Fabrice Cambolive, Renault : "Notre objectif est le prix le plus juste, pas le plus bas"
Le Journal de l’Automobile : Quel bilan tirez‑vous du leasing social lancé par le gouvernement français ?
Fabrice Cambolive : Notre bilan du leasing social est très positif. Près de 10 000 demandes ont été déposées sur la plateforme de Renault. Sur un total de 50 000 dossiers, je remarque que nous avons fait mieux que notre moyenne sur le marché. Mais il a surtout permis à notre réseau de voir de nouveaux clients qui n’étaient pas forcément dans l’univers Renault ou tout simplement dans l’univers automobile. C’était aussi l’occasion de rencontrer des clients beaucoup plus jeunes. Donc, finalement, cette aide a montré qu’il n’y avait pas autant de barrières sur les voitures électriques qu’on pouvait l’imaginer, à la condition de proposer une offre abordable. C’est pourquoi, nous continuons de penser que les bonus sont importants parce qu’ils permettent une transition plus douce. Mais nous avons besoin de visibilité pour cela. Il est nécessaire que le gouvernement ait une vision très claire de sa stratégie et qu’il soit dans la continuité. Nous restons convaincus que la trajectoire de la voiture électrique est ascendante. Mais, pour le moment, nous devons encaisser des hauts et des bas en fonction des aides publiques.
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J.A. : Oui, mais est‑ce que le bonus n’est pas une manière de maintenir les tarifs à un niveau élevé ? En Allemagne, les constructeurs ont pu compenser la perte du bonus en baissant leurs prix…
F.C. : Le travail sur les coûts des véhicules, quel que soit le bonus, doit être fait et chez Renault, il est fait. La transition énergétique pour protéger l’environnement est une réalité et les gouvernements sont dans leur droit lorsqu’ils appliquent des règles pour accélérer cette transition. C’est à nous de nous adapter à cette accélération. Il faut voir cette problématique dans une vision de marché plus globale. Si le marché est en croissance, c’est évidemment plus facile pour nous. Nous avons encore 12 ans devant nous avant la bascule dans un monde 100 % électrique. Cela nous laisse le temps de retravailler nos offres, nos prix et nos produits. Mais encore une fois, les États doivent avoir une vision à long terme de leur action publique. Ensuite, il faut établir un dialogue avec les autorités pour trouver la meilleure façon de soutenir le marché. Par exemple, sur le leasing social, nous avons constaté que les ménages qui en ont profité étaient surtout dans la catégorie des classes moyennes, plutôt des familles avec deux ou trois enfants qui avaient déjà un projet d’achat de voiture. Le dispositif, tel qu’il a été paramétré, a donc créé un effet d’aubaine. Je voudrais ajouter que le succès du leasing social chez Renault, c’est aussi grâce au réseau qui était en première ligne. Il a joué le jeu jusqu’au bout et avec beaucoup de réactivité sur les engagements de reprise, sur la qualité des dossiers, ou encore la pédagogie d’un dispositif qui peut parfois être complexe.
J.A. : Vous avez présenté au salon de Genève la nouvelle R5. Elle était très attendue par le public et les médias pour son look branché notamment. Il y a un aspect qu’on n'a moins évoqué, c’est sa compétitivité. Quelle est la formule magique pour fabriquer en France une voiture électrique, moteurs et batteries compris à 25 000 euros ? Avez‑vous sacrifié vos marges ?
F.C. : Il n’y a pas de formule magique. La compétitivité de la R5, c’est l’accumulation de beaucoup d’actions. La première, c’est la diminution du coût de distribution. Nous l’avons baissé d’un tiers en trois ans. C’est un travail que nous avons conduit main dans la main avec notre réseau. Les distributeurs ont été très réceptifs à cette nouvelle politique commerciale parce qu’elle était bonne pour la valeur résiduelle de nos produits. Autre point, la R5 n’arrive pas seule. Elle fera partie d’une famille qui jouera dans le même écosystème que nous avons baptisé ElectriCity, dans le nord de la France. Le fait d’avoir dans la même usine demain non seulement la Megane, qui a très bien marché en leasing social, mais aussi le Scenic, qui démarre également bien, va largement profiter à la R5, en baissant les coûts de production. Ensuite, la R5 va partager sa plateforme avec d’autres produits à venir, ce qui contribue évidemment à sa compétitivité.
Dans la même logique, nous avons rationalisé la logistique de production. Sur le Scenic, par exemple, 50 % des pièces sont produites à moins de 5 km de l’usine. C’est un vrai levier de compétitivité. On sera dans le même ordre de grandeur avec la R5. Enfin, le point le plus important, ce sont nos arbitrages technologiques sur cette dernière, notamment sur les batteries. Grâce à notre expertise acquise avec plus de 10 ans de commercialisation de la Zoe, on sait précisément quels sont les usages de nos clients. Nous avons donc déterminé la configuration la plus pertinente pour répondre à leurs besoins réels, que ce soit sur la taille de la voiture, son habitabilité ou encore le type de batteries ou leur autonomie. Notre expertise nous permet d’établir le juste prix.
J.A. : Avez‑vous des inquiétudes sur la valeur résiduelle des voitures électriques qui peut encore être très théorique sur un marché naissant ?
F.C. : C’est peut‑être théorique pour les autres, pour nous, c’est très concret. Nous avons suffisamment de recul avec la Zoe pour avoir une idée de l’évolution de la valeur résiduelle de nos produits et agir en conséquence. Renault a un vrai avantage comparatif pour déterminer les prix justes sur les loyers de location, sans que cela pénalise notre réseau ou notre captive. D’ailleurs, nos estimations de valeur résiduelle correspondent en tout point à celles des coteurs.
J.A. : Comment appréhendez‑vous la guerre des prix en cours en Europe, notamment sur les voitures électriques ?
F.C. : La guerre des prix n’est ni nouvelle, ni spécifique aux voitures électriques… L’histoire de l’automobile européenne est jalonnée d’épisodes de guerre des prix. Le vrai sujet pour nous, parce que nous avons une vision à long terme, c’est celui du juste prix.
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J.A. : Oui, mais vous avez été contraints de baisser vos tarifs sur la Megane sous la pression de cette guerre des prix…
F.C. : La baisse des tarifs sur la Megane n’est pas une réponse à la guerre des prix, mais la conséquence d’un travail de réduction des coûts et de repositionnement d’un modèle par rapport à l’arrivée du Scenic, qui a démarré en dessous de 40 000 euros. Cela ne s’est donc pas fait du jour au lendemain. La principale erreur, ce serait d’avoir une politique de prix erratique parce qu’elle sème le doute chez le client. C’est mauvais pour la valeur résiduelle et donc pour notre profitabilité à moyen terme.
Le dispositif du leasing social, tel qu’il a été paramétré, a créé un effet d’aubaine pour les ménages de la classe moyenne
J.A. : La marque MG Motor qui propose des SUV électriques à moins de 30 000 euros et prend 2 % du marché français en moins de trois ans, cela ne vous fait‑il pas peur ?
F.C. : Moi, je vois que la part de marché de Renault a augmenté l’année dernière. Bien sûr, nous regardons l’ensemble de nos concurrents. Mais encore une fois, le sujet est : quelle est la valeur de notre produit et quelle est notre capacité à conjuguer valeur et croissance ? Sans oublier la satisfaction client et la valeur résiduelle. Cette stratégie de valeur nous oblige à être plus performants et disciplinés. C’est vertueux.
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J.A. : Les constructeurs parlent de management de la chaîne de valeur de la première vente jusqu’au recyclage final. Ce sujet est intégré dans votre nouveau contrat de distribution. Quelles sont les implications pour le réseau ?
F.C. : Cela fait effectivement partie de notre contrat de distribution signé par nos partenaires. Juste un point à ce propos… Depuis le lancement du plan Renaulution, nous avons toujours dit que l’un des piliers de notre stratégie était de travailler étroitement avec notre réseau. Tout le monde n’est pas forcément dans cette démarche. Mais lorsque je vois les résultats de la cote d’amour du réseau pour Renault, je peux dire que nous avons gagné des points.
Pour revenir à notre sujet, il y a ce travail qui est fait sur le management de la chaîne de valeur de la première vente jusqu’au recyclage du véhicule. Cela signifie que nous travaillons à un modèle qui intègre le cycle entier de la voiture. Et c’est l’avènement du véhicule électrique qui a conduit à cette réflexion. Il nous permet de rendre ce business pérenne dans le temps. D’abord, parce que le rapport à la propriété est beaucoup moins important que sur les véhicules thermiques. Ensuite, il y a de fortes craintes sur la visibilité à long terme d'une technologie encore naissante et qui change beaucoup et très vite. Donc, du coup, travailler sur l’ensemble du cycle de vie du véhicule est devenu beaucoup plus important qu’avant. Sur le thermique, le particulier passait essentiellement par de la revente de particulier à particulier. Sur l’électrique, il a besoin de réassurance et ne veut pas passer par la case revente. C’est donc une opportunité pour nous de repenser notre modèle de distribution pour consolider une nouvelle chaîne de valeur. D’où l’intérêt de soigner notre valeur résiduelle et ne pas faire n'importe quoi avec les prix.
Nous allons travailler dans un nouveau schéma où le constructeur s’engage sur le buy‑back et il va falloir trouver un nouvel équilibre dans ce partage de la valeur avec notre réseau
J.A. : Cela va vous obliger à vous intéresser davantage au business de la voiture d’occasion (VO), là où c’était davantage un sujet géré par le réseau…
F.C. : La voiture électrique change cette donne et nous oblige à revoir toute la chaîne qui fonctionnait avant plutôt en silo. Faut‑il considérer que le véhicule d’occasion est une activité qui doit être à côté de la concession sous des labels différents ? Ou faut‑il penser qu’une voiture électrique de 3 ans doit entrer dans le tunnel de vente d’un véhicule neuf au travers de financements, qui sera une alternative crédible à un véhicule neuf et à un prix qui permettra d’étaler notre offre. C’est ce point qui est clivant. Le constructeur a besoin de reprendre la main sur la vente de VO, y compris aussi parce qu’en après‑vente, en fait, le véhicule électrique ne va pas générer autant de ventes de pièces de rechange.
J.A. : Il s’agit de garder la voiture électrique dans votre écosystème pour mieux maîtriser la valeur ?
F.C. : L’écosystème dont il est question, ce sont le constructeur et le réseau. Alors oui, nous allons travailler dans un nouveau schéma où le constructeur s’engage sur le buy‑back et il va falloir trouver un nouvel équilibre dans ce partage de la valeur avec notre réseau. Dans la mesure où la prise de risque se déplace, il est normal que la rémunération fasse de même. Mais cela ne veut pas dire qu’il y aura dès lors une opposition entre le constructeur et le réseau. Nos concessionnaires ont un rôle à jouer dans cette gestion du VO et toucheront évidemment leur part. En somme, en aucun cas, nous n'envisageons notre business sans l’appui de notre réseau car il nous apporte de la proximité qui est une pierre angulaire de notre stratégie commerciale.
J.A. : À l’international, Renault a connu pas mal de déconvenues… La guerre en Ukraine l’a privé de son deuxième marché mondial, la Russie. Pour autant, vous êtes de nouveau à l’offensive avec une nouvelle gamme…
F.C. : C’est vrai que nous avons dû quitter la Russie. Mais je ne pense pas me tromper en disant que Renault est, depuis plus de 20 ans, la marque automobile française la plus vendue hors d’Europe. Pourquoi ? Parce qu’en fait, on a su prendre des risques, mais en faisant le travail jusqu’au bout, c’est‑à‑dire en se localisant fortement dans certaines régions stratégiques du monde. Nous avons fait un bilan de cette stratégie au début de la Renaulution et nous allons poursuivre dans cette voie, mais avec une gamme renouvelée et surtout largement partagée et basée sur deux plateformes : cinq modèles sur le segment C et deux sur le D. Nous avons identifié des pays qui seront au cœur de nos stratégies régionales comme le Brésil, la Turquie, le Maroc ou l’Inde. Au mois de juin, on présentera en Corée du Sud un nouveau véhicule du segment D qui inaugurera une famille de modèles. En attendant, nous avons déjà dévoilé le Kardian, un B‑SUV, qui sera fabriqué au Brésil. Il sera ensuite produit au Maroc et exporté dans la région et en Asie.
J.A. : Est‑ce que Renault peut faire de la valeur avec le Kardian dans des pays qui sont quand même difficiles en termes de pouvoir d’achat ou d’aléas sur les taux de change ?
F.C. : Nous ne pourrions pas afficher les résultats dévoilés en 2023 si nous perdions de l’argent. En Europe, nous gagnons de l’argent en faisant du volume parce que nous avons d’abord fait un travail sur la valeur. Mais je considère que sur un marché, pour exister et avoir de la visibilité, il faut être au‑dessus de 5 % de pénétration. C’est notre cas au Brésil et on est largement au‑dessus au Maroc et en Turquie. Le Kardian, par rapport à notre gamme précédente, est mieux équipé en technologies. La suite de la gamme sera électrifiée parce qu’il y a une demande et des contraintes. Au Brésil, nous avons vendu des Zoe et des Megane E‑Tech. À Bogota, en Colombie, il n’est plus possible de circuler autrement qu’à bord d’une voiture électrifiée. Nous pensons que les Renault 5 et Renault 4 doivent avoir une carrière internationale. C’est tout notre intérêt.
Notre expertise sur la Zoe nous permet d’établir le juste prix pour la Renault 5
J.A. : Dans la gamme européenne, vous multipliez les modèles. Sur les segments A et B, vous aurez les R5 et Twingo, sur les C et D, on ne compte plus les SUV comme les Austral, Scenic, Rafale, Arkana et bientôt Symbioz. Certains de vos concurrents ont rationalisé leur gamme avec un certain succès, pourquoi pas vous ?
F.C. : Oui, mais nous n’avons que deux marques qui sont très complémentaires. C’est un atout qui nous permet d’avoir une diversité de modèles, d’autant que nous les développons sur seulement deux plateformes essentiellement. La seule condition est qu’il n’y ait pas de cannibalisation. Entre une Twingo et une R5, cela n’arrivera pas. Chaque produit a une identité, un rôle et des attributs propres. C’est surtout vrai sur le segment C où vous jouez sur deux tableaux : les particuliers et les flottes. Regardez l’Arkana et l’Austral. L’un est coupé, l’autre pas. Ils ont chacun enregistré 75 000 unités en 2023 et nos volumes sur le segment ont progressé de 40 % par rapport à l’année précédente. L’Espace, c’est une familiale sept places. Le Symbioz qui arrive sera un vrai couteau suisse.
J.A. : Sur la Megane E‑Tech, il semblerait que vous soyez loin de vos objectifs de vente…
F.C. : La Megane, ce sont 47 000 ventes en Europe et 2,2 % du marché européen électrique. Franchement, avec 2,2 % du marché européen électrique sur le bas de la fourchette du segment C, nous sommes plutôt contents. Avec les trois autres modèles qui vont venir compléter la Megane sur ce segment, en termes de pénétration, nous n’avons pas à rougir. Ce véhicule a fait le travail.
J.A. : Vous avez dit que 2023 avait été une année charnière dans la Renaulution…
F.C. : Nous avons fait un premier bilan pour la première partie de ce plan de transformation. Et il est positif. Une vente sur deux se fait sur le canal des particuliers. Nous avons fait une percée sur les hybrides et sur le segment C. Je pense que globalement, quand on regarde avec un peu de recul, nous avons été au rendez‑vous. Maintenant, nous avons un deuxième rendez‑vous, c’est la partie Rénovation du plan. Avec des véhicules à lancer.
Avec Nabil Bourassi
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