Comment les concessionnaires peuvent-ils amorcer la reprise ?
Depuis plusieurs jours, on s'accorde à dire que la France suit un calendrier assez proche de celui de l'Italie avec un décalage de trois semaines. Ce qui vaut pour le rythme de contaminations, l'adoption de mesures restrictives et le comportement sociologique. Suivant cette réflexion, alors on peut considérer que les observations faites en Italie continueront sans doute à s'appliquer dans l'Hexagone.
Ce postulat de départ offre une grille de lecture toute singulière de l'étude réalisée par MotorK sur son marché domestique, au cours de la troisième semaine de confinement. Un sondage conduit auprès de 1 000 personnes identifiées comme des intentionnistes, sur la plateforme DriveK, révèle que 42 % d'entre eux souhaitent changer de véhicule d'ici 1 à 3 mois et que 40 % de plus envisagent de le faire dans un délai plus long. Mais quoi qu'il en soit, 97,5 % ne cachent pas leur projet de se rendre dans une concession dès la levée de la quarantaine. Un élément à considérer avec sérieux, selon Jean-Pierre Diernaz, le vice-président de MotorK.
"Le trafic sur les sites internet a baissé de 50 %, ce qui veut dire que l'arrêt n'est pas total, souligne-t-il. Il reste 50 % de prospects qui vont maturer leur projet durant cette phase de confinement qui leur octroie plus de temps que d'habitude". MotorK enregistre une hausse de la fréquence de visite de la part de ceux qui s'intéressent de près à un VN. Il y a davantage de comparaisons entre les produits aussi, comme des signes évidents d'une avancée de la réflexion. "Nous n'avons pas pu encore le vérifier, mais les horaires de connexion pourraient montrer que les prospects sont en famille devant leur écran en fin de journée", suppute Jean-Pierre Diernaz.
Un comportement qui, pour cet expert du marketing passé par Nissan, ne fait aucun doute sur le fait qu'à la reprise il y aura des acheteurs devant les portes des points de vente. Pour les concessionnaires, estime-t-il, il y a donc urgence à se structure pour constituer, organiser et animer cette base de contacts chauds. "Certaines marques et groupes de concessions sont plus outillés pour relever ce challenge", note le vice-président de MotorK. Attention toutefois, les visiteurs seront également mieux préparés et donc plus avertis qu'à l'accoutumée. Les réponses apportées devront donc être bien plus précises.
Entretenir un lien étroit
La crise a eu pour conséquence de freiner les investissements publicitaires. En temps normal, une campagne donne des effets tangibles en showroom après 6 à 7 semaines. Si la machine se remet en route au mois de mai, alors les clients ne seraient susceptibles de venir qu'à partir de la mi-juillet. Entretenir un lien étroit durant la période de confinement apparaît donc crucial pour générer du trafic en juin. "Le client ne veut pas nécessairement être rappelé immédiatement, mais reconnu lorsqu'il se déplacera", juge Jean-Pierre Diernaz qui n'exclut pas le besoin d'activer des centres de contact pour requalifier les fiches au moment opportun.
Une prochaine étape à laquelle se prépare Carvivo notamment, qui après avoir observé une chute de 70 %, constate une stabilisation du trafic sur sa plateforme. En se référant à la vision de MotorK, il sera intéressant de suivre durant les jours qui viennent quelle sera la tendance pour l'entreprise picarde. Et Jean-Luc Chotard, le directeur commercial de Carvivo, d'annoncer : "nous avons adressé un courrier à nos clients concessionnaires pour leur expliquer que nous prenons en charge, à titre gracieux, la gestion de leurs leads durant les semaines à venir car nous pensons que la priorité reste de les tenir prêts pour ne rien rater au redémarrage".
Vers un renforcement du digital
"La reprise ne doit pas être une course à la promotion, mais se faire de manière saine". Un rappel d'enjeu qui résonne comme un avertissement, dans la bouche d'un des responsables du développement commercial et marketing de ByMyCar. Il intervenait lors d'une vidéo conférence organisée, le 26 mars 2020, par Jonathan Damis et Jimmy Brumant, les cofondateurs de la start-up MaProchaineAuto. Un rendez-vous ouvert à tous (appelé à se tenir tous les jeudis durant la période de crise, ndlr) qui avait justement pour intitulé "comment préparer la reprise ?".
En un sens, on parle de relance de la machine car les concessionnaires ont été forcés de tout stopper. Ce qui les a mis devant une réalité, celle d'animer une entreprise commerciale omnicanale lorsqu'il s'agit de communiquer mais bien réduite à son showroom quand il s'agit de délivrer les produits. "Nous subissons la situation car nous ne sommes pas suffisamment équipés. La crise nous ouvre les yeux sur notre dépendance aux infrastructures physiques", reconnaissait un cadre du groupe Sipa. L'épisode du Covid-19 remettra-t-il cependant à plat les schémas de distribution ? Peu de chance estiment d'une seule voix les distributeurs sondés.
Non, l'e-commerce n'émergera pas pour autant. Au mieux, il gagnera quelques points de pourcentage auprès des clients, après avoir vu s'accélérer la mise en œuvre de chantiers. "Le web était un axe tactique marketing, il prend une nouvelle importance. Nous sommes donc contactés un peu dans l'urgence pour faire avancer des projets", rapporte Jean-Pierre Diernaz, qui endosse aussi le costume de directeur France. "Il y a toutefois une capacité à oublier dans nos sociétés et il sera crucial de mobiliser, après cet épisode, pour développer la vente en ligne et adopter des logiciels plus appropriés", relève pour sa part Dominique Allain, le directeur du développement de Bee2Link, présent à la conférence de MaProchaineAuto.
Tension en vue à l'après-vente
Ne se trompe-t-on pas toutefois de débat ? Parler de reprise ne doit pas se concentrer sur les VN et les VO mais aussi sur les ateliers. "Etrangement, nous ne recevons pas de directive claire pour le SAV de nos constructeurs", pointe le responsable évoluant dans le groupe ByMyCar. Il craint d'ores et déjà un embouteillage puisque la reprise est attendue pour la période la plus tendue de l'année. "Il est important d'utiliser les outils à notre disposition pour réadresser les rendez-vous et orchestrer les agendas, d'autant que les constructeurs refusent de reporter les dates limites de prise sous garantie", complète-t-il sa réflexion.
Les concessionnaires, par le truchement des constructeurs ou de leurs représentants syndicaux, pourraient au préalable réclamer une sortie progressive des restrictions et du chômage partiel afin de relancer la mécanique. "Après une si longue période d'inactivité, il y a fort à parier que certaines voitures ne redémarreront plus et que les assisteurs vont nous solliciter", préviennent les distributeurs, en cours d'évaluation des tensions que cela pourrait faire peser sur les stocks.
Guilhem Itié, homme fort du VO marchand dans le groupe Dubreuil, soulève un autre point. Pour lui, il y aura deux types de distributeurs, ceux qui ont les moyens de préparer leurs véhicules d'occasion dans des structures tierces et ceux qui s'appuient sur les ateliers des concessions. Chez ces seconds, les clients du comptoir monopoliseront l'attention des mécaniciens. La préparation des véhicules à sortir s'en trouvera retardée. De fait, la reprise sur les parcs VO s'en trouvera affectée. Pourtant, paradoxalement, les distributeurs en auront particulièrement besoin pour générer de rapides entrées d'argent. Cette reprise n'aura donc rien de facile à négocier, mais avec ses trois semaines d'avance, l'Italie pourrait nous dispenser de précieux enseignements.