La lente montée en régime des VE de seconde main
Chaque année sera son année. Et depuis un petit bout de temps, l’échéance est repoussée. Le marché des voitures électriques d’occasion (VEO) attend toujours son véritable essor puisque les données de l’exercice 2023 ne plaident pas encore en sa faveur.
Prenons celles arrêtées à fin octobre dernier. Après dix mois de transactions, les particuliers ont acquis 66 666 voitures électriques de seconde main, selon AAA Data. Il y a matière à réjouissance, d’un côté, puisque sur un marché global en déclin de 1,5 %, à 4,316 millions d’unités, les ventes grimpent de 8,6 % par rapport à 2022. À l’exception des modèles hybrides, aucune autre énergie n’avait une telle dynamique de croissance sur un an.
En plus, au cours du seul mois d’octobre, 10 948 VE ont été revendus, autrement dit, 107,4 % de plus que l’an passé sur la même période. Le réseau Renault aura même signé sa deuxième meilleure performance mensuelle de l’histoire en la matière. Les chiffres montrent aussi que, sur une année glissante (de novembre 2022 à octobre 2023), les Français ont augmenté le rythme de 5,6 %, à 78 261 VEO remis en circulation.
Mais d’un autre côté, la marge de progression reste grande. Sur dix mois, les voitures électriques d’occasion ne pesaient que 1,5 % du volume total. Et outre le fait d’être encore mathématiquement faible, la consommation se concentre en un faisceau. En effet, 61 % du marché des électriques d’occasion dépend toujours d’une liste de dix modèles uniquement, en tête de laquelle, on trouve un trio composé de la Renault Zoe (25,6 % de pénétration), de la Peugeot e‑208 (8,7 %) et de la Tesla Model 3 (8 %) qui vaut à lui seul 42,3 %. En comparaison, les dix modèles hybrides les plus prisés cumulaient 48,8 % de leur segment, quand le top 10 des PHEV pesait 37,1 %.
Un prix à ajuster aux moyens
Les voitures électriques semblent n’avoir qu’une petite brise en poupe. L’une des plus récentes études en date, commandée par AutoJM à BVA Xsight, en fait la démonstration. Dans un contexte inflationniste, à peine 18 % des Français interrogés jugent particulièrement intéressant de se tourner vers cette motorisation. Ils sont 61 % à penser le contraire.
Il y a, en plus, un véritable décalage entre les moyens des consommateurs et les tarifs affichés. Toujours selon la même étude, les potentiels acheteurs de voitures (toutes énergies confondues) disposent actuellement d’un budget moyen de 18 869 euros. 25 % des répondants ayant au moins 20 000 euros à consacrer. Or, la plateforme Leparking nous apprend, dans son analyse mensuelle des annonces VO postées en ligne, que le prix moyen d’un VE d’occasion a dernièrement flirté avec la barre des 34 000 euros pendant plusieurs mois. Toutefois, entre janvier et novembre 2023, le prix moyen affiché pour une voiture électrique d’occasion est passé de 40 336 euros à 32 988 euros, tous canaux confondus, soit 18,2 % de baisse, tel le signe d’un ajustement.
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À quoi tient cette distance entre les prix et les ressources des consommateurs ? "Les véhicules qui rentrent actuellement ont été vendus en pleine crise sanitaire, moment où le marché était en position de demande et où les primes gouvernementales étaient importantes. Les engagements de reprise se voulaient donc optimistes, mais maintenant que le marché baisse, le surcroît d’enthousiasme de l’époque se paye cher ", analyse Gilles Aubry, de Nova MS, cabinet de conseil spécialisé dans le commerce de VO.
À ceci, s’ajoute le jeu de yo‑yo tarifaire de Tesla qui a impacté les grilles de prix et les valeurs résiduelles du segment. Commercialement, cela se traduit par des VE d’occasion dont les loyers se situent à hauteur voire au‑dessus du niveau de ceux des VN. Irrecevable pour le consommateur. "Nous avons passé la consigne de ne pas reprendre les voitures électriques qui ont fait l’objet de promesses trop fortes, raconte le directeur général adjoint d’un groupe de distribution. Chez nous, cela concerne la Kia e‑Niro, par exemple, et des MG qui reviendront dans quelques mois."
D’autres n’auraient pas eu le temps de prendre les mêmes dispositions, comme le rapporte le directeur d’une enseigne indépendante spécialisée dans les voitures d’occasion très haut de gamme. "Chez certains de nos partenaires du réseau Porsche, nous avons visité des parcs pleins de Taycan positionnées hors marché, relate‑t‑il. Nous recevons aussi des listes d’autres marques qui rencontrent pareille difficulté. Je crains que notre pays ait à gérer des cimetières de voitures électriques invendables."
Une rotation dans les normes
Un propos alarmiste modéré par certains, tel Pierre‑Emmanuel Beau, directeur d’Indicata France, filiale du groupe Autorola. "Tout se vend, mais tout a un prix. Le véritable problème tient dans le déséquilibre entre l’offre et la demande, pointe‑t‑il. Et la réduction programmée des aides incite les acheteurs à privilégier les voitures neuves tant qu’ils peuvent encore en profiter." La fin des aides sonnera‑t‑elle la charge sur les électriques d’occasion ? Ce sera l'un des phénomènes à suivre en 2024.
Données d’Indicata en main, Pierre‑Emmanuel Beau note une tendance positive. "Le délai moyen pour vendre une voiture électrique a nettement baissé depuis l’automne", décrypte‑t‑il. Un fait, selon lui, à corréler en partie à la fonte continue des prix qui a débuté en janvier 2023 en France, autrement dit quelques mois après l’Allemagne (depuis juillet 2022), le Royaume‑Uni (octobre 2022), les Pays‑Bas (novembre 2022) et l’Italie (décembre 2022).
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Directeur du département mobilités de Volkswagen Group France, Lahouari Bennaoum se veut tout aussi rassurant. Il confirme la bonne rotation des électriques sur les parcs, qui ferait pratiquement jeu égal avec celle des voitures d’occasion à moteur thermique. Un des membres du réseau tricolore nous confiait, cependant, il y a quelques semaines à peine, qu’un avertissement a été lancé par la direction pour les prévenir de potentiels afflux en décembre, notamment de Volkswagen ID.3. "Il y a très peu de reprises. Le service de remarketing ne surcharge pas le réseau en ce moment, conteste Lahouari Bennaoum. Nous avons renforcé nos offres depuis mi‑septembre pour que le loyer mensuel d’une Volkswagen ID.3 de douze mois d’ancienneté tombe sous les 300 euros." Drôle de coïncidence.
Des flux entrants maîtrisés et des rotations dans les normes, Ludovic Van de Voorde, directeur de CGI Finance qui pilotera désormais également des filiales équivalentes de la Société Générale en Allemagne et en Italie, soutient que les indicateurs sont corrects à l’approche de la fin d’année sur ces deux items. Ce n’est pas pour autant que l’organisme de financement se montre passif. En janvier prochain, CGI Finance devrait proposer aux concessionnaires une offre spécifique aux VEO "pour les aider à fluidifier les ventes avec une solution de financement assortie de garanties convenant à cette typologie de produits", révèle‑t‑il.
Une quiétude qu’un analyste du marché remet en question, insistant sur le fait que les retours de LLD vont déséquilibrer un peu plus la balance. La capacité d’absorption du marché tricolore pourrait être saturée. Et ce n’est qu’un début.
Transformer l’engouement en ventes
Dans sa dernière note d’analyse trimestrielle, Ayvens (entité issue de la fusion des groupes ALD et LeasePlan) rappelle que la proportion grandissante de VE neufs dans sa flotte représente un portefeuille croissant de VE d’occasion. Comme le groupe vise à avoir 300 000 contrats financés avant fin 2026, dans le cadre du verdissement du parc roulant, la plateforme ALD Carmarket devrait regorger d’offres à écouler dans 40 pays.
Pour Marie Laloy, responsable du marketing et des services d’Aramisauto, il est impératif de garder les yeux rivés sur l’évolution du parc roulant. D’après AAA Data, il serait déjà proche des 850 000 véhicules. Le site internet de la filiale de Stellantis attire chaque mois 1,5 million de personnes. Il y a peu, les VE concernaient 3,5 à 4 % des visites. Mais depuis septembre, la statistique a évolué. 5 % des internautes filtraient alors les électriques d’occasion, curieux de sonder le marché, tandis que les médias évoquaient le bonus‑malus ou le leasing social et que les distributeurs multipliaient les opérations de promotion. "Je pense aussi qu’une nouvelle vague d’acheteurs commence à émerger, interprète Marie Laloy. Nous n’avions pas constaté un tel engouement pour les VE depuis mars 2022 et la subite flambée des prix à la pompe."
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Reste à concrétiser car pour le moment, plus de fréquentation ne rime pas nécessairement avec plus de conversions. Au mieux, les VE ont accaparé 2,5 % des commandes d’Aramisauto, selon la directrice du marketing et des services. Une déperdition qui trouve son explication dans les craintes encore difficiles à lever. Il faut rivaliser d’ingéniosité pour aider les clients à sauter le pas. Dans les points de vente, il est de notoriété que les commerciaux ne font pas toujours bonne presse aux produits électriques, sinon peinent à les défendre. La formation a son importance. Les outils de communication aussi. En la matière, à titre d’exemple, Aramisauto joue sur des modes de financement qui préservent de l’obsolescence, prend des dispositions pour avancer les primes et surtout rassure sur l’état de santé de la batterie. "Nous faisons preuve de transparence et nous ne revendons aucune voiture dont la performance est tombée sous 80 %", explique Marie Laloy.
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