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Industrie

Patrick Pelata : "L'Europe va imposer un passeport batterie avec une empreinte carbone maximale"

Publié le 15 avril 2022

Par Catherine Leroy
6 min de lecture
Patrick Pelata, qui dirige le cabinet Metaconsulting, contribue à la mission confiée par le gouvernement à Philippe Varin sur l'approvisionnement des matériaux critiques pour la transition énergétique. Les constructeurs n'ont pas encore répercuté, selon lui, l'impact de la pénurie des matières premières. Mais l'Europe travaille dur à son indépendance, notamment avec le règlement batteries.
Patrick Pelata, qui dirige le cabinet Meta Consulting, contribue à la mission Varin sur l'approvisionnement des matériaux critiques pour la transition énergétique.

Journal de l'Automobile : Comment analysez-vous la hausse des marges annoncées par les constructeurs au titre des résultats de 2021, dans un contexte de crise et de pénuries ?

Patrick Pelata : En fait, nous avons assisté un décalage énorme entre l’offre et la demande. D’habitude, quand un constructeur a des problèmes de livraison, ses concurrents récupèrent immédiatement les volumes. Mais ce contexte de crise touche tous les constructeurs en même temps. L’offre globale automobile a énormément baissé. Car c’est une crise de l’offre que nous sommes en train de vivre et non une crise de la demande. Peut-être nous connaîtrons également une crise de la demande mais actuellement, ce n’est pas le cas. Les constructeurs, tous logés à la même enseigne, ont décidé de stopper les discounts pour vendre et les prix de transaction moyens ont augmenté. Ces 5 à 10 % d’incentives qui ne sont pas donnés au client, ni au réseau : les constructeurs les ont gardés.

 

J.A. : La hausse du prix des matières premières n’influe-t-elle pas encore sur le prix des voitures ?

P.P. : Pour l’instant les constructeurs sont touchés dans leur coût de production. Certains ont commencé à répercuter ces augmentations, comme par exemple Tesla qui a affiché une hausse de tarifs deux fois en une semaine, ce qui n’est pas commun. Mais la hausse des prix actuelle se fonde en grande majorité par la suppression des incentives.

 

J.A. : Quel effet anticipez-vous de la hausse des tarifs ?

P.P. : Les voitures valent 7 à 10 % plus cher en prix de transaction déjà actuellement. Il faut faire très attention car on atteint presque le mur de l’acceptation du prix, surtout pour les marques généralistes. Au-delà d’une certaine limite, les constructeurs ne vendront plus.

 

J.A. : Comment jugez-vous la décision européenne de bâtir une filière dédiée aux semi-conducteurs. N'arrive-t-elle pas trop tard ?

P.P. : C’est la première fois que l’Europe comprend et agit sur le fait qu’elle est en forte dépendance, que ce soit sur les semi-conducteurs ou même les batteries. C'est une très bonne nouvelle même si cela ne résout pas tous les problèmes car nous nous sommes positionnés sur les semi-conducteurs haut de gamme, l’électronique de puissance.

 

J.A. : Est-il vrai que ce marché subit de fortes spéculations ?

P.P. : C’est vrai que tout n'est pas clair sur ce marché, y compris entre constructeurs. Mais c'est un scénario que le secteur a déjà connu notamment pendant le tsunami de 2011. Certains constructeurs paient plus et font également jouer la préférence nationale. Mais personne ne l’avouera jamais. C’est aussi un jeu de poker menteur. Car si vous avouez qu’il manque des composants, les fabricants en déduisent que vous ne pourrez pas produire et dérivent leur propre production vers un autre client. A chaque fois et vous l’aurez remarqué : seules quelques usines arrêtent réellement leur production. Généralement, ce sont des cadences qui sont réduites, ce qui permet de rendre plus discret le mouvement.

 

J.A. : La France, et plus généralement l’Europe, se dotent de capacités de production de batteries. Seront-elles suffisantes ?

P.P. : Aujourd’hui, les annonces de production de batteries sont largement suffisantes et nous en avons plus que nécessaire. Après reste évidemment la question de savoir celles qui verront réellement le jour. Car la production d’électrodes et de cellules sont des process particulièrement compliqués. Ensuite, la technologie évolue très vite et il faut en même temps être capable de produire les cellules tout en étant à la pointe en matière de recherche et développement pour rester à jour. J’ai quand même un certain scepticisme sur le nombre de fabricants de batteries qu’il y aura en Europe. Mais je n’en ai pas sur la capacité de production, ni sur les surcapacités car les lignes de production sont installées au fur et à mesure de la demande. Mais l’amont de la production des cellules de batteries est plus problématique. C’est notamment la mission confiée à Philippe Varin, mission à laquelle je collabore.

 

A lire aussi :  Yann Vincent (ACC), "Nous pourrons produire des batteries pour un million de voitures électriques"

 

J.A. En quoi l’amont de la production est plus problématique ?

P.P. : L’amont de la production de batteries comprend quatre étapes fondamentales. Les cathodes actives materials (Cam), les pré-Cam, la purification du nickel, du cobalt et du lithium et pour les anodes la fabrication du graphite. Pour ces étapes, nos capacités représentent seulement 20 % de nos besoins en Europe pour 2030. C’est clairement insuffisant.

 

Il faut reconnaître que l’Europe fait un super boulot en ajoutant un "passeport" dans son règlement batteries.

 

J.A. : Quels sont les leviers possibles et les difficultés rencontrées pour augmenter ces capacités ?

P.P. : Nous devons attirer en Europe ces fournisseurs. Sur ce point l’Europe travaille sur un passeport batteries qui va imposer un taux de localisation, qui n’est pas si difficile à obtenir, mais surtout une empreinte carbone plafond, qui va être sévérisée petit à petit. Avec ce passeport, seront éliminées les fabrications chinoises avec de l’électricité carbonée. Ce principe sera bien plus efficace que la taxe aux frontières. La norme prévue consiste à mesurer l’empreinte carbone en remontant jusqu’à la mine. Ce qui n’est pas si difficile. Six étapes seront ainsi auditées : prépurification, purification des précurseurs, des Cam et des batteries, avec à chaque fois un producteur identifié qui devra fournir un certificat CO2 sur sa production.

 

A lire aussi : Métaux rares et batteries : Eramet avertit contre une double dépendance vis-à-vis de la Chine

 

J.A. :  Quels sont les seuils prévus par la Commission européenne ?

P.P. : Aujourd’hui une batterie fabriquée en Chine avec de l’électricité très carbonée pèse 100 kg de CO2 par kWh. Dans le cas d’une fabrication plus vertueuse, l'empreinte carbone descend à 60 kg et des réflexions avancent également pour des seuils à 40 kg. Si l’Europe pose une limite à 60 kg, cela signifie qu’elle impose non seulement la fabrication des batteries en Europe mais aussi des Cam et des pré-Cam qui sont fortement consommateurs d’énergie en Europe. C’est mieux qu’une taxe, qui peut être contournée. L’Europe discute également sur le droit ou non d’utiliser du nickel, lithium ou cobalt qui ne respectent pas un standard de Responsible Mining, baptisé Irma (Initiative for Responsible Mining Assurance) qui est audité et construit avec des ONG dont Transport & Environment.

C’est le standard le plus sévère mais, pour l’instant, l'uranium et donc le nucléaire ne peut pas être intégré. Nous cherchons à faire évoluer ce principe. C’est en discussion actuellement dans le passeport batterie d’ici 2030. Et c’est ce que la France cherche à imposer pendant sa présidence de l’Union européenne. Il faut reconnaître que l’Europe fait un super boulot sur le sujet. L’obligation de mesure et d’audit est d’ores et déjà décidée pour 2025. Le seuil de carbone sera ajouté ensuite. Le principe a été acté et sera intégré au règlement batteries. Le certificat Irma n’est pas confirmé mais la France pousse très fort à son ajout. Cette décision est très importante car elle impose une dynamique à tout le monde, sans perturber un système déjà installé puisque toute cette industrie est nouvelle.

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