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Industrie

Pascal Canfin, Parlement européen : "Pas question de générer un e-fuel gate"

Publié le 5 avril 2023

Par Catherine Leroy
8 min de lecture
Le président de la commission Environnement au Parlement européen se félicite de l'adoption du règlement sur les émissions de CO2 en 2035. Il prévient cependant que le Parlement exigera toutes les garanties pour éviter une sorte d'e-fuel gate. Il assure également que les normes Euro 7 telles que proposées aujourd'hui n'obtiendront aucune majorité de vote. Cet entretien a été réalisé avec Florence Lagarde d'Autoactu.com.
Pascal Canfin - parlement européen - e-carburants et Euro 7
Pascal Canfin, président de la commission environnement au Parlement européen. (© Parlement européen)

Journal de l’Automobile : Quelle est votre réaction face aux négociations sur l’adoption du règlement CO2 ?

Pascal Canfin : Ma ligne rouge était que l’accord trouvé en octobre dernier ne soit pas remis en cause, ce qui n’a pas été le cas. Ce texte a finalement bien été adopté avec le soutien de l’Allemagne. L'accord est donc inchangé.

 

Quelle est la suite de la procédure pour intégrer les e‑fuels dans la réglementation ?

P.C. : La Commission va lancer une procédure sous Euro 6 pour définir les conditions d’homologation des voitures 100 % e‑fuel de manière permanente sous la forme d’un acte délégué. Comme il s’agit de la norme Euro 6, donc avant le traité de Lisbonne, il faudra, pour que le texte soit adopté, que l’Allemagne obtienne une majorité qualifiée des États membres. Pour que cet acte délégué puisse passer, il faudra par exemple le soutien de l’Espagne, de la France et d’autres pays. Il faudra que l’Allemagne et la Commission convainquent que le texte proposé apporte toutes les garanties pour qu’on n’ait pas une sorte d’"e‑fuel gate" avec des véhicules officiellement e‑fuel mais équipés d’un adaptateur acheté sur Amazon pour 50 euros, qui fait qu’ils pourraient utiliser des carburants fossiles.

 

Lire aussi : E-carburants : Bruxelles assouplit l'interdiction de moteurs thermiques

 

Les équipementiers nous disent qu’ils peuvent fabriquer des capteurs qui garantiront l’usage d’e‑fuel ?

P.C. : Qu’est‑ce qui nous garantit que le capteur ne sera pas débranché ? On a vu que cela existe. Ce champ sera celui sur lequel, au Parlement européen, nous serons le plus attentifs. Il est hors de question qu’après le dieselgate, les Allemands génèrent l’"e‑fuel gate". Ce premier acte délégué arrivera dans trois ou quatre mois.

 

Quelles sont les prochaines échéances réglementaires ?

P.C. : En plus de ce premier acte délégué, nous aurons un deuxième texte pour définir le statut juridique en termes de CO2 d’une voiture homologuée 100 % e‑fuel. Le ministre des Transports allemand voulait que la Commission s’engage immédiatement sur le caractère zéro émission des véhicules e‑fuel. Ce n’était pas possible juridiquement. Car il n’existe aucune base légale pour que la Commission puisse garantir que ce véhicule est zéro émission. Si cet acte délégué ne passe pas, la Commission fera une proposition législative qui amendera le texte sur les standards CO2 des véhicules. Ce deuxième texte prendra plus de temps. Il arrivera probablement peu de temps avant la clause de revoyure déjà prévue pour 2026.

 

Est‑ce qu’avec cet aménagement, nous revenons dans la neutralité technologique ?

P.C. : J’insiste sur le fait qu’il n’y a jamais eu de disposition dans le règlement qui dit « voiture électrique ». J’entends qu’il s’agirait d’une interdiction des moteurs thermiques, c’est faux. Ce texte est neutre d’un point de vue technologique et ne s’attache qu’à un standard de performance. Notre seul enjeu, c’est zéro émission à la sortie du pot d’échappement. Aujourd’hui, au moment où on se parle, les constructeurs nous disent qu’il n’y a qu’une seule technologie, c’est la batterie seule ou avec fuel cell. Si demain il y a une autre technologie, zéro émission, ce sera bien sûr autorisé. C’est d’ailleurs pour cela que Renault fait des recherches avancées sur un moteur thermique 100 % hydrogène. Je le redis, car c’est le slogan de l’extrême droite en Allemagne : ce texte n’est pas l’interdiction du moteur thermique. C’est faux. Il faut juste que ce soit zéro émission. Et tous les constructeurs nous disent qu’une seule technologie mature existe : c’est la batterie ou éventuellement le fuel cell. S’ils trouvent autre chose, les constructeurs peuvent le faire. Ce texte ne tue pas l’innovation. La stratégie européenne est multitechnologique et multi‑usage. Nous faisons d’ailleurs la promotion de l’hydrogène et de l’e‑fuel pour les bateaux et les avions parce qu’il n’y a pas d’autres solutions. Tous les procès en non‑neutralité technologique sont totalement faux.

 

Comment mesurer l’impact CO2 des e‑fuels ?

P.C. : Aujourd’hui, le seul standard de mesure des émissions de CO2 en Chine, aux États‑Unis, en Europe, c’est au pot d’échappement. Les constructeurs sont favorables à ce principe parce que c’est ce qui engage leur responsabilité juridique. Je rappelle que l’e‑fuel émet autant de CO2 que le diesel ou l’essence, au pot d’échappement, en plus d’émettre d’autres types d’émissions, tels que l’ammoniac ou du monoxyde de carbone.

 

Au final, cet aménagement pour les e‑fuels, c’est un non‑sujet ?

P.C. : C’est un enjeu d’ultraniche pour ultrariches. Les deux seuls constructeurs qui se sont réjouis de cette situation, ce sont Ferrari et Porsche. Il y a sur ce sujet un grand écart entre l’importance politique et l’importance industrielle pour les voitures qui est proche de zéro. C’est une technologie qui sera peut‑être utile pour décarboner certains secteurs qui n’ont pas d’autres solutions, comme le maritime, mais qui restera chère, donc réservons‑la là où c’est vraiment nécessaire. Les constructeurs n’ont aucune envie d’investir pour quelque chose de cher et risqué. Ce sujet est lilliputien à l’échelle industrielle et ils ont réussi à faire croire que c’était un combat populaire, alors que l’on parle de Ferrari et de Porsche !

 

Est‑ce que les e‑fuels ne pourraient pas réhabiliter les hybrides ?

P.C. : Les hybrides ne sont pas zéro émission. L’Italie pousse les biocarburants. Chacun arrive avec sa shopping list. Rien de tout cela n’est neutre en carbone. Nous faisons cette réglementation pour tenir les engagements que nous avons tous pris d’être neutres en carbone. La clause de revoyure de 2026 est importante parce que nous sommes sur un changement technologique majeur sur la plus grande industrie en Europe en termes d’emplois. Cette clause nous permettra de tenir compte des évolutions technologiques à condition qu’elles soient neutres en carbone.

 

Que pensez-vous du silence de la France sur le sujet ?

Pascal Canfin : Il n’y a pas eu de silence de la France ! Bruno Le Maire et Clément Beaune ont été clairs. La France a défendu le texte en l’état, et a bien dit qu'il était hors de question de le rouvrir.

 

Le texte sur le mécanisme de taxe carbone aux frontières ne prend en compte que les produits non manufacturés. N'est-ce pas un appel à la délocalisation ?

Pascal Canfin : Le risque de contournement de ce texte a été identifié et je l'ai évoqué dès le début de la négociation. Il faut que ce mécanisme concerne les produits transformés. Donc un an avant l'entrée en vigueur totale du texte, en 2025, la commission européenne a l’obligation de proposer une législation qui amende le mécanisme pour couvrir les produits transformés qui seraient à risque en termes de délocalisation. Et l'industrie automobile est aux premières loges notamment sur quelques pièces clés, comme les châssis par exemple. Le signal politique est simple : inutile de nous faire peur avec ce risque qui sera couvert. Mais nous avons besoin de toutes les informations qui justifient cette protection.

 

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Où en est‑on avec les normes Euro 7 ?

P.C. : On ne peut pas demander en même temps aux constructeurs d’investir massivement dans l’électrique et dans les moteurs diesel ultraperformants. Mais, il y a la nécessité d’élargir les normes aux particules émises par les pneus et les freins. Ce qui concernera aussi les véhicules électriques. Il ne faut pas bloquer le texte donc, a minima, je suis pour l’inclusion des pneus et des freins. Concernant les moteurs, les conditions des tests sont très difficilement acceptables par les constructeurs. Mais je pense qu’il n’y a aucune majorité au Parlement européen et au Conseil pour soutenir la position de la Commission, sur ce point. Ces conditions de tests demandent aux constructeurs des investissements très importants pour des gains de santé publique assez limités. Je l’ai dit à Luca de Meo, avec sa casquette de président de l’Acea.

 

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Et sur les changements des seuils d’émission ?

P.C. : L’Acea a proposé un seuil de 35 mg d’émission de NOx, je ne vois pas pourquoi nous ne le mettrions pas dans la législation. Nous pouvons donc être mieux‑disants sur les seuils d’émission de particules, car c’est déjà la réalité pour les constructeurs. Cela demandera peu d’investissements supplémentaires. En échange, nous proposons une version plus rationnelle sur les conditions des tests. Et nous étendons Euro 7 aux pneus et aux freins. Je pense que c’est l’équation qui permet de faire passer un texte qui a plus de pertinence. La logique veut bien sûr que l’entrée en vigueur de ces normes soit décalée si nous prenons plus de temps que prévu par la Commission pour les négocier. Mais le vote aura lieu au Parlement cet automne.

 

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