Digital Markets Act : les distributeurs font-ils l'autruche ?
Les géants du Web vont être mieux encadrés. C’est Bruxelles qui le dit. En vertu de la nouvelle réglementation sur les marchés numériques (DMA, acronyme anglais pour Digital Markets Act), de nouvelles dispositions sont entrées en vigueur depuis mars 2024.
Mais la mesure ne date pas d’hier. Elle est applicable depuis le 2 mai 2023 après que la loi a été votée en juillet 2022 et publiée au mois d’octobre suivant. Ce grand chantier européen vise à réguler les pratiques des Gafam et pas uniquement.
Le but affiché est clair. Le législateur veut lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants d’Internet et corriger les déséquilibres de leur domination sur le marché numérique européen. Selon la Commission européenne, plus de 10 000 plateformes en ligne opèrent en Europe, mais seules les plus grandes dites "systémiques" captent l’essentiel de la valeur du marché numérique européen.
Or, 90 % des environnements sont à mettre au crédit de petites et moyennes entreprises. L’outil de régulation veut leur donner plus de chances de sortir de l’ombre. "Il s’agit de rendre l’invisible, plus visible", synthétise Michel Grihangne, chez Nextlane (ex‑Imaweb).
Pas de panique
Certains l’auront compris, Google ne pourra plus étaler son savoir‑faire de la même manière. Ce qui vaut pour tous les services, dont Google My Business. Contraint de mettre les fournisseurs de données sur un pied d’égalité, le moteur de recherche ne fera pas plus des fiches Google Business Profile la réponse première aux requêtes. Et c’est là que le bât blesse.
Les sociétés commerciales ont, depuis plusieurs années, misé gros sur cette technologie de référencement. Les têtes de réseau quelles qu’elles soient ne jurent que par la cartographie de Google et son système de partage des notes pour exister virtuellement. Ce qui ne peut plus être le cas à l’ère du DMA.
"Dans l’immobilier, les acteurs ont pris conscience de l’enjeu, mais dans l’automobile, nous ne voyons aucune réaction", s’alarme Jean‑Charles Cadon, directeur du commerce digital de l’agence IzmoFrance. Au contact du monde de la distribution, il peine à imposer le sujet dans les conversations. Et pourtant, selon lui, le DMA pourrait marquer un tournant dans l’histoire européenne du Web.
Le DMA est une notion vague, lointaine. "Je ne m’y suis pas du tout intéressé", coupe court le cadre d’un groupe de distribution du top 100, pourtant connu comme une figure de la digitalisation. Arguant être absorbé par les tâches et chantiers en cours, il admet avoir éludé le sujet. Certains, par leur tempérance, lui donneraient presque raison.
"Le DMA s’inscrit dans la continuité du RGPD auquel les concessionnaires se sont conformés depuis longtemps, interprète David Descottes, fondateur de l’agence Ëstorik. Il s’agit de lever le voile sur l’opacité des algorithmes et il est donc encore trop tôt pour jauger de l’impact sur l’organisation des concessionnaires." Il n’y aurait ainsi pas encore matière à paniquer.
Enjeu de visibilité
Le temps apportera des précisions, certes. Il n’empêche que la stratégie des constructeurs, des concessionnaires, des franchises ou bien des garagistes est appelée à changer. Cependant, plusieurs cadres de groupes de distribution nous ont affirmé que la notion même de DMA n’a jamais été abordée durant les multiples conventions de début d’année.
Ce dont certains s’étonnent au regard du calendrier. Contactées par nos soins, des directions de constructeurs ont expliqué ne pas avoir d’éléments concrets à partager publiquement. Silence stratégique ou déni de réalité ?
Pourtant, quand le fonctionnement du moteur de recherche utilisé par environ 90 % des consommateurs subit une transformation, il est envisageable que tout ne puisse plus être pareil. "Nous avons mis du temps à expliquer aux professionnels de l’automobile les enjeux de la digitalisation. Maintenant qu’ils ont un site Internet, ils considèrent le travail comme achevé. Ce sera difficile de les faire repartir dans une nouvelle démarche", glisse un consultant.
Et Jimmy Cohen, fondateur de Weeflow, l’éditeur de Spider VO, de le rejoindre : "Les distributeurs pensaient avoir fait le boulot de référencement. Ils courent maintenant le risque de perdre en visibilité sur Internet et cela a toutes les raisons de créer des angoisses."
Perdre de la visibilité, tel est le point central. Le Journal de l’Automobile s’est procuré des captures d’écran de tests de vérification sur Google, réalisés par des agences. Clairement, il y a une mise en avant d’autres annuaires et les avis Google sont maintenant mixés avec plusieurs sources, telles que GarageScore et FidCar.
Opportunité pour les agences digitales
Les pessimistes y verront des brèches. En effet, avec son espace dénommé "Sites de lieux", au sommet des réponses, Google laisse la possibilité à des plateformes tierces de s’exprimer. Un rival qui accentuerait ses efforts sur un annuaire autre (Pages Jaunes, 118 712…) parviendrait ainsi à se positionner bien plus haut dans la page, s’invitant dans la conversation avec l’internaute et captant son attention.
Alors, les partenaires traditionnels de l’automobile s’organisent et font valoir davantage leur bagage de services. Digitaleo fait carton plein avec son module de gestion de la présence en ligne depuis un an, qui "apporte une réponse concrète et efficace", explique une chef de produit.
L’outil accessible en mode SaaS fédère l’intégralité des données relatives aux boutiques d’un concessionnaire et les diffuse sur les plateformes de référence. "Les robots de Google vont vérifier que les renseignements sont identiques sur chacun des sites, alors il considérera le point de vente comme une réponse crédible à fournir à l’internaute", poursuit l’experte du sujet.
Son de cloche identique chez Partoo, mastodonte du recueil d’avis et de la gestion de l’exposition en ligne, où le DMA est perçu comme une opportunité d’augmenter la pénétration dans les activités des clients. En parallèle, la direction de l’entreprise parisienne s’active pour nouer plus de partenariats, quitte à réveiller des acteurs mis en veille depuis que les Gafam ont imposé leur hégémonie.
Weeflow a aussi pris les devants. L’éditeur spécialisé dans les points de vente VO lance une nouvelle plateforme de gestion des avis. Elle sera connectée à de multiples partenaires du secteur, "après l’obtention prochaine de la certification Afnor", confie Jimmy Cohen.
Un détachement obligatoire
Après pratiquement une décennie à se concentrer sur les avis Google, les choses sont remises à plat. Toutes les sources compteront. Cela interroge sur les systèmes mis en place par les constructeurs.
"Jusqu’à preuve du contraire, notre constructeur se réfère à la note Google pour calculer notre rémunération variable", interpelle un membre du réseau Audi France. Qui fera alors autorité ? "Dans le tourisme, Tripadvisor a pris le dessus", rappelle Michel Grihangne, sans directement positionner Custeed.
"Chez Renault, la note Google et le suivi des méthodes de travail comptent à 50/50. Si cela ne tenait qu’à moi, nous serions à 30/70", glisse un cadre impliqué dans la relation client. Peut‑être un indice du changement inhérent au DMA.
À l’instar du réseau Five Star, des enseignes ont su s’inventer une vie sans Google My Business. "Les carrossiers ne maîtrisaient pas l’outil. Ils ne prenaient pas le temps de répondre aux avis. Nous avons décidé de couper les ponts avec l’outil", explique Christine Legrand, responsable du développement réseau. La nouvelle stratégie digitale du groupe, grâce à une plateforme interne, a conduit à une stabilisation du trafic.
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