sera bientôt révisé. Certains modèles pourraient voir leurs émissions de CO2 doubler, voire tripler à partir du 1er janvier prochain.
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À titre d’exemple, un BMW X1 PHEV passerait ainsi de 45 à 96 g de CO2 par kilomètre. Autrement dit, le petit SUV de la marque premium allemande sortirait des objectifs CAFE. En 2027, son bilan carbone atteindra même les 122 g.
À l’inverse, la technologie du 48 V est une aubaine pour les consommateurs. Elle permet de compenser les manœuvres les plus énergivores des véhicules grâce à une technologie électrique d’appoint qui n’a pas besoin d’être rechargée.
D’après les constructeurs, il est possible de conduire en zéro émission en ville grâce à cette dernière. De plus, elle n’est pas très chère : "C’est le nouveau diesel", se réjouissent les constructeurs automobiles en chœur.
En réalité, le bénéfice écologique du 48 V est limité à 10 à 15 % des rejets de CO2. Une performance insuffisante pour atteindre le zéro émission et pour être dans les clous des objectifs CAFE.
Toyota qui rit, Stellantis et Volkswagen qui pleurent
C’est donc sur la technologie full hybrid que les consommateurs se sont rués. Les ventes ont bondi de 22 % au premier semestre pour atteindre une part de marché de 30 % en Europe. Au rythme actuel, les ventes de full hybrid pourraient représenter trois fois celles des voitures électriques et sept fois celles des PHEV à très court terme.
Cette technologie a été largement défendue par Toyota qui se frotte les mains. Pour rappel, c’est le même qui n’a jamais vraiment cru en la voiture électrique à batterie. Au premier semestre, les ventes du japonais se sont envolées de 20 %, caressant les 8 % de part de marché, soit un point de plus en un an.
À l’inverse, cette nouvelle donne est une catastrophe pour Stellantis et Volkswagen qui sont totalement absents de la technologie full hybrid et qui avaient misé d’importants moyens sur la voiture 100 % électrique. Officiellement, ils n’ont annoncé aucune inflexion sur leur stratégie de propulsion.
Ils estiment (toujours officiellement) que le 100 % électrique reste dans le sens de l’histoire, mais aussi de la réglementation. Les analystes, eux, sont plus circonspects. "Les constructeurs dans une certaine mesure, mais surtout les pouvoirs publics commencent à réaliser le décalage entre la voiture électrique et le mass market et tout ce que cela implique. On se rend compte que c’est plus cher, plus contraignant et donc un challenge pour l’imposer à l’échelle de toute une population", juge Guillaume Crunelle, directeur associé chez Deloitte et spécialiste de l’industrie automobile.
Même son de cloche chez Thomas Morel, directeur associé chez McKinsey : "Pour les acteurs de l’industrie automobile, l’hybridation était une technologie de transition. Aujourd’hui, on estime que cette transition devrait durer plus longtemps que prévu."
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"Aux yeux du consommateur, l’hybridation présente des atouts sur certains points que l’électrique n’a pas encore totalement résolus : le stress de l’autonomie, la perception d’un risque de fiabilité sur une technologie nouvelle, la question du prix ou encore la valeur résiduelle…", ajoute Thomas Morel.
Autrement dit, la voiture électrique est le faire‑valoir de l’hybridation. D’ailleurs, la contrainte de l’infrastructure de recharge est également un argument à charge contre les PHEV. Pour les constructeurs automobiles, le changement de paradigme en cours est complexe… et coûteux. "C’est un coût en termes de portefeuille de produits", rappelle Thomas Morel. Il est impératif de trancher, mais le flou artistique qui entoure la réglementation européenne n’aide pas…
Les caisses de l’État sont vides
Face au plongeon des voitures électriques, les constructeurs automobiles attendent que les pouvoirs publics remettent la main à la poche. Or, la situation budgétaire des États européens laisse peu de marge de manœuvre pour une nouvelle politique de soutien massif à la voiture électrique. Pour rappel, la facture des aides publiques à l’achat de l’État français (tous dispositifs confondus) devrait atteindre 1,5 milliard d’euros. Une somme colossale quand on sait que le gouvernement cherche à économiser 17 milliards d’euros.
"Bruxelles a deux leviers : le budget ou la réglementation, s’il ne peut pas bouger le premier, il devra bouger le second, c’est une question de vie ou de mort pour les constructeurs automobiles européens", nous explique un négociateur représentant la filière automobile auprès des institutions européennes.
De fait, de plus en plus de voix se lèvent pour réclamer des aménagements sur les objectifs CAFE : Renault, Volkswagen, plus récemment, c’est le gouvernement italien qui s’est exprimé sur le sujet…
"La probabilité d’un marché automobile 100 % électrique en 2035 est remise en question. Les constructeurs travaillent sur des solutions alternatives comme l’hybride, les prolongateurs d’autonomie (range extenders), les carburants verts ou la combustion à hydrogène. En attendant la pleine maturité de l’écosystème du véhicule électrique, l’hybridation reste la meilleure façon de répondre aux besoins du plus grand nombre, tout en réduisant les émissions de CO2. On peut s’attendre à ce que cette technologie subsiste encore un moment", explique, fataliste, Thomas Morel.
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En d’autres termes, la balle est dans le camp du législateur. "Si on laisse l’industrie automobile dépérir face à cette équation impossible, ce sont les mouvements populistes qui iront sur les piquets de grève des ouvriers le jour où les constructeurs annonceront des fermetures d’usines", prophétise notre négociateur.
"Revenir sur le full hybrid n’a aucun sens d’un point de vue réglementaire et économique, cela décrédibilisera la parole publique qui avait promis le 100 % électrique pour tous", ajoute‑t‑il.
Guillaume Crunelle s’interroge également sur la cohérence des arbitrages publics : "Les pouvoirs publics n’ont pas suffisamment pris en compte la contrainte sociale des besoins de mobilité, notamment de certaines classes plus concernées que d’autres. Une fois qu’on a vendu des voitures électriques à ceux qui en avaient les moyens, on se rend compte que le réservoir d’acheteurs est plus contraint. Il y a également une vraie question de timing. Il faut du temps pour qu’une technologie soit acceptée et on a voulu aller plus vite que nécessaire sur l’électrique."
L’hybride plus cher à développer que l’électrique
Pour autant, un groupe comme Stellantis n’a pas souhaité s’associer à l’initiative de Renault de demander un report des normes CAFE. Mais Thomas Morel continue de penser que l’hybridation restera une solution de transition : "Elle embarque deux technologies, ce qui rend les véhicules plus lourds en termes de poids, mais aussi en termes de process puisqu’il faut connecter ces deux technologies, ce qui est source de complexité."
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L’automobile européenne souffre ainsi de fortes distorsions de marché avec des contraintes réglementaires qui conduisent les constructeurs à pousser des ventes plus que d’autres. "Il n’y a plus de loi de l’offre et de la demande en Europe, déplore le négociateur qui insiste, c’est ça qui rend un marché efficient."
Mais les analystes préfèrent désormais rester prudents sur leurs prévisions. "Nous nous sommes trompés tellement souvent ces dernières années", reconnaît, sous cape, un spécialiste du secteur. Le marché automobile est désormais extrêmement corrélé aux politiques publiques. Les États comme la Commission ont le pouvoir de faire bouger les curseurs.
À quelques mois de l’entrée en vigueur du nouveau seuil de la norme CAFE, la filière reste dans l’expectative.
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En France, le doute sur la fiscalité et les bonus pourrait durer jusqu’à la dernière minute tant le gouvernement est en retard sur le processus d’adoption de la loi de finances 2025. Les représentants de la filière sont toutefois très inquiets sur les intentions du gouvernement Barnier qui pourrait alourdir la fiscalité des hybrides et celle sur le poids des véhicules.
Dernier espoir… la détente des taux d’intérêt, mais rien n’indique que cela suffira à relancer la demande européenne. Face à de telles incertitudes sur la demande, les valeurs résiduelles, la fiscalité, les prix… le full hybrid pourrait devenir la valeur sûre du secteur automobile autant pour les consommateurs que pour les constructeurs.
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