Comment l'Europe compte lancer une petite voiture électrique
Lors de son discours sur l'état de l'Union européenne, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a clairement appelé à la création de petites voitures électriques abordables. Une "E-car" comme le réclament Stellantis et Renault depuis plusieurs mois.
"Nous proposerons de collaborer avec l'industrie sur une nouvelle initiative de petites voitures abordables. Je pense que l'Europe devrait avoir sa propre voiture électrique. E comme écologique : propre, efficace et légère. E comme économique : abordable pour tous. E comme européen : fabriqué ici en Europe, avec des chaînes d'approvisionnement européennes", a-t-elle indiqué dans son discours devant les parlementaires européens.
Il serait temps. Surtout, il s'agit d'une demande très forte de la part des constructeurs, Renault et Stellantis en tête. "Il y a trop de règles conçues pour des voitures plus grosses et plus chères, ce qui ne nous permet pas de faire des petites voitures dans des conditions acceptables de rentabilité. Ce n’est pas possible de traiter une voiture de 3,80 mètres comme une voiture de 5,5 mètres !", soulignaient-ils.
Disparition des petites voitures
Un constat amer. Car en l’espace de vingt ans, les "petites voitures", autrefois pilier de l’industrie européenne, ont presque disparu. Les Renault Twingo, Peugeot 106 ou Fiat Panda incarnaient une mobilité simple, abordable et populaire, mais aujourd’hui, ces modèles n’ont plus d’équivalents : le prix moyen des citadines a doublé, le marché s’est contracté de 30 % depuis 2019 et les ménages se replient sur l’occasion. "L’automobile devient inaccessible pour une partie croissante de la population", a évoqué Jean-Philippe Imparato, président de Stellantis Europe lors de l'IAA de Munich.
L’électrification accélérée, si elle répond aux impératifs climatiques, a produit des voitures massives et chères : 1 880 kg en moyenne pour les modèles électriques vendus en Europe. Elles nécessitent de grandes batteries, augmentant les coûts de production et la dépendance aux métaux importés. Or, la majorité des trajets quotidiens ne justifie pas une telle débauche technologique.
D'où l'idée de créer une nouvelle catégorie de véhicules, appelée M0. Elle viserait la sobriété et disposerait d'un cahier des charges assez simple : un poids inférieur à une tonne, une autonomie de 150 à 200 km, un prix plancher autour de 10 000 euros avec aides. L’idée est simple : remettre l’automobile au service de la vie quotidienne, et non l’inverse.
Les modèles étrangers ont valeur d'exemples
Le concept n’a rien d’utopique. Le Japon vit depuis des décennies au rythme des Kei cars, qui représentent près d’un tiers des ventes. Petites, légères, fiscalement favorisées, elles répondent parfaitement aux besoins urbains. En Chine, des microvoitures électriques à 5 000 ou 10 000 euros connaissent un succès fulgurant. Ces marchés démontrent qu’une voiture sobre, compacte et pratique peut séduire le grand public, si le cadre réglementaire est favorable.
Mais le retour des petites voitures en Europe ne va pas de soi. Plusieurs obstacles se dressent. Le premier est réglementaire. Les normes de sécurité et d’homologation actuelles sont en effet pensées pour des véhicules lourds et puissants. Adapter ou assouplir ce cadre est indispensable pour permettre aux M0 d’exister sans les plomber par des coûts excessifs.
Une industrie à repenser
Ils sont ensuite industriels. Les usines européennes sont calibrées pour produire des modèles plus grands et plus rentables. Revenir au petit format nécessite d’investir dans de nouvelles chaînes de production et surtout d’accepter des marges plus faibles, ce qui n'a clairement pas été la stratégie des constructeurs depuis le début de la décennie, ces derniers surfant sur la pénurie de modèles engendrée par la crise de la Covid.
Troisième point, le volet économique. Pour atteindre un prix abordable, il faudra maîtriser les coûts des batteries, réduire la complexité technologique et favoriser une production locale. Or, la pression de la concurrence chinoise sur ce segment est déjà forte. Bien qu'il ne s'agisse pas de modèles de ce futur segment ou du A actuel, les chinois Leapmotor et BYD arrivent à mettre sur le marché une T03 et une Dolphin Surf en dessous des 20 000 euros ! De son côté, Dacia propose la Spring. Mais dans ces trois exemples, les voitures sont toutes fabriquées en Chine.
Enfin, dans une moindre mesure, les obstacles sont culturels. En Europe, comme d'ailleurs partout dans le monde, la voiture est souvent perçue comme un marqueur de statut. Revenir à un format réduit suppose d’accompagner une évolution des mentalités, centrée sur l’usage plutôt que sur l’image.
Le rôle des pouvoirs publics
L’émergence de cette nouvelle catégorie dépendra aussi des choix politiques. Deux pistes sont discutées : créer une sous-catégorie "M1 light" bénéficiant d’incitations fiscales, ou instaurer une catégorie spécifique avec ses propres normes. Dans les deux cas, l’objectif est clair : alléger les contraintes, simplifier la conception et encourager l’achat.
Les pouvoirs publics devront aussi arbitrer entre sécurité et accessibilité. Peut-on exiger des standards identiques à ceux des SUV de deux tonnes pour des voitures de 800 kg ? Sans assouplissement, le projet risque de rester lettre morte.
Une chance historique à saisir ?
Le retour des petites voitures ne serait pas seulement une réponse à la crise actuelle : il pourrait incarner une réorientation stratégique de l’automobile européenne. Plus sobres, plus légères, plus accessibles, les M0 offriraient une alternative crédible à l’essor des SUV et aux microvoitures importées. Mais le temps presse. L’Europe a laissé disparaître les citadines thermiques d’entrée de gamme. Si elle tarde à inventer leur équivalent électrique, elle risque de laisser ce marché aux industriels asiatiques.
(Cet article est en partie issu d'un dossier paru dans le numéro 896 de Ingénieurs de l'Auto)
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