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Industrie

Yann Vincent (ACC) : "Nous pourrons produire des batteries pour un million de voitures électriques"

Publié le 18 juin 2021

Par Catherine Leroy
8 min de lecture
La coentreprise de Stellantis et Saft, ACC (Automotive Cells Company) a pour objectif de créer un Airbus européen de la batterie. La mission du directeur d’ACC relève du défi : faire que l’Europe ne soit plus dépendante de l’Asie pour la fabrication de batteries.
Yann Vincent, directeur d'ACC, a fait toute sa carrière dans l'automobile, chez Renault, PSA mais aussi Alstom Transport.

 

Journal de l’Automobile : Où en êtes‑vous de l’avancement industriel de la société ?

Yann Vincent : Plusieurs dates sont à retenir. La première, c’est maintenant ! Notre centre de recherche et développement, dans la banlieue bordelaise à Bruges, a démarré l’assemblage des premières cellules. Dans ce lieu, nous avons la capacité de prototyper n’importe quel type de cellules, de les tester d’un point de vue de la performance, de la sécurité… La deuxième, c’est la fin de cette année, quand nous démarrerons notre site pilote à Nersac, en Nouvelle‑Aquitaine. Le bâtiment est construit. Les premiers équipements de process qui viennent de fournisseurs asiatiques vont arriver. Cette usine pilote est très importante, car nous allons y tester nos process de fabrication qui seront identiques à ceux de notre première gigafactory qui sera basée à Douvrin dans les Hauts‑de‑France. La troisième date est moins précise, sans doute au premier trimestre 2023, où nous démarrerons effectivement l’usine de Douvrin dont la construction sera engagée en 2022. Enfin, la quatrième phase se produira en 2025 avec la gigafactory basée en Allemagne à Kaiserslautern.

 

 

J.A. : Le centre pilote de Nersac va-t‑il commencer à servir en production certains constructeurs ?

Y.V. : Sa vocation principale est de valider les process de fabrication qui seront utilisés pour l’usine de Douvrin. Les évolutions qui arriveront sur nos process de fabrication y seront testées également. Mais nous envisageons aussi d’y produire de petites séries pour des constructeurs qui auraient des besoins moindres.

 

 

J.A. : Quelle sera la capacité de production à Douvrin ?

Y.V. : Elle sera de 24 gigawattheures. Ce qui nous permettrait de faire des batteries pour 500 000 petits véhicules par an

 

 

J.A. : Et dans l’usine en Allemagne ?  

Y.V. : Nous doublerons cette capacité qui atteindra 1 million de véhicules. Pour cela, nous discutons avec tous les constructeurs européens et j’ai bon espoir que nous arrivions à conclure, dans les prochains mois, un accord avec au moins l’un d’entre eux. Notre volonté est de ne surtout pas se limiter à Stellantis.

 

 

J.A. : Quelle est la technologie utilisée ?

Y.V. : Nous allons nous baser sur la technologie qui est le standard de la profession. C’est un peu l’état de l’art et donc, à ce stade, nous n’aurons pas d’innovations sur ce process. Sur le produit lui‑même, la chimie est optimisée par rapport à l’offre actuelle sur le marché. C’est une chimie très riche en nickel et limitée en cobalt, avec des caractéristiques spéciales de densité énergétique et des temps de recharge optimisés. C’est donc une chimie qui, dans les matériaux utilisés, existe déjà, mais poussée dans ses limites. L’offre actuelle se base sur des chimies avec des taux de nickel plus réduits et des taux de cobalt plus importants. Notre technologie apportera une meilleure densité énergétique et donc une plus grande autonomie.

 

 

J.A. : Quelle est votre dépendance face aux matières premières de ces batteries ?

Y.V. : La question est plus compliquée pour l’approvisionnement. Deux types d’acteurs fondamentaux cohabitent dans l’approvisionnement. D’abord, les mines, puis les industries de chimie qui reçoivent les produits raffinés et les trans‑ forment en produits que nous pouvons ensuite utiliser. Les mines de matières premières sont liées à la géographique. Et elles ne sont pas seulement en Chine, mais aussi en Afrique, au Brésil. Mais il n’y a pas de pays disposant de monopole dans l’activité minière. Certains sont plus forts que d’autres. Pour le cobalt, le Congo doit représenter environ 50 % de la production mondiale. C’est beaucoup, mais ce n’est pas la totalité non plus. C’est vrai de tous les matériaux, y compris du nickel, fortement présent en Indonésie, mais aussi en Nouvelle‑Calédonie, en Russie… Ces matières sont essentiellement transformées en Chine, mais pas exclusivement. Certains fournisseurs européens comme Umicore ou BASF sont très actifs.

 

 

J.A. : Quelles sont vos ambitions et comment vos concurrents actuels se partagent‑ils le marché ?

Y.V. : Actuellement, les deux plus gros fabricants de batteries sont CATL avec 31,5 % de part de marché et LG Energy Solution avec 20,5 %. Notre ambition est de représenter 10 % du marché européen du véhicule électrique, à l’horizon 2030, qui devrait atteindre environ 12 millions d’unités sur les 17 millions immatriculées sur le Vieux Continent, toutes motorisations confondues et hors année de crise sanitaire.

 

 

J.A. : Face à cette domination, quelles sont vos possibilités ?

Y.V. : Nous discutons avec les fabricants européens sur la manière d’utiliser leurs produits et de faire en sorte qu’ils soient compétitifs et, en parallèle, avec les entreprises chimiques chinoises sur un plan éventuel de localisation en Europe. Sachant que tous ont compris que le marché du véhicule électrique allait se développer en Europe et qu’ils ont probablement intérêt à être présents. Mais, bien sûr, entre la compréhension et la décision, il y aura un écart…

 

 

J.A. : Votre société est‑elle prête à accueillir d’autres acteurs ?

Y.V. : ACC est une entreprise avec deux actionnaires à parts égales. Les États français et allemand, tout comme les collectivités territoriales des Hauts‑de‑France et de Nouvelle‑Aquitaine, soutiennent significativement ce projet dans le cadre d’un IPCEI (important project of common european interest). Ces aides traduisent une volonté de l’Europe. Quant à l’ouverture à d’autres actionnaires, la réponse est oui et les discussions se poursuivent notamment avec Renault.

 

 

J.A. : Pourquoi des constructeurs allemands ne vous rejoindraient‑ils pas ?

Y.V. : Nous discutons également avec des constructeurs allemands. Il y a une compréhension de la part des acteurs européens de la nécessité de la construction d’une industrie européenne de fabrication des batteries et une participation des constructeurs à cette entreprise. Mais les discussions peuvent également porter sur une contribution technique, commerciale.

 

 

J.A. : Quels sont vos accords avec Stellantis en tant que fournisseur et aurez‑vous un traitement à part ?

Y.V. : Stellantis, comme les autres groupes automobiles, a des exigences techniques sur nos produits : un niveau de densité énergétique, un temps de charge, une durabilité. Une fois que nous aurons une réponse technique cohérente avec ces demandes, ils veulent le prix le plus bas. La pression pour que les coûts des batteries baissent est forte de la part de tous les constructeurs. Ce que je peux comprendre, car leur préoccupation est de rendre le véhicule électrique aussi attractif en termes de prix qu’un thermique et qu’il dégage une marge au moins équivalente, si ce n’est supérieure. Or, la batterie, qui pèse environ 40 % du coût d’un véhicule électrique, est l’un des éléments différenciants majeurs par rapport au véhicule thermique.

 

J.A. : De combien le prix de la batterie devrait‑il baisser ?

Y.V. : Il y a encore quelques mois, le tarif du kilowattheure était de 150 dollars. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire qu’il faut passer sous les 100 dollars. La prochaine cible, vers 2030, serait d’être sous les 50 dollars. Évidemment, ce sont des chiffres qui sont très dépendants du coût des matières premières, mais ils donnent des points de repère. Nous pensons en tout cas que c’est faisable.

 

J.A. : Qu’est‑ce qui rendrait cette baisse possible ?

Y.V. : L’optimisation du design de la cellule, entre autres, mais aussi beaucoup de petites économies qui, mises bout à bout, peuvent nous permettre d’atteindre cette limite. L’optimisation du process de fabrication est également essentielle avec deux éléments à prendre en compte : le niveau de rebut et celui de panne. Ce sont des process très pointus qui peuvent se traduire par de grosses différences sur ces deux indicateurs. Selon le taux de rebut, le coût sera totalement différent. Nous maîtrisons mieux ces deux paramètres par l’utilisation massive des big data. L’exploitation des données et donc nos process seront très connectés. C’est un des points majeurs de la réduction des coûts de fabrication. Au‑delà, des évolutions de process sont prévues, avec notamment des process de fabrication des électrodes à sec qui permettent d’éviter l’utilisation de solvants et les installations de récupération de ces derniers…

 

J.A. : Quelles révolutions sont attendues dans le futur dans la technologie des batteries ?

Y.V. : Tous les universitaires et laboratoires travaillent sur la technologie de la batterie solide. C’est évidemment la prochaine révolution. Son intérêt technique est de supprimer l’électrolyte liquide qui est un liquide très inflammable. Compte tenu de cette inflammabilité, la densité énergétique et donc l’autonomie que l’on peut embarquer dans une voiture sont réduites. Passer à un électrolyte solide supprime ce risque et permet une amélioration très sensible de la densité énergétique. C’est la principale évolution technologique. La difficulté que l’on a est d’arriver à avoir les mêmes performances de conductivité… Nous sommes encore sur de la recherche en amont sur ces sujets.

 

 

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