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Le dédale réglementaire des ZFE

Publié le 9 mars 2023

Par Jean-Baptiste Kapela
11 min de lecture
Mesure phare de la loi Climat et Résilience, les ZFE-m suscitent encore de nombreux débats. Les règles ne sont toujours pas claires et restent mouvantes, tout comme les aides qui font naître des inégalités selon les territoires.
ville avec zone à faible émission
Depuis décembre 2022, un décret dispense de ZFE-m les agglomérations ayant des concentrations moyennes annuelles en dioxyde d’azote (NO2) inférieures ou égales à 10 μg/m3. (©AdobeStock/Семен Саливанчук)

"Pour le moment, c’est un volcan qui gronde au loin. Mais quand il explosera, il ne faudra pas s’étonner", avait déclaré Alexandra Legendre, porte‑parole de la Ligue de défense des conducteurs. Pierre Chasseray, délégué général de l’association 40 Millions d’automobilistes, préfère quant à lui parler de "bombe sociale à retardement".

 

Peu importe l’expression employée, depuis les votes de la loi d’orientation des mobilités (LOM) en 2019 et de la loi Climat et Résilience en 2021, la question des zones à faibles émissions‑mobilité (ZFE‑m) s’avère être un véritable casse‑tête.

 

D'ailleurs, le Sénat, après l'Assemblée nationale, vient de lancer une mission flash menée par Philippe Tabarot (LR) pour "identifier des solutions réalistes et équilibrées permettant de concilier respect des normes de qualité de l’air et acceptabilité sociale des ZFE, qu’il juge jusqu’à présent très faible."

 

Lire aussi : L’État assouplit la mise en place des ZFE

 

Réglementations différentes d’une agglomération à une autre, aides qui varient en fonction des régions, absence d’outil de contrôle jusqu’en 2024, sanctions encore floues… Dédale lui‑même n’aurait pas fait mieux.

 

Pour rappel, dispositif visant à interdire à la circulation les véhicules les plus polluants, les ZFE‑m concernent les 45 agglomérations françaises de plus de 150 000 habitants, "soit 44 % de la population", selon un rapport parlementaire datant du 12 octobre 2022. Si elles divisent autant, c’est que les ZFE‑m interrogent sur l’exécution. Sans compter une communication pour le moins défaillante.

 

La moitié des Français ne savent pas ce qu'est une ZFE

 

En effet, selon une étude publiée fin novembre 2022 et menée par le club automobile Roole, 56 % des Français reconnaissent ne pas savoir ce qu’est une ZFE‑m. Parmi ceux qui se sont renseignés, seuls 13 % affirment avoir très bien saisi le sujet. Une enquête qui montre aussi de fortes disparités générationnelles et de classe sociale. Ainsi, 51 % des plus jeunes et 53 % des CSP+ sont capables de définir ce qu’est une ZFE.

 

Risque d'exclusion

 

Le puzzle ZFE semble complexe et les personnalités politiques le savent. Le 12 octobre 2022, une mission parlementaire soulignait les incohérences du dispositif. En effet, les deux auteurs de ce rapport, Bruno Millienne et Gérard Leseul, respectivement député Modem des Yvelines et PS de Seine‑Maritime, ont mis en garde sur le risque d’exclusion les familles les plus défavorisées des ZFE.

 

Ces dernières, principalement situées dans les zones rurales et périurbaines, font face au mur du coût à l’achat des véhicules électriques. Comme le rappellent les deux députés : "38 % des ménages les plus pauvres ont un véhicule classé Crit’Air 4 ou 5. Mais aussi 10 % parmi les ménages les plus riches ". Toute une partie de la population est mise de côté dans les discussions, selon les deux auteurs. Plusieurs idées ressortent du rapport pour permettre une meilleure accessibilité aux ZFE‑m.

 

Les députés ont, par exemple, envisagé la perspective de laisser un accès, "24 fois dans l’année et pendant 24 heures, aux véhicules classés Crit’Air 4 et 5". Une idée reprise en partie par la métropole de Toulouse, qui a voté la mise en place d’un pass ZFE. Ce dernier autorise les propriétaires de véhicules polluants à accéder à la ZFE 52 fois par an, pour une durée minimum de trois ans.

 

Coordination entre les agglomérations et l’État

 

"Il est apparu qu’il y avait un manque de dialogue entre l’État et les collectivités ou entre les collectivités elles‑mêmes. Il est important que chacun se parle", préconisait Bruno Millienne. En effet, la non‑uniformisation des règles couplée à un sentiment de solitude en la matière exaspère certains élus locaux.

 

Principal reproche : un manque d’aide suffisante pour les familles modestes. Ainsi, Jean‑Luc Moudenc, maire centre droit de la Ville rose, espère que le gouvernement repense en profondeur le dispositif. "Nous demandons au gouvernement de doubler l’aide de l’État. Le reste à charge, aujourd’hui, même avec le cumul des aides, est encore bien trop important pour nos concitoyens les plus modestes", a‑t‑il déclaré à l’AFP.

 

En région parisienne, le maire communiste de Gennevilliers, Patrice Leclerc, nuance : "La ZFE est nécessaire, d’autant plus que ce sont les milieux populaires qui souffrent le plus de la pollution, mais il faut les aider à prendre ce virage. Sinon, c’est toujours aux mêmes à qui nous demandons le plus d’efforts."

 

Accompagner les ménages

 

Dans leur rapport, Bruno Millienne et Gérard Leseul évoquent la nécessité de créer un comité national de suivi des ZFE. Quelques jours plus tard, le 25 octobre 2022, avait lieu le premier comité interministériel de suivi des ZFE‑m. Sa principale vocation consiste à accompagner les ménages et les collectivités, mais aussi à structurer les démarches. Dorénavant, un interlocuteur exclusif est désigné pour les agglomérations et un comité de suivi se réunira tous les six mois. Le coordinateur interministériel a d’ailleurs été nommé, Édouard Manini, architecte et urbaniste en chef de l’État.

 

En matière d’accompagnement et d’aides aux ménages pour l’achat d’un véhicule électrique, l’État met des rustines. La prime à la conversion a ainsi été rehaussée de 1 000 euros pour les personnes vivant ou travaillant au sein d’une ZFE.

En faisant un état des lieux des soutiens financiers actuels, les ménages les plus modestes peuvent bénéficier : d’une prime à la conversion de 6 000 euros, d’un bonus écologique rehaussé de 6 000 à 7 000 euros (annonce d’Emmanuel Macron au Mondial de l’Automobile), d’un prêt à taux zéro pour l’achat d’un VE allant jusqu’à 30 000 euros.

 

Sans oublier le leasing social de 100 euros par mois pour la location d’un véhicule à batterie, mesure phare du président lors de la campagne présidentielle. Cette dernière devrait être mise en place à partir de 2024. Selon Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports, l’État consacrerait ainsi 1,2 milliard d’euros pour le verdissement du parc en 2023.

 

Des aides… dans tous les sens

 

Un accompagnement de l’État qui s’étend aux métropoles puisque le gouvernement a annoncé un fonds vert de 150 millions d’euros, réparti entre les différentes agglomérations. Celles dont le seuil de pollution dépasse la norme recevront une aide de 15 millions d’euros, les métropoles ayant déjà mis en place une ZFE percevront une enveloppe de 6 millions d’euros et pour les autres dont le dispositif est encore en phase de projet, elles seront accompagnées avec un soutien à hauteur de 1 million d’euros.

 

Un soutien bienvenu pour des collectivités postées sur la ligne de front. Le manque d’une centralisation des réglementations ajoute une fragmentation des mesures dans l’Hexagone, provoquant des inégalités territoriales. L’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), en collaboration avec le cabinet C‑Ways, s’est penché sur les différentes aides dans les métropoles. Au total, sur un plan local et national, ce sont 103 dispositifs différents qui coexistent en France. Sur la centaine de systèmes d’aide, des disparités existent entre les régions.

 

Certaines ont pris des dispositions comme la région parisienne et le Grand Est et d’autres sont de véritables zones blanches comme les régions Bretagne, Centre‑Val de Loire, Nouvelle‑Aquitaine ou les territoires d’outre‑mer. Au total, le rapport fait mention de 13 millions de Français qui ne bénéficieraient d’absolument aucune aide. De plus, les aides pour les véhicules d’occasion électriques et reconditionnés sont particulièrement pauvres, ce qui représente pourtant la majeure partie des immatriculations françaises. Des inégalités marquées sur les modes de transport, avec de forts soutiens pour les véhicules électriques et les vélos. L’Iddri conclut qu’en l’état, les ZFE risquent de précariser une bonne partie des citoyens en matière de mobilité. De fait, l’institut préconise de mieux cibler les ménages laissés pour compte et d’adapter les mesures.

 

Grenoble, exemple de multimodalité

 

Outre les aides financières, régler le problème des ZFE passe aussi par l’aménagement des agglomérations. Par conséquent, pour pallier l’interdiction à la circulation des véhicules considérés comme polluants, les villes misent fortement sur l’amélioration de leurs transports en commun. Comme ce que préconisent Bruno Millienne et Gérard Leseul dans leur rapport avec notamment "un réseau de voies réservées pour des lignes de bus express" et l’augmentation de "la fréquence et de l’amplitude horaire des bus, TER et RER".

 

Longtemps classé dans le top des villes les plus polluées de France, Grenoble fait partie des premières métropoles à avoir mis en place une ZFE. "Pour les particuliers, nous invitons les Grenoblois à utiliser au maximum les transports en commun et les mobilités actives. Aujourd’hui, nous sommes l’une des villes qui a le plus haut taux de report modal", se satisfait Gilles Namur, adjoint aux mobilités à la mairie de Grenoble.

 

Ainsi, la ville est parvenue à un report modal de l’ordre de 18 % sur le vélo pour les trajets domicile‑travail. "Nous continuons d’ailleurs de développer notre Réseau Express Vélo (REV), pour atteindre la deuxième couronne grenobloise, avec 26 km de pistes REV sur les 40 km prévus au terme du mandat", ajoute Gilles Namur.

 

A lire aussi : Angell Mobility fabriquera les premiers vélos électriques Mini 

 

Outre le vélo, la mairie propose des tarifications sociales pour les transports en commun, avec un système de gratuité lors des pics de pollution par exemple. D’autre part, la métropole étoffe ses infrastructures avec le développement d’un RER grenoblois "qui se fait attendre" (selon l’adjoint aux mobilités), des lignes de bus supplémentaires et une prolongation du réseau de tramway avec trois lignes de plus.

 

Mais aussi, l’ajout de lignes téléphériques pour relier des lignes de tram. En parallèle, la métropole met l’accent sur le développement de l’autopartage avec Citiz. "Beaucoup de gens roulent peu en voiture et se débarrassent de leur véhicule avec l’autopartage", souligne Gilles Namur. Pour le moment, 170 véhicules sont en circulation et la métropole ambitionne d’avoir une flotte de 250 nouvelles voitures partagées à terme.

 

Des réglementations qui devraient encore bouger

 

Si les ZFE‑m font trembler les collectivités et les citadins, en 18 mois, beaucoup de choses ont bougé. Le 23 décembre 2022, un décret autorise désormais les agglomérations dont les concentrations moyennes annuelles en dioxyde d’azote (NO2) sont inférieures ou égales à 10 μg/m3" à ne pas mettre en place des ZFE‑m. Une dizaine d’agglomérations pourraient être concernées.

 

D’autre part, les métropoles sont aussi parfois amenées à réajuster leurs propres règlementations. À l'image de celle de Lyon, qui a repoussé l'interdiction des véhicules de Crit'Air 2 au 1er janvier 2028, alors qu'elle était initialement prévu au 1er janvier 2026.

 

Une refonte des vignettes Crit'Air ?

 

Sur le long terme, le fondement même du dispositif, le système des vignettes Crit’Air, pourrait encore bouger. Celui‑ci permettant actuellement de déterminer quels sont les véhicules qui ont le droit ou non de rouler dans les ZFE. Ainsi, la mission parlementaire recommandait de réviser la méthode. "Le principe de classification présente certaines limites et génère de l’incompréhension voire un sentiment d’injustice sociale", indique le rapport.

 

En effet, les vignettes Crit’Air ne prennent pas en compte certaines particularités telles que les additifs nettement moins polluants comme l’AdBlue ou encore les nouveaux modèles moins gourmands en carburant.

 

Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, le reconnaît : "La vignette ne repose aujourd’hui que sur les particules fines et les dioxydes d’azote, sans tenir compte de l’abrasion liée au freinage et au poids. Ce que l’Europe va modifier avec la nouvelle norme Euro 7. À l’issue de cette norme, qui entrerait en vigueur en 2025, nous aurons sans doute à réinterroger ce que sont les vignettes, mais le faire par anticipation n’a pas de sens. Le sujet concerne les véhicules tangents, qui pourraient basculer d’un côté à l’autre, on constate que certains qu’on pourrait considérer comme propres ne se révèlent finalement pas tant l’être que cela."

 

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