Les marques chinoises doivent se faire un nom
BYD, Nio, Great Wall, Aiways, Seres, Leapmotor, Wei, Ora, VinFast, la liste est loin d’être exhaustive. Des noms qui sont aujourd’hui exotiques, mais qui, au fil des années, pourraient intégrer le paysage automobile. D’ici dix-huit mois, plus d’une dizaine de marques chinoises (et vietnamienne pour VinFast) seront, en effet, disponibles sur le marché hexagonal.
Mais leur patronyme ne risque-t-il pas d’être problématique pour leur développement? Porter des noms difficilement prononçables en français, qui ressemblent à des codes ou qui prêtent à sourire, comme les BYD Han, Aiways U5 ou WEY Coffee 01, est-ce préjudiciable à leur image? "C’est une question que l’on s’est posée lorsqu’il y a vingt-cinq ans, les constructeurs coréens sont arrivés sur le marché européen, se rappelle José Baghdad, associé, responsable du secteur auto chez PwC France et Maghreb. Ils n’avaient aucune image, mais finalement, si l’on regarde dans le rétroviseur, cela n’a pas eu d’impact sur leur carrière."
A lire aussi : Leapmotor bientôt distribuée en France par SN Diffusion
"La marque est le sixième critère d’achat selon notre étude TGI France", présente Léopold Sarthou, directeur d’études publicitaires chez Kantar Media. « En Europe, la marque reste encore importante, observe José Baghdad. Avec le déploiement de l’électrique qui a tendance à lisser les prestations des modèles, c’est un capital, pour les constructeurs, important à conserver, mais selon les études, la marque comme critère d’appartenance à un statut social ne couvre que 25 à 30 % des attentes des clients. 70 % portent donc sur d’autres items, notamment le prix, la fiabilité, etc." Et dans un monde où la mobilité tend à prendre l’ascendant sur l’objet automobile, la marque risque de passer au second plan, au bénéfice du service et de l’expérience client.
Une promesse à tenir
Léopold Sarthou tempère également sur le nom : « La marque n’est pas un frein si la promesse client est tenue ». "Tesla est un parfait exemple, reprend José Baghdad. L’émergence soudaine de la marque ne l’a pas empêchée de révolutionner l’approche de la voiture électrique avec tout le succès et, de fait, la notoriété qu’elle connaît aujourd’hui."
D’une manière générale, on attend donc des constructeurs chinois des produits pas chers, bien que l’image et l’attente du client évoluent fortement. « Regardez ce qui s’est passé dans la téléphonie ou dans la technologie, note Julien Mechin, fondateur de l’agence Creads, spécialisée dans le naming et la création de marque. Huawei, Xiaomi, Oppo dans la téléphonie, TCL, Hisense ou Haier dans l’électroménager ont réussi à s’implanter et à faire connaître leur marque et leurs produits. »
A lire aussi : Maxus arrive dans l'Hexagone avec Car East France
En 2021, en France, Haier, qui a racheté l’italien Candy-Hoover, a revendiqué 7 % de part de marché dans l’électroménager. De son côté, Xiaomi, avec 23 % (+ 45 %), toujours en 2021, s’est octroyé la deuxième place du marché du smartphone, devançant Apple, tandis qu’Oppo a pris la quatrième place avec une pénétration de 8 % (+ 71 %). "Toute une nouvelle génération grandit actuellement avec les marques chinoises et elle n’en a pas une image négative", observe Julien Mechin.
"Lorsque le client n’a pas d’autres choix que d’aller acheter un véhicule électrique 20 ou 30 % moins cher que la concurrence, peu importe la marque", avance plus prosaïquement Léopold Sarthou. "Le client a néanmoins besoin d’être rassuré", poursuit-il.
C’est pourquoi lorsque la marque ne s’appuie que sur de la vente en ligne, cela ne fonctionne pas. L’exemple d’Aiways est flagrant. La marque qui se voulait disruptive dans la commercialisation de ses produits, en faisant l’impasse sur un réseau de distribution, a fait machine arrière. Elle a ouvert un concept store dans le centre de Paris et d’autres points de contact avec les clients sont en cours de déploiement.
Un marché fragmenté
N’oublions pas que pour la plupart des acteurs chinois, l’Europe reste un terrain de découverte le plus total. "Il s’agit d’un marché exigeant, compétitif et très fragmenté, rappelle José Baghdad. Les Chinois écoulent la quasi-totalité de leur production au niveau local. Et comme ils ont le vent en poupe sur leur territoire, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années, ils essaient de s’exporter en Europe.
Mais ils sont là avant tout pour apprendre, tester et corriger en fonction de leurs expériences, quitte à abandonner l’Europe un certain
temps pour revenir plus tard, le tout sur des périodes très courtes." Avec un nouveau nom par exemple.
A lire aussi : Great Wall Motor débarque en France avec la marque Wei
Reste l’impact de la publicité. Selon Kantar Media, entre 60 et 70 % des plus de 2 milliards d’euros investis chaque année dans la publicité par les constructeurs automobiles le sont par les cinq premiers annonceurs du marché. Dans les prochaines années, l’enjeu principal des constructeurs chinois ne sera donc probablement pas leur nom, aussi difficile à prononcer soit-il, mais de se faire connaître et de développer une image. « Car une marque, c’est avant tout un seul mot qui doit résumer et évoquer l’identité de la marque et de ses produits », rappelle Julien Mechin. Le chemin risque d’être long. Ou pas.
______________________________________________
Trois questions à Guillaume Crunelle, associé Deloitte
"Les acteurs qui disposeront d'une proposition tarifaire correspondant aux attentes du marché auront toutes leurs chances de s'implanter"
Journal de l'Automobile : Quelle est la stratégie de ces entrants chinois concernant leur marque ?
Guillaume Crunelle : On observe deux stratégies. La première est celle de SAIC et elle est, aujourd’hui, unique. Le groupe est arrivé avec la marque MG Motor, un nom qui porte dans l’imaginaire des automobilistes européens, bien que les produits, des SUV électriques, soient différents de l’image de la marque connue pour ses petits roadsters. La seconde, et c’est celle qui est retenue par la grande majorité des acteurs, faute de ne pas bénéficier d’un nom européen, est de commercialiser leurs gammes sous leur propre marque. Est-ce un frein? Pas forcément. La liberté que j’ai avec le produit ou avec l’approche marketing, je l’ai aussi avec le nom. Cela a été le cas, par exemple, de Tesla. Mais attention, il y aura très peu d’élus.
J. A. : L’obligation de rouler à l’électrique dans un avenir proche n’est-il pas un terreau fertile pour toutes ces nouvelles marques ?
G. C. : L’un des principaux freins à la conversion du marché vers l’électrique est le prix des modèles. Les acteurs qui disposeront d’une proposition tarifaire correspondant aux attentes du marché auront toutes leurs chances de s’implanter et de réussir. Rappelons que, selon une récente étude que nous avons réalisée, 70 % des personnes interrogées ne sont pas prêtes à dépenser plus de 30000 euros pour acheter une voiture électrique et elles sont 90 % au-dessous de 50000 euros. Mais n’oublions pas que les acteurs chinois arrivent sur un marché dont ils ne maîtrisent pas les codes. D’un point de vue marketing, ils ont tout à apprendre. On estime qu’une quinzaine de marques chinoises vont essayer de se développer en Europe. Toutes n’y arriveront pas. Mais elles sont agiles.
J. A. : Ce qui n’est pas obligatoirement le cas des marques dites occidentales ?
G. C. : La plupart des marques européennes ou américaines prennent leur ancrage à la fin du XIXe siècle, il y a plus de 120 ans. Leur image de marque est extrêmement forte et elles n’ont pas la même flexibilité que des marques plus récentes et dont tout est à construire. En Chine, elles ont, dans la plupart des cas, moins de vingt ans et ont été portées par le marché automobile local qui a été multiplié par dix en quinze ans. Tout est donc nouveau. Avec tout ce que cela peut ouvrir comme champ des possibles.
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.