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"Le VE va se déployer plus lentement qu’on ne le pense communément, mais quand la situation va se décanter, il va aussi se développer plus rapidement et amplement qu’on ne le croit aujourd’hui"

Publié le 2 mai 2012

Par Alexandre Guillet
8 min de lecture
Portrait d’une personnalité de l’électro-mobilité : Stéphane Evanno, Groupe Bosch France
Portrait d’une personnalité de l’électro-mobilité : Stéphane Evanno, Groupe Bosch France

Pouvez-vous nous rappeler votre itinéraire professionnel et nous expliquer à quel moment l’enjeu du développement durable s’est véritablement présenté à vous ?

On peut dire que je suis un homme de l’automobile dans la mesure où cela fait désormais seize ans que je travaille dans ce secteur. Initialement, je ne travaillais pas sur les sujets liés au développement durable, mais je suis arrivé au sein du groupe Bosch deux ans avant le lancement des premiers systèmes common-rail et j’ai donc vécu cette révolution qui dialoguait déjà avec l’environnement. C’était une avancée considérable vers des moteurs Diesel plus propres. Ensuite, je me suis orienté vers les enjeux du numérique et ses relations avec le véhicule : navigation, systèmes multimédia, internet dans le véhicule, communication de véhicule à véhicule, communication de véhicules à infrastructures etc… Rétrospectivement, je me dis que le hasard fait bien les choses, car il y a, et il y aura plus encore à l’avenir, une forte convergence entre véhicule électrique et véhicule numérique. Mais par rapport au développement durable en général et au véhicule électrique en particulier, le vrai déclic a eu lieu en 2009.

De quelle nature a été ce déclic ?

Comme souvent, il s’agit d’abord d’une rencontre. J’ai croisé Shai Agassi, le charismatique fondateur de Better Place, et nous avons discuté de son entreprise. Je l’ai trouvé très convaincant sur la question environnementale et surtout sur l’urgence de la situation.  Dès lors, je me suis demandé ce que nous pourrions faire de significatif au sein du groupe Bosch, un groupe auquel je suis très attaché, sur ces différents sujets. En France, le contexte était déjà favorable à des actions sur l’électro-mobilité, mais les choses étaient un tantinet différentes en Allemagne. Mais nous avons réussi à convaincre les dirigeants allemands de créer un poste dédié à cet enjeu en France. C’était d’autant plus cohérent qu’il y avait déjà naturellement beaucoup de développements technologiques  en cours au sein du groupe sur les performances environnementales, sur le front de l’hybridation par exemple.

Dans le bouquet des énergies alternatives applicables à l’automobile, quel est à vos yeux la spécificité du véhicule électrique ?

En premier lieu, je tiens à souligner que de prime abord, la tentation est grande de vouloir dupliquer l’écosystème du véhicule thermique au véhicule électrique. On le voit notamment dans le parallèle que font certains entre stations-services et bornes de recharge.  J’estime que c’est une erreur fondamentale et qu’il faut impérativement faire l’effort de penser un nouvel écosystème. C’est précisément ce qui est le plus fascinant dans le VE : de percevoir à quel point il pourra changer notre vie à l’avenir. L’important n’est pas de développer des bolides électriques comparables à certains bolides thermiques, même si l’intérêt technologique de certaines expériences est manifeste, mais de penser le VE à l’échelle du marché de masse et de voir qu’il peut vraiment changer la société. Bien entendu, cela prend du temps, il faut faire preuve de patience et mener une sensibilisation de longue haleine. Nous ne sommes qu’au début du processus, mais je pense que nous serons surpris par son ampleur à l’avenir.

A la lumière de certaines situations passées, ne craignez-vous pas que les attentes autour du VE puissent à nouveau accoucher d’une souris ?

Je ne pense pas. Surtout quand vous regardez les investissements réalisés dans ce domaine par les groupes automobiles comme par les nouveaux acteurs ! En revanche, comme je l’indiquais à l’instant, le développement du VE va prendre du temps. Il s’opérera plus lentement que ce qu’on dit souvent. D’une part, parce qu’il nécessite des changements, beaucoup de changements, petits et grands, et qu’il faut battre en brèche des habitudes, des visions établies. D’autre part, parce qu’il y a encore beaucoup de choses à travailler et à améliorer dans divers domaines, le prix et l’autonomie des produits, le droit à la prise par exemple. Cela renvoie à un temps de R&D et à un temps législatif. Donc je le répète, il faut être patient. Le VE va se déployer plus lentement qu’on ne le pense communément, mais quand la situation va se décanter, il va aussi se développer plus rapidement et amplement qu’on ne le croit aujourd’hui, j’en suis persuadé. L’enjeu d’aujourd’hui, c’est déjà de vendre les produits disponibles sur le marché et de faire essayer les véhicules. L’auto-partage peut être très utile pour cela et nous avons d’ailleurs déployé un service de cette nature chez Bosch.

Que répondez-vous aux détracteurs du VE, parfois farouches, sur les arguments des subventions ou du réel bilan écologique des véhicules ?

Pour amorcer une dynamique, les subventions sont souvent nécessaires et elles ne sont, de surcroît, pas déraisonnables en l’espèce. Je ne pense pas que le vrai débat se situe là. D’un point de vue général, j’estime que l’avènement du VE est presque inévitable à l’aune de données macro-économiques. Notre dépendance au pétrole devient trop forte et au-delà même de l’après-pétrole, on affiche et mentionne trop peu le coût déraisonnable de cette dépendance. Par exemple, la sécurisation des approvisionnements représente des sommes considérables, car dans certaines zones, on raisonne à l’échelle de coûts militaires… Par ailleurs, l’aggravation du déficit par exemple en 2011 est due majoritairement aux importations de pétrole, ce qui amène encore plus la dette de notre pays et la charge de celle-ci à des niveaux insoutenables. Bref, à terme, nous n’aurons pas vraiment le choix. En revanche, je ne suis pas devin et je ne peux pas vous donner de date précise ni placer exactement le curseur entre véhicules hybrides et véhicules 100 % électriques à court terme. Nous allons vers un mix de véhicules thermiques qui seront peu à peu de plus en plus hybridés et de véhicules électriques qui vont trouver leur place, notamment en ville. Car l’atout du VE en termes de pollution locale et de santé publique est difficilement contestable.

Par rapport à la production d’électricité, vous n’évoquez pas le nucléaire à dessein ?

Je n’ai pas évoqué le nucléaire, car les projections autour du VE doivent se faire à long terme et pas sur une situation donnée en 2012. Il faut regarder plus loin, vers 2020 et au-delà. En France, le nucléaire existe aujourd’hui et presque tout le monde s’accorde à dire qu’on ne peut pas raisonnablement éteindre toutes les centrales d’un seul coup. Il se trouve que l’électricité ainsi produite est fort peu émettrice de CO2, et que par ailleurs nous n’avons pas besoin d’une seule tranche de centrale supplémentaire pour alimenter jusqu’à 4 millions de VE selon l’Ademe (à condition que la recharge se situe principalement la nuit, ce qui sera facilement le cas). Pourquoi se priver de cet avantage ponctuel ? En se plaçant ensuite à plus long terme, on sait bien par ailleurs qu’énergies renouvelables (intermittentes) et VE forment un couple idéal.

Pensez-vous, comme beaucoup de vos confrères, que les collectivités et les entreprises représentent la première vraie rampe de lancement du VE ?

D’un strict point de vue commercial, je suis d’accord avec cette assertion, mais sous un angle plus théorique, sans aucune prétention, je pense aussi que ce n’est pas le bon discours à tenir. En effet, c’est un discours focalisé sur le prix et non pas sur une vision sociétale et de changement. Or, si les prix baissent, les particuliers seront aussi très intéressés par le VE. C’est comme quand on entend que les VE sont des véhicules urbains. Ils sont adaptés à la ville, comme je le disais précédemment, mais ils ne sont pas seulement urbains. Avec leur autonomie actuelle, les VE sont en fait des véhicules de proximité, mais qui peuvent être parfaitement adaptés à des usages en zones rurales, comme second véhicule du foyer par exemple.

Vous avez-vous-même été volontaire pour participer à une expérience pilote sur le VE : quel est votre point de vue d’usager ?

Par rapport à l’usage que j’en avais, je n’ai eu aucun problème, notamment aucun souci de charge entre mon domicile et mon lieu de travail. C’était une expérience très positive. J’insiste sur le fait que je n’avais pas l’impression d’être un aventurier, entre guillemets, et que le véhicule s’est au contraire intégré naturellement dans mon quotidien. J’ai aussi découvert que cela amène à avoir naturellement une conduite plus apaisée. En somme, c’est plus reposant. D’ailleurs, j’ai une anecdote révélatrice à ce sujet : en voiture, je mets toujours du son, musique ou émissions de radios. Avec le VE, une fois sur deux, je n’allumais rien. Inconsciemment, je profitais du silence : ambiance zen, même en pleins bouchons parisiens !

Le mot de la fin ?

Au-delà de toute considération budgétaire, il y a une chose importante par rapport au VE : l’essayer, c’est l’adopter. C’est capital car cela prouve la qualité intrinsèque de la technologie et du produit. D’ailleurs, toutes les expériences d’auto-partage le démontrent. Par exemple, avec le système que nous proposons chez Bosch, nous avons pu rencontrer des difficultés pour faire passer le pas aux collaborateurs. Mais une fois qu’ils ont essayé, ils y reviennent. Dès lors, j’insiste sur le fait qu’il faut faire tester les produits et qu’il faut multiplier les démonstrations auprès du grand-public.

Article écrit pour la Newsletter du véhicule électrique - Collaboration Avere-France - Journal de l’Automobile

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