La hausse des taux fragilise le financement automobile
En plein cœur de l’été, la Banque centrale européenne (BCE) a pour la neuvième fois consécutive relevé ses taux directeurs. Le taux de refinancement passe ainsi à 4,25 %. Pour les acteurs du financement automobile, la pilule est amère et surtout, l’horizon reste bouché. Depuis des mois déjà, ces derniers encaissent les hausses de taux qui leur sont appliquées.
"C’est bien simple, témoigne Grégory Tinon, directeur des marchés automobiles, motos et véhicules de loisirs chez Financo, les sociétés de financement achètent l’argent entre 10 et 15 fois plus cher qu’il y a seulement trois ans."
Avec la double peine de ne pouvoir répercuter l’intégralité de cette hausse. Certes, la nouvelle périodicité de calcul du taux d’usure apporte une bouffée d’air frais aux sociétés de financement. Mais le rattrapage entre ce taux d’usure et le taux de refinancement n’a toujours pas eu lieu.
A lire aussi : Isabelle Guittard-Losay, BNP Paribas Personal Finance : "La LOA sera soumise aux contraintes du taux d'usure"
"Nous constatons que la hausse du taux d’usure a permis de rattraper uniquement la moitié de la hausse du refinancement", fait remarquer Jean Achard, directeur du réseau et du développement pour les marchés autos, motos et véhicules de loisirs chez Financo.
Des marges en souffrance
Coincées entre le taux d’usure et les commissions versées aux apporteurs d’affaires que sont les groupes de distribution, les sociétés de financement voient leurs marges se contracter. Certains acteurs ont bien essayé de revoir la politique de rémunération avec plus ou moins de succès.
"Le financement est une part essentielle de la rentabilité et de la stratégie d’un groupe de distribution. Surtout lorsque l’on veut développer des formules de mobilité et avoir plusieurs cycles de vie de véhicules pour proposer du neuf et de l’occasion, expliquait récemment Jean‑Loup Savigny, directeur général de Cosmobilis Financing. Le financement pèse 35 % du chiffre d’affaires de Cosmobilis. L’autre aspect stratégique porte sur la capacité à faire passer les clients du véhicule thermique au véhicule électrique par le biais du leasing. Sur ce segment de marché, le financement est essentiel, car la valeur résiduelle est, comme on le sait, subventionnée et permet de rendre la première vie attractive."
Alors que les rémunérations des distributeurs sur la vente de véhicules neufs se réduisent comme peau de chagrin, celle liée au financement est devenue comme indispensable. "Étant donné l’érosion des marges sur les activités principales, les distributeurs comptent désormais sur la rémunération du financement pour assurer leur rentabilité. Pour sécuriser ce modèle, il faut anticiper les évolutions que les régulateurs envisagent pour toujours espérer mieux protéger les consommateurs. On sait déjà que ce sera le cas pour la LOA", avance Christophe Michaëli, directeur du marché automobile en France de BNP Paribas Personal Finance.
Étant donné l'érosion des marges sur les activités principales, les distributeurs comptent désormais sur la rémunération du financement pour assurer leur rentabilité
Difficile pour les financeurs de revoir une grille de rémunération à laquelle les réseaux sont désormais habitués et dépendants. Résultat, les marges se tassent pour l’ensemble du marché. Négatives jusqu’au premier semestre 2023, celles‑ci se sont améliorées chez certains, sans pour autant retrouver les niveaux d’avant hausse.
"Les marges des sociétés de financement servent aussi à rendre un produit utile, à payer les distributeurs et, bien sûr, à rémunérer le financeur. Cela pose donc un énorme problème. Si les marges se resserrent, il va falloir trouver des marges de manœuvre ailleurs : coût de gestion des dossiers, cycles de vie, durées locatives, formules d’abonnement plus flexibles…", avance Étienne Royol, directeur commercial des marchés autos, loisirs, équipements de la maison de Crédit Agricole Consumer Finance.
Et comme les mauvaises nouvelles n’arrivent jamais seules, le niveau de risque s’accroît également, notamment sur la clientèle des professionnels. Ce dernier aurait même été multiplié par deux depuis le début de l’année. "Le recouvrement devient le nerf de la guerre", prévient Grégory Tinon. Tout l’enjeu va donc consister à orienter d’une manière ou d’une autre la production automobile vers les produits à plus forte valeur ajoutée. Avec une difficulté supplémentaire, à savoir que le législateur interdit la rémunération différente des apporteurs d’affaires en fonction des techniques de financement.
Future régulation de la LOA
Mais le plus dur reste sans doute à venir. Jusqu’à présent, la LOA échappait aux règles du taux d’usure. Cette exception ne devrait plus durer. La Commission européenne a décidé d’inclure la LOA dans sa nouvelle directive sur le crédit à la consommation adoptée au printemps dernier. Un nouveau paramètre que les uns et les autres vont devoir à nouveau absorber, après la transposition de la directive dans le droit français.
"L’enfer est pavé de bonnes intentions, s'inquiète Étienne Royol. Cette nouvelle transparence pour le consommateur risque d’être néfaste en réalité par la régulation de ce produit par le taux d’usure." Si la rentabilité de la LOA se retrouve déséquilibrée, comme l’est aujourd’hui le crédit affecté, c’est bien sûr sa pérennité qui est en jeu. D’ores et déjà, même si la LOA semble la technique la plus intéressante pour le client particulier, les professionnels évoquent son report vers la LLD, qui aujourd’hui demeure une activité non régulée.
A lire aussi : L'automobile soutient le crédit à la consommation au premier semestre 2023
"C’est la grande inégalité du texte. La location longue durée reste en dehors du spectre de la directive. Aujourd’hui, le produit est assez peu développé pour les consommateurs particuliers et est plutôt utilisé par de nombreux professionnels. Le risque de fuite vers des produits de LLD a bien été identifié. Bercy veut que des efforts soient faits en matière de transparence pour qu’un consommateur puisse connaître le coût de sa location pendant toute sa durée. Mais il n’existe pas de coût total exprimé dans la LLD. Et nous sommes persuadés que cette solution n’est pas la meilleure pour les ménages modestes qui restent attachés à la propriété", précise Isabelle Guittard‑Losay, directrice des relations institutionnelles de BNP Paribas Personal Finance.
Un premier semestre en franche croissance
Pourtant, en volume, le financement se porte bien. Le nombre de dossiers progresse tout comme le montant moyen financé. En 2022, 60 % des voitures achetées par des particuliers ont été financées, selon les chiffres compilés de l’ASF, et 50 % grâce au leasing.
En valeur, les chiffres sont bien plus impressionnants. Le financement des véhicules a généré 9,4 milliards d’euros de production dont 85 % pour le leasing. Le premier semestre 2023 ne vient pas démentir cette croissance. Le financement automobile soutient même l’intégralité du crédit à la consommation en France. Ou tout au moins réduit sa baisse en valeur qui atteint ‑2,8 %.
Ainsi, la production financière des établissements bancaires, dans cette première partie de l’année 2023, progresse au global de 8,9 % et atteint un total de 8,14 milliards d’euros. Pendant cette même période, le nombre de voitures neuves immatriculées et financées a bondi de 16,2 % sur le segment des particuliers, périmètre abordé lors de ce bilan par l’ASF.
Dans le détail, c’est toujours la LOA qui progresse le plus. La production liée à la LOA VN affiche ainsi une croissance de 11,6 % pour un total de 4,38 milliards d’euros. Une évolution qui suit presque de manière linéaire la hausse du nombre de véhicules loués, qui concernait un volume de 126 385 véhicules (+ 11,9 % par rapport à la même période en 2022).
Au global, le financement des voitures neuves a généré 5,1 milliards d’euros, pour un nombre de dossiers qui s’élève à 415 242. La LOA VO, de son côté, poursuit également sa progression. Celle‑ci a représenté 787 millions d’euros, + 6,2 % par rapport au premier semestre 2022. Celle‑ci pèse désormais 25,8 % des financements de véhicules d’occasion, dont le total s’élève à 3,04 milliards d’euros. Sur le seul mois de juin, cette part atteint même 27,2 % des financements VO. Le financement devient une condition majeure à l’accès aux véhicules neufs et d’occasion. Une évolution d’autant plus rapide que se met en marche l’électrification du marché automobile, avec des prix moyens de VN qui continuent de grimper.
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.