Craiova, l’usine Ford qui veut électriser l’Europe

Craiova. À trois heures de route de Bucarest, au sud-ouest de la Roumanie, pas très loin de la frontière avec la Bulgarie. Cette usine Ford qui vient de bénéficier d’un investissement de près d’un demi-milliard d’euros pour se lancer dans l’électrique a connu une histoire mouvementée.
Dans la deuxième moitié des années 1970, le pouvoir communiste souhaite développer l’industrie automobile en Roumanie. Un partenariat est signé avec Citroën, à l’instar de ce qui avait été réalisé dix ans auparavant avec Renault, qui donna l’usine Dacia de Piteşti, à mi-chemin entre Bucarest et Craiova. De ce partenariat sortira l'Oltcit, plus connue en Europe occidentale sous le nom de Citroën Axel.
Ford en 2007
Vingt ans plus tard, Craiova passe entre les mains du coréen Daewoo qui fabriquera des Nexia et des Nubira. La production durera une dizaine d’années et cessera en 2006, après la faillite du constructeur coréen.
Le site est alors cédé à Ford en 2007, qui prend possession des lieux dans le cadre d’une joint-venture avec son partenaire historique dans cette région du monde, le turc Otosan, détenu par le groupe Koç. Ce partenariat est la continuité de celui qui existe déjà en Turquie, dans l’usine de Kocaeli (Ford Transit Custom et Transit 2T), une relation commerciale qui est née il y a un siècle et industrielle depuis les années 1960, renforcée en 1997.
250 000 véhicules
La capacité de production du site roumain, qui s’étend sur un million de mètres carrés, est de 250 000 véhicules et 350 000 moteurs. Néanmoins, par rapport à la compétitivité des deux usines Otosan, Dan Ghirisan, responsable de l’usine d’assemblage, assure que "l’usine de Craiova affiche une meilleure rentabilité par véhicule que celle de Kocaeli, même si le salaire des employés roumains est plus élevé que celui des collaborateurs turcs". Sur ce sujet, le constructeur n’a pas souhaité donner plus d’informations, se contentant juste d’indiquer que "[Ford] n’a aucun mal à recruter dans la région".
70 % de la production de Craiova part en train vers l'Europe. ©Ford
En 2022, Koç rachète les parts de Ford dans l’entreprise et devient autonome. Un cas unique dans l’outil industriel du constructeur américain qui laisse les rênes de la production d’un de ses modèles phares à une entreprise tierce.
Car Craiova est un outil important pour le constructeur américain. L’usine, qui a produit le B-Max et l’Ecosport, y assemble aujourd’hui le Courier, et surtout la Puma, le best-seller européen de la marque, ainsi que le moteur 1.0 EcoBoost.
Mais elle est surtout le symbole de l’électrification de Ford en Europe. Après les investissements de deux milliards d’euros pour transformer le site historique de Cologne (Allemagne) qui y assemble des Explorer et des Capri, les propriétaires du site roumain ont conclu, en 2024, un accord de crédit de près d’un demi-milliard d’euros. "Notre usine de Craiova joue un rôle important dans l'établissement de la position de leader de Ford Otosan dans la production de véhicules électriques en Europe", a déclaré Gül Ertuğ, directeur financier de Ford Otosan, lors de la signature du prêt.
Cet important investissement s’est accompagné d’une embauche de 1 300 employés supplémentaires, ce qui porte désormais les effectifs de l’usine à 6 600 personnes, dont la moitié sont des femmes.
Un enjeu majeur pour la Roumanie
Craiova est également un enjeu majeur pour la Roumanie qui veut inscrire le pays sur la carte européenne de l’électrification. Il s’agit en effet de la première usine automobile roumaine à produire des voitures électriques. Pour rappel, l’industrie automobile en Roumanie représente plus de 15 % du PIB du pays.
Cette usine se présente comme la plus flexible d’Europe, car elle est l’une des seules à produire sur la même ligne aussi bien des véhicules particuliers que des utilitaires. Y sont en effet montés les Puma thermiques et électriques (Puma Gen-E), ainsi que les Tourneo/Transit Courier, également thermiques et électriques.
Tous les véhicules sont assemblés sur la même ligne. ©Le Journal de l'Automobile
Lors de la visite de l’usine, il est en effet impressionnant de voir l’une à la suite de l’autre ces différentes carrosseries et motorisations assemblées sur la même chaîne. Ford y produit le moteur essence EcoBoost et assemble les batteries du coréen SK Group.
Les batteries sont fournies par le coréen SK. ©Le Journal de l'Automobile
Néanmoins, malgré ces investissements, l’usine est aujourd’hui en sous-capacité. Dans un marché européen où la demande de voitures électriques s’effrite, Ford semble arriver après la bataille. "Nous avons une capacité de production de 1 200 véhicules électriques/jour, toutes carrosseries confondues, explique Dan Ghirisan. Actuellement, nous sommes seulement à 500 unités/jour, en dessous de nos estimations." De son côté, la capacité d’assemblage de la ligne de batteries n’est qu’à 50 %.
Mais Ford se veut rassurant sur ce point : "Notre usine est extrêmement flexible, rappelle le constructeur. Nous pouvons l’adapter en fonction de la demande des marchés européens". En outre, la Puma Gen-E, pour laquelle Ford a d’importantes ambitions, n’a pas encore été lancée officiellement en Europe, sa commercialisation arrivera dans les semaines à venir.
Rentabilité sur les petits modèles électriques
John Davis, directeur des programmes des véhicules et des bus électriques chez Ford, reconnaît que le marché européen du véhicule électrique est plus compliqué que prévu. "Il est difficile pour les constructeurs de fabriquer des véhicules électriques compacts et rentables, souligne-t-il. Nous sommes très attentifs au marché du véhicule électrique à 20 000 euros." Pour rappel, la Puma Gen-E est commercialisée à partir de 33 990 €.
Ford semble ainsi chercher une alliance avec un autre constructeur, comme c'est déjà le cas avec Volkswagen pour ses Explorer et Capri qui reposent sur la plateforme MEB du constructeur allemand ou pour les véhicules utilitaires. D’ici là, le constructeur compte sur la Puma Gen-E pour retrouver des couleurs sur le marché européen.
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