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Industrie

Émissions de CO₂ : derrière le compromis de 2035, l’illusion d’un retour du thermique

Publié le 17 décembre 2025

Par Catherine Leroy
6 min de lecture
En assouplissant la trajectoire de baisse des émissions de CO₂ à l’horizon 2035, la Commission européenne revendique une victoire politique. Mais à la lecture des mécanismes envisagés, l’ouverture aux motorisations non électriques apparaît sans doute comme surestimée. Le compromis rassure à court terme, mais ne résout ni les contraintes industrielles des constructeurs ni la crise de la demande automobile en Europe.
réglementation CO2 automobile Europe 2035
Le compromis trouvé par la Commisssion pour accepter des motorisations thermiques et hybrides après 2035 rassure à court terme, mais ne résout ni les contraintes industrielles des constructeurs ni la crise de la demande automobile en Europe. ©Stellantis

Comme souvent dans les textes réglementaires, le diable se cache dans les détails. En proposant d'assouplir la trajectoire de baisse des émissions de CO2 pour les constructeurs automobiles en 2035, la Commission européenne peut se prévaloir d'une réelle victoire politique. Celle d'un compromis qui devrait être voté par le Parlement européen, puis par le Conseil de l'Union dans les semaines qui viennent. Mais comme le reconnaît un membre de la Commission, "nous avons cessé d'être dans le rationnel économique."

 

 

Et pour cause ! Il faut encore attendre le détail des textes qui seront publiés par l'exécutif européen, mais d'ores et déjà, l'ouverture aux motorisations thermiques, hybrides rechargeables ou encore range extender (REEV) après l'échéance de 2035 risque de ne pas être aussi importante que ne le laissaient entendre les commissaires européens ce mardi 16 décembre 2025.

 

 

Au global, l'assouplissement accordé touche plusieurs étages de la fusée des normes CAFE. Ces dernières prévoyaient une baisse de 100 % des émissions de CO2 en 2035 par rapport aux objectifs de 2021. À cette époque, la moyenne tous constructeurs confondus des objectifs était de 110 g de CO2 par km (95 g affichés avec la norme WLTP).

 

La voiture électrique s'imposera même avec les assouplissements

 

Désormais, la cible atteint 90 % de réduction, ce qui revient de facto à une autorisation de 11 g de CO2 par km en moyenne, à condition que les constructeurs aient compensé, en amont, ces émissions par l'utilisation d'acier vert décarboné produit en Europe (pour environ 7 %) et par exemple par l'utilisation de biocarburant de nouvelle génération (3 %).

 

Encore faut-il connaître les définitions précises de la Commission sur ce qu'est un acier vert décarboné et ce qu'elle intègre dans la notion de carburant de synthèse. Sur ce point également les textes européens sont attendus avec impatience.

 

"Il ne faut pas surestimer la portée des flexibilités accordées ni l’intérêt à long terme des hybrides rechargeables ou des agrocarburants, qui resteront strictement encadrés et relégués à des niches en 2035, probablement concentrées sur des gammes plus coûteuses. Cette ouverture interroge par ailleurs son intérêt industriel pour les constructeurs généralistes européens : à l’approche de 2035, ils pourraient se retrouver face à des choix difficiles quant à la diversification de leurs motorisations (PHEV, Range extender, Thermique), avec le risque de se disperser, de multiplier les développements et, in fine, de perdre en compétitivité"observe Jean-Philippe Hermine, directeur de l'Institut mobilités en transition (IMT).

 

Le facteur d'utilité des PHEV modifié en 2027

 

Ces 11 grammes de CO2 pourront être issus aussi de voitures thermiques, hybrides, hybrides rechargeables ou même de voitures électriques à prolongateur d'autonomie (REEV). Une moyenne qui fait dire aujourd'hui à la Commission européenne que la part des véhicules qui ne sont pas 100 % électriques pourrait atteindre jusqu'à 30 à 35 % des ventes totales. Une estimation très optimiste cependant puisque dès 2027, le calcul des émissions de PHEV et des REEV seront corrigées. Aujourd'hui, ces modèles bénéficient de "facteurs d'utilité" (UF) qui leur permettent de bonifier la part des émissions en mode électrique.

 

L’Union européenne a constaté que les UF actuellement appliqués dans l’homologation des PHEV sont trop optimistes, car ils reposent sur des hypothèses idéalisées de conduite et de recharge qui ne reflètent pas l’usage réel des véhicules sur la route. Cela conduit à des émissions de CO₂ officiellement sous-estimées.

 

L’objectif principal de la révision est donc de réaligner les UF réglementaires sur les données réelles d’usage, comme celles collectées via les systèmes de mesure de consommation embarqués (OBFCM). Ainsi, la mesure ne sera plus estimée mais basée sur des comportements routiers réels. Concrètement, un PHEV qui émet 160 g de CO2 en mode thermique est comptabilisé comme émettant 48 g de CO2. En 2027, avec cet UF corrigé, son émission atteindrait 88 g de CO2/km.

 

La marge de manœuvre des constructeurs avec les PHEV sera donc très limitée. Les REEV bénéficient aujourd'hui du même mode de calcul que les PHEV. Mais rien n'est moins certain avec la révision de la réglementation accordée par Bruxelles. Cette technologie pourrait donc sortir comme le grand vainqueur. Mais pour cela, il faudra attendre la révision du calcul de ces facteurs d'utilité.

 

Un lissage sur trois ans des émissions de CO2 pour 2032

 

En ce qui concerne l'objectif pour 2030 pour les voitures et les camionnettes, une flexibilité supplémentaire est introduite en autorisant le "banking & borrowing" pour 2030-2032. Un premier lissage a été accordé en 2025 sur les trois ans à venir (2025-2026-2027) du calcul des émissions. La Commission renouvelle l'exercice pour 2030.

 

Au lieu de devoir se conformer dès 2030 à l’objectif de -55 % d’émissions par rapport à 2021, le respect de la cible sera évalué sur une période de trois ans. Les constructeurs ne seront donc pas soumis aux amendes en cas de dépassement de leur objectif dès 2030. Le décompte final sera fait en 2032. Ce qui leur permettra de compenser en 2031 ou 2032 les objectifs non atteints en 2030.

 

La flexibilité va plus loin pour les véhicules utilitaires légers. Souvent décrit par les constructeurs comme impossible à atteindre, la baisse des émissions pour 2030 n'est plus de 50 % mais de 40 %. Une baisse de l'objectif qui, selon les professionnels, restera très difficile à atteindre. À cinq ans de cette étape de 2030, la vente de véhicules utilitaires électriques n'atteint pas les 9 % en Europe alors que le respect de la réglementation en nécessiterait au moins 17 %. En revanche, la Commission n'a pas évoqué de lissage de calcul des émissions de CO2, comme pour les voitures particulières.

 

Le problème de la crise de la demande n'est pas résolu

 

L'ensemble de ces mesures doivent permettre, selon les instances européennes, de régler le problème des constructeurs. Mais qu'en est-il réellement de la crise de la demande ? En Europe, trois millions de voitures neuves manquent toujours dans les comptes par rapport à 2019.

 

 

Pour Bernard Jullien, économiste et maître de conférences à l'université de Bordeaux, le problème reste entier. "En 2026, il va quand même falloir traiter ce sujet. Tout comme celui de nouveaux droits de douane sur les pièces, par exemple, mais aussi sur les PHEV qui sont aujourd'hui largement proposés par les constructeurs chinois. Aujourd'hui, la victoire est surtout celle de l'Allemagne et de Renault. Dire que jusqu'à 4,2 m, une voiture est petite est assez étonnant", fait-il remarquer.

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