Jaguar Land Rover : la tension monte chez les concessionnaires européens
Mais que se passe‑t‑il chez Jaguar‑Land Rover ? Malgré un chiffre d’affaires qui a progressé de 35,9 %, le constructeur a perdu 173 millions de livres sur le troisième trimestre 2022. Résultat, pour le septième trimestre consécutif, Tata Motors, la maison mère des marques britanniques, reste dans le rouge. Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, Thierry Bolloré, patron du constructeur depuis fin 2019, a donné sa démission le mois dernier. "Pour des raisons personnelles", a‑t‑on appris laconiquement par un communiqué de presse.
Dans une période tendue, le constructeur se retrouve donc sans personne à sa tête. Et pour compliquer encore la situation, l’usine anglaise de Solihull, qui assemble les Land Rover Evoque, Range Rover Velar et Evoque, ainsi que les Jaguar F‑Pace, a, selon les modèles, arrêté ou levé le pied sur la production à cause de la pénurie des semi‑conducteurs, alors que le constructeur annonce 200 000 commandes en portefeuille.
Jaguar sous contrat d'agent
Si Tata Motors voit rouge, les réseaux français et européen également. Les concessionnaires sont, en effet, très remontés contre la nouvelle stratégie de distribution imposée par le constructeur qui, pour pallier ses pertes financières, cherche à faire des économies sur tous les postes. Dont celui de la distribution. Le constructeur a prévu de faire passer les opérateurs Jaguar sous le statut d’agent, alors que la marque Land Rover serait encore distribuée sur le principe du contrat de concession actuel. Cette décision a été prise car Jaguar sera, en 2025, une marque 100 % électrique et affichera un positionnement non plus haut de gamme, mais luxe avec Bentley en ligne de mire.
Cette nouvelle politique a pour conséquence de réduire de façon drastique le nombre de points de vente partout en Europe. En Belgique, 80 % du réseau pourrait être amené à disparaître. En Allemagne, selon nos confrères du site belge gocar.be, on parle "d’une réduction de 62 points de vente et de service (28 au lieu de 90)". Quant à la France, selon nos informations, le territoire ne comporterait plus qu’une douzaine de distributeurs Jaguar. Pour rappel, 90 à 95 % du réseau hexagonal, composé de 72 sites, dispose des deux panneaux.
Des marges divisées par deux
Cette feuille de route a fait bondir les opérateurs, qui ont dû investir pour répondre aux attentes de la maison britannique, alors que le volume de vente sur cette marque est très faible. Fin novembre dernier, il était, en France, en chute libre de 29,2 % avec seulement 1 026 véhicules écoulés. En parallèle, le constructeur a profité de cette nouvelle organisation pour modifier les marges aussi bien chez Jaguar que chez Land Rover. Selon nos informations, elles seraient divisées par deux. Dans le détail, le réseau évoque une marge fixe de 4 %, ce à quoi il faut ajouter 4 % de marge variable. Cette dernière dépendrait de 64 critères pour être versée intégralement !
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La justification d’une telle mesure ? Face à une demande très forte, le constructeur avance l’argument que les opérateurs n’auront pas à appliquer une politique de remise commerciale. En conséquence, il n’y aurait donc pas de perte de rentabilité. Pour rappel, Jaguar‑Land Rover France a communiqué pour 2021 sur une rentabilité de 1,6 %. Un constat que ne partage pas du tout le réseau.
S’ils s’accordent à dire que la demande en produits existe bien, les concessionnaires regrettent de ne rien avoir à commercialiser et contestent fortement cette vision du "zéro remise". Pour eux, cela n’est tout simplement pas une réalité commerciale. Ils estiment que si Jaguar‑Land Rover va jusqu’au bout de sa politique, cela entraînera une réduction nette de leur marge. D’ailleurs, certains distributeurs craignent qu’en imposant une telle marge, Land Rover ne bascule à moyen terme vers un contrat d’agent.
Des objectifs inatteignables
Face à une telle mesure, le réseau est donc vent debout. D’autant plus qu’on lui demande des objectifs qui paraissent inatteignables. En 2023, le constructeur prévoit, en effet, d’écouler 12 000 véhicules, alors que la gamme Jaguar est désormais quasiment inexistante. Pour rappel, Land Rover a immatriculé seulement 3 778 véhicules sur les 11 premiers mois de l’année, soit une baisse de 27,1 %, trois fois celle du marché. Contacté il y a quelques semaines, le constructeur n’avait pas souhaité répondre à nos demandes, mais selon le réseau, les relations restent tendues.
Une situation qui n’est pas propre à la France. Le réseau allemand a porté l’affaire en justice et le tribunal de Francfort devrait rendre son verdict en ce mois de décembre. Les concessionnaires germaniques reprochent au constructeur une stratégie qui met leur activité en difficulté. Ils sont d’autant plus remontés que leur marge est supérieure de plus de 3 points à ce qui se pratique dans les autres pays européens.
Une groupement européen
Si, pour l’instant, les distributeurs français n’ont pas encore saisi la justice, un groupement des concessionnaires européens, qui intègre tous les pays, excepté le Royaume‑Uni et l’Italie (le premier ne faisant plus partie de l’Europe, le second n’ayant pas de groupement national), vient de se constituer afin de défendre les intérêts des acteurs. Le réseau est également inquiet du départ de Thierry Bolloré. Beaucoup voient d’ailleurs cette démission comme un signe annonciateur de la vente du constructeur britannique à un tiers.
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Car Jaguar‑Land Rover contribue fortement à fragiliser Tata Motors qui enregistre encore des pertes. Même si cette baisse n’est pas intégralement liée aux mauvais résultats du constructeur anglais, ils y contribuent. La perte nette s’est, en effet, accentuée à 50,07 milliards de roupies (626,6 millions de dollars) contre une perte de 44,51 milliards de roupies sur la même période l’an dernier et les ventes de la filiale britannique ont chuté de 11,3 % à 4,41 milliards de livres (5,32 milliards de dollars).
Cette vente serait-elle une pure spéculation ? Possible. Ces deux marques, surtout Land Rover, disposant toujours d'un capital image très fort. De quoi intéresser certains constructeurs chinois qui pourraient ainsi s'offrir une légitimité à l'international, à l'instar de Geely, repreneur de Volvo en 2010.
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