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Constructeurs

Fabrice Cambolive, Renault : "Notre objectif est le prix le plus juste, pas le plus bas"

Publié le 13 mars 2024

Par Catherine Leroy
15 min de lecture
En 2023, le groupe Renault a franchi un palier dans la conduite de son plan stratégique Renaulution en enregistrant des résultats historiques. La marque au losange veut maintenant accélérer son essor avec le déploiement de la nouvelle R5 en Europe et du Kardian à l’international. Pour Fabrice Cambolive, Renault n’a aucun intérêt à céder à la guerre des prix qui fait rage en Europe.
Fabrice Cambolive Renault
Fabrice Cambolive, directeur général de la marque Renault. ©Yves Forestier, Alkama

Le Journal de l’Automobile : Quel bilan tirez‑vous du leasing social lancé par le gouvernement français ?

Fabrice Cambolive : Notre bilan du leasing social est très positif. Près de 10 000 demandes ont été déposées sur la plateforme de Renault. Sur un total de 50 000 dossiers, je remarque que nous avons fait mieux que notre moyenne sur le marché. Mais il a surtout permis à notre ré­seau de voir de nouveaux clients qui n’étaient pas forcément dans l’uni­vers Renault ou tout simplement dans l’univers automobile. C’était aussi l’occasion de rencontrer des clients beaucoup plus jeunes. Donc, finalement, cette aide a montré qu’il n’y avait pas autant de barrières sur les voitures électriques qu’on pouvait l’imaginer, à la condition de proposer une offre abordable. C’est pourquoi, nous continuons de pen­ser que les bonus sont importants parce qu’ils permettent une transition plus douce. Mais nous avons besoin de visibilité pour cela. Il est nécessaire que le gouvernement ait une vision très claire de sa stratégie et qu’il soit dans la continuité. Nous restons convaincus que la trajectoire de la voiture électrique est ascen­dante. Mais, pour le moment, nous devons encaisser des hauts et des bas en fonction des aides publiques.

 

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J.A. : Oui, mais est‑ce que le bonus n’est pas une manière de maintenir les tarifs à un niveau élevé ? En Alle­magne, les constructeurs ont pu compenser la perte du bonus en baissant leurs prix…

F.C. : Le travail sur les coûts des véhicules, quel que soit le bonus, doit être fait et chez Renault, il est fait. La transition énergétique pour protéger l’environnement est une réalité et les gouvernements sont dans leur droit lorsqu’ils appliquent des règles pour accélérer cette tran­sition. C’est à nous de nous adapter à cette accélération. Il faut voir cette problématique dans une vision de marché plus globale. Si le marché est en croissance, c’est évidemment plus facile pour nous. Nous avons encore 12 ans devant nous avant la bascule dans un monde 100 % électrique. Cela nous laisse le temps de retravailler nos offres, nos prix et nos produits. Mais encore une fois, les États doivent avoir une vision à long terme de leur action publique. Ensuite, il faut établir un dialogue avec les autorités pour trouver la meilleure façon de sou­tenir le marché. Par exemple, sur le leasing social, nous avons constaté que les ménages qui en ont profité étaient surtout dans la catégorie des classes moyennes, plutôt des familles avec deux ou trois enfants qui avaient déjà un projet d’achat de voiture. Le dispositif, tel qu’il a été paramétré, a donc créé un effet d’aubaine. Je voudrais ajouter que le succès du leasing social chez Re­nault, c’est aussi grâce au réseau qui était en première ligne. Il a joué le jeu jusqu’au bout et avec beaucoup de réactivité sur les engagements de reprise, sur la qualité des dossiers, ou encore la pédagogie d’un dispo­sitif qui peut parfois être complexe.

 

J.A. : Vous avez présenté au salon de Ge­nève la nouvelle R5. Elle était très attendue par le public et les médias pour son look branché notamment. Il y a un aspect qu’on n'a moins évo­qué, c’est sa compétitivité. Quelle est la formule magique pour fabriquer en France une voiture électrique, moteurs et batteries compris à 25 000 euros ? Avez‑vous sacrifié vos marges ?

F.C. : Il n’y a pas de formule ma­gique. La compétitivité de la R5, c’est l’accumulation de beaucoup d’actions. La première, c’est la di­minution du coût de distribution. Nous l’avons baissé d’un tiers en trois ans. C’est un travail que nous avons conduit main dans la main avec notre réseau. Les distributeurs ont été très réceptifs à cette nouvelle politique commerciale parce qu’elle était bonne pour la valeur résiduelle de nos produits. Autre point, la R5 n’arrive pas seule. Elle fera partie d’une famille qui jouera dans le même écosystème que nous avons baptisé ElectriCity, dans le nord de la France. Le fait d’avoir dans la même usine demain non seulement la Megane, qui a très bien marché en leasing social, mais aussi le Sce­nic, qui démarre également bien, va largement profiter à la R5, en baissant les coûts de production. Ensuite, la R5 va partager sa plate­forme avec d’autres produits à venir, ce qui contribue évidemment à sa compétitivité.

 

Dans la même logique, nous avons rationalisé la logistique de produc­tion. Sur le Scenic, par exemple, 50 % des pièces sont produites à moins de 5 km de l’usine. C’est un vrai levier de compétitivité. On sera dans le même ordre de grandeur avec la R5. Enfin, le point le plus important, ce sont nos arbitrages technologiques sur cette dernière, notamment sur les batteries. Grâce à notre expertise acquise avec plus de 10 ans de commercialisation de la Zoe, on sait précisément quels sont les usages de nos clients. Nous avons donc déterminé la configu­ration la plus pertinente pour ré­pondre à leurs besoins réels, que ce soit sur la taille de la voiture, son habitabilité ou encore le type de batteries ou leur autonomie. Notre expertise nous permet d’établir le juste prix.

 

La nouvelle R5 a reçu un accueil unanime de la presse au salon automobile de Genève. ©Yann-DPPI

 

J.A. : Avez‑vous des inquiétudes sur la valeur résiduelle des voitures élec­triques qui peut encore être très théo­rique sur un marché naissant ?

F.C. : C’est peut‑être théorique pour les autres, pour nous, c’est très concret. Nous avons suffisamment de recul avec la Zoe pour avoir une idée de l’évolution de la valeur ré­siduelle de nos produits et agir en conséquence. Renault a un vrai avantage comparatif pour déter­miner les prix justes sur les loyers de location, sans que cela pénalise notre réseau ou notre captive. D’ail­leurs, nos estimations de valeur résiduelle correspondent en tout point à celles des coteurs.

 

J.A. : Comment appréhendez‑vous la guerre des prix en cours en Europe, notamment sur les voitures élec­triques ?

F.C. : La guerre des prix n’est ni nouvelle, ni spécifique aux voitures électriques… L’histoire de l’automo­bile européenne est jalonnée d’épi­sodes de guerre des prix. Le vrai su­jet pour nous, parce que nous avons une vision à long terme, c’est celui du juste prix.

 

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J.A. : Oui, mais vous avez été contraints de baisser vos tarifs sur la Megane sous la pression de cette guerre des prix…

F.C. : La baisse des tarifs sur la Megane n’est pas une réponse à la guerre des prix, mais la consé­quence d’un travail de réduction des coûts et de repositionnement d’un modèle par rapport à l’arrivée du Scenic, qui a démarré en dessous de 40 000 euros. Cela ne s’est donc pas fait du jour au lendemain. La principale erreur, ce serait d’avoir une politique de prix erratique parce qu’elle sème le doute chez le client. C’est mauvais pour la valeur résiduelle et donc pour notre profi­tabilité à moyen terme.

 

Le dispositif du leasing so­cial, tel qu’il a été paramétré, a créé un effet d’aubaine pour les ménages de la classe moyenne

 

J.A. : La marque MG Motor qui propose des SUV électriques à moins de 30 000 euros et prend 2 % du marché français en moins de trois ans, cela ne vous fait‑il pas peur ?

F.C. : Moi, je vois que la part de marché de Renault a augmenté l’an­née dernière. Bien sûr, nous regar­dons l’ensemble de nos concurrents. Mais encore une fois, le sujet est : quelle est la valeur de notre produit et quelle est notre capacité à conju­guer valeur et croissance ? Sans ou­blier la satisfaction client et la valeur résiduelle. Cette stratégie de valeur nous oblige à être plus performants et disciplinés. C’est vertueux.

 

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J.A. : Les constructeurs parlent de management de la chaîne de valeur de la première vente jusqu’au recyclage final. Ce sujet est intégré dans votre nouveau contrat de distribution. Quelles sont les implications pour le réseau ?

F.C. : Cela fait effectivement partie de notre contrat de distribu­tion signé par nos partenaires. Juste un point à ce propos… De­puis le lancement du plan Renaulu­tion, nous avons toujours dit que l’un des piliers de notre stratégie était de travailler étroitement avec notre réseau. Tout le monde n’est pas forcément dans cette démarche. Mais lorsque je vois les résultats de la cote d’amour du réseau pour Re­nault, je peux dire que nous avons gagné des points.

 

Pour revenir à notre sujet, il y a ce travail qui est fait sur le manage­ment de la chaîne de valeur de la première vente jusqu’au recyclage du véhicule. Cela signifie que nous travaillons à un modèle qui intègre le cycle entier de la voiture. Et c’est l’avènement du véhicule électrique qui a conduit à cette réflexion. Il nous permet de rendre ce business pérenne dans le temps. D’abord, parce que le rapport à la propriété est beaucoup moins important que sur les véhicules thermiques. En­suite, il y a de fortes craintes sur la visibilité à long terme d'une technologie encore naissante et qui change beaucoup et très vite. Donc, du coup, travailler sur l’ensemble du cycle de vie du véhicule est devenu beaucoup plus important qu’avant. Sur le thermique, le particulier passait essentiellement par de la revente de particulier à particulier. Sur l’électrique, il a besoin de réas­surance et ne veut pas passer par la case revente. C’est donc une oppor­tunité pour nous de repenser notre modèle de distribution pour conso­lider une nouvelle chaîne de valeur. D’où l’intérêt de soigner notre va­leur résiduelle et ne pas faire n'importe quoi avec les prix.

 

Nous allons travailler dans un nouveau schéma où le constructeur s’engage sur le buy‑back et il va falloir trouver un nouvel équilibre dans ce partage de la valeur avec notre réseau

 

J.A. : Cela va vous obliger à vous intéresser davantage au business de la voiture d’occasion (VO), là où c’était davan­tage un sujet géré par le réseau…

F.C. : La voiture électrique change cette donne et nous oblige à revoir toute la chaîne qui fonctionnait avant plutôt en silo. Faut‑il consi­dérer que le véhicule d’occasion est une activité qui doit être à côté de la concession sous des labels dif­férents ? Ou faut‑il penser qu’une voiture électrique de 3 ans doit en­trer dans le tunnel de vente d’un véhicule neuf au travers de finance­ments, qui sera une alternative cré­dible à un véhicule neuf et à un prix qui permettra d’étaler notre offre. C’est ce point qui est clivant. Le constructeur a besoin de reprendre la main sur la vente de VO, y com­pris aussi parce qu’en après‑vente, en fait, le véhicule électrique ne va pas générer autant de ventes de pièces de rechange.

 

J.A. : Il s’agit de garder la voiture électrique dans votre écosystème pour mieux maîtriser la valeur ?

F.C. : L’écosystème dont il est ques­tion, ce sont le constructeur et le réseau. Alors oui, nous allons tra­vailler dans un nouveau schéma où le constructeur s’engage sur le buy‑back et il va falloir trouver un nouvel équilibre dans ce partage de la valeur avec notre réseau. Dans la mesure où la prise de risque se dé­place, il est normal que la rémuné­ration fasse de même. Mais cela ne veut pas dire qu’il y aura dès lors une opposition entre le construc­teur et le réseau. Nos concession­naires ont un rôle à jouer dans cette gestion du VO et toucheront évi­demment leur part. En somme, en aucun cas, nous n'envisageons notre business sans l’appui de notre réseau car il nous apporte de la proximité qui est une pierre angulaire de notre stratégie commerciale.

 

Le nouveau Scenic a gagné le prestigieux prix de la Voiture de l’Année. Renault n’avait pas reçu cette récompense depuis 18 ans.

 

J.A. : À l’international, Renault a connu pas mal de déconvenues… La guerre en Ukraine l’a privé de son deuxième marché mondial, la Russie. Pour au­tant, vous êtes de nouveau à l’offen­sive avec une nouvelle gamme…

F.C. : C’est vrai que nous avons dû quitter la Russie. Mais je ne pense pas me tromper en disant que Re­nault est, depuis plus de 20 ans, la marque automobile française la plus vendue hors d’Europe. Pourquoi ? Parce qu’en fait, on a su prendre des risques, mais en faisant le tra­vail jusqu’au bout, c’est‑à‑dire en se localisant fortement dans certaines régions stratégiques du monde. Nous avons fait un bilan de cette stratégie au début de la Renaulution et nous allons poursuivre dans cette voie, mais avec une gamme renou­velée et surtout largement parta­gée et basée sur deux plateformes : cinq modèles sur le segment C et deux sur le D. Nous avons identifié des pays qui seront au cœur de nos stratégies régionales comme le Bré­sil, la Turquie, le Maroc ou l’Inde. Au mois de juin, on présentera en Corée du Sud un nouveau véhicule du segment D qui inaugurera une famille de modèles. En attendant, nous avons déjà dévoilé le Kardian, un B‑SUV, qui sera fabriqué au Bré­sil. Il sera ensuite produit au Maroc et exporté dans la région et en Asie.

 

J.A. : Est‑ce que Renault peut faire de la va­leur avec le Kardian dans des pays qui sont quand même difficiles en termes de pouvoir d’achat ou d’aléas sur les taux de change ?

F.C. : Nous ne pourrions pas affi­cher les résultats dévoilés en 2023 si nous perdions de l’argent. En Europe, nous gagnons de l’argent en faisant du volume parce que nous avons d’abord fait un travail sur la valeur. Mais je considère que sur un marché, pour exister et avoir de la visibilité, il faut être au‑dessus de 5 % de pénétration. C’est notre cas au Brésil et on est largement au‑dessus au Maroc et en Turquie. Le Kardian, par rap­port à notre gamme précédente, est mieux équipé en technologies. La suite de la gamme sera électri­fiée parce qu’il y a une demande et des contraintes. Au Brésil, nous avons vendu des Zoe et des Me­gane E‑Tech. À Bogota, en Colom­bie, il n’est plus possible de circuler autrement qu’à bord d’une voiture électrifiée. Nous pensons que les Renault 5 et Renault 4 doivent avoir une carrière internationale. C’est tout notre intérêt.

 

Notre expertise sur la Zoe nous permet d’établir le juste prix pour la Renault 5

 

J.A. : Dans la gamme européenne, vous multipliez les modèles. Sur les seg­ments A et B, vous aurez les R5 et Twingo, sur les C et D, on ne compte plus les SUV comme les Austral, Scenic, Rafale, Arkana et bientôt Symbioz. Certains de vos concurrents ont rationalisé leur gamme avec un certain succès, pour­quoi pas vous ?

F.C. : Oui, mais nous n’avons que deux marques qui sont très com­plémentaires. C’est un atout qui nous permet d’avoir une diversité de modèles, d’autant que nous les développons sur seulement deux plateformes essentiellement. La seule condition est qu’il n’y ait pas de cannibalisation. Entre une Twingo et une R5, cela n’arrivera pas. Chaque produit a une identi­té, un rôle et des attributs propres. C’est surtout vrai sur le segment C où vous jouez sur deux tableaux : les particuliers et les flottes. Re­gardez l’Arkana et l’Austral. L’un est coupé, l’autre pas. Ils ont chacun enregistré 75 000 unités en 2023 et nos volumes sur le segment ont progressé de 40 % par rapport à l’année précédente. L’Espace, c’est une familiale sept places. Le Sym­bioz qui arrive sera un vrai cou­teau suisse.

 

J.A. : Sur la Megane E‑Tech, il semblerait que vous soyez loin de vos objectifs de vente…

F.C. : La Megane, ce sont 47 000 ventes en Europe et 2,2 % du marché européen électrique. Franchement, avec 2,2 % du mar­ché européen électrique sur le bas de la fourchette du segment C, nous sommes plutôt contents. Avec les trois autres modèles qui vont venir compléter la Megane sur ce seg­ment, en termes de pénétration, nous n’avons pas à rougir. Ce véhi­cule a fait le travail.

 

J.A. : Vous avez dit que 2023 avait été une année charnière dans la Re­naulution…

F.C. : Nous avons fait un premier bilan pour la première partie de ce plan de transformation. Et il est po­sitif. Une vente sur deux se fait sur le canal des particuliers. Nous avons fait une percée sur les hybrides et sur le segment C. Je pense que globalement, quand on regarde avec un peu de recul, nous avons été au ren­dez‑vous. Maintenant, nous avons un deuxième rendez‑vous, c’est la partie Rénovation du plan. Avec des véhicules à lancer.

 

Avec Nabil Bourassi

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