Jean-Marie Zodo, GGP Auto : "Le VO restera la boussole du métier de distributeur"
Le Journal de l'Automobile : Quelles étaient vos motivations pour la reprise du groupe Dugardin et votre ouverture sur la distribution d’autres marques que celles du groupe Renault ?
Jean-Marie Zodo : Pendant quatre à cinq ans, nous n’avons pas eu besoin de nous intéresser à une stratégie de recherche d’expansion du groupe puisque les choses ont avancé presque naturellement. Nous ne sommes pas dans la course aux volumes. Mais la possibilité de racheter son voisin ne se présente pas deux fois. Et ce rachat vient compléter nos implantations existantes de Renault et Dacia dans le Nord.
Michel Cordier : Notre extension doit se faire de façon cohérente par rapport à nos implantations d’origine et au souhait que nous avons de développer tout ce qui concerne le véhicule d’occasion. Nous savons que la priorité de Ford est le développement du VU, qui constitue une corde supplémentaire à notre arc pour s’adresser aux flottes, aux côtés de Renault. C’est important pour pouvoir répondre aux demandes des sociétés. Jaguar Land Rover correspond à notre volonté d’ajouter une marque de luxe de référence à notre portefeuille. Et Hyundai est une marque coréenne sérieuse qui n’est pas uniquement centrée sur du véhicule électrique mais également sur des hybrides. Prendre une marque qui soit uniquement portée sur le véhicule électrique ne nous paraît pas opportun en ce moment.
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J.A. : N’êtes-vous pas déçus de ne pas avoir obtenu la distribution de la marque Volvo ?
Jean-Marie Zodo : Nous n’avons pas su nous mettre d’accord avec Volvo. Nos visions sont différentes. Lorsque l’on se marie avec un constructeur, il faut avoir une certaine affinité. Ce qui n’était pas le cas avec Volvo.
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J.A. : Ces récents rachats, qui comprennent également le site Hyundai de Villeneuve d’Ascq qui appartenait à Xavier Duthoit et la concession Jaguar Land Rover d’Alain Delesalle à Boulogne, vont vous permettre d’obtenir quel volume et niveau de chiffre d’affaires ?
Jean-Marie Zodo : Lors de la création du groupe, en 2018, avec Michel Cordier, nous avions un volume de 7 770 véhicules neufs, 3 500 véhicules d’occasion à particulier pour un chiffre d’affaires de 250 millions d’euros. Fin 2021, nous avons multiplié par 2,5 fois la taille du groupe avec l’intégration des succursales Renault de la région lilloise et de Montpellier. Nous avons franchi la barre du milliard d’euros en 2023. En 2024, nous arriverons à 1,4 milliard d’euros pour 31 000 véhicules neufs et 17 000 occasions à particulier.
Notre stratégie est de rendre toutes les affaires intégrées très performantes en véhicules d’occasion
J.A. : Votre croissance a-t-elle comme pilier le développement de la vente de véhicules d’occasion ?
Jean-Marie Zodo : Notre stratégie en tout cas est de rendre toutes les affaires intégrées très performantes en véhicules d’occasion avec un ratio de vente d'un véhicule neuf pour un véhicule d’occasion (sur les bases des ventes à particulier).
J.A. : Vous avez eu des accords dans le passé avec Norauto et Reezocar sur le segment des occasions. Ces accords sont aujourd’hui caducs. Pourquoi ?
Jean-Marie Zodo : Avec Norauto, c’est plutôt un rendez-vous manqué. Mais c’est surtout parce que nos entreprises, qui sont totalement différentes, n’ont pas été capables de se comprendre. Les véhicules que nous proposions ne correspondaient pas à la clientèle de Norauto. Et la communication de l’offre à la fois vente et APV de véhicule n’a jamais été lancée. Pour Reezocar, c’est assez simple. La société devait nous faire bénéficier de leads du fichier de la Société générale. Nous n’avons obtenu aucun de ces points et nous avons décidé conjointement d’arrêter. L’histoire me donne raison car la Société Générale a décidé de mettre un terme à l'aventure Reezocar.
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J.A. : Allez-vous chercher à conclure d’autres partenariats de ce type ?
Michel Cordier : On ne s’interdit rien. D’ailleurs, nous ne considérons pas ces expériences comme des échecs car nous avons appris. Mais clairement, il ne faut pas se tromper de partenaires quand on se marie sur des projets. Nous pouvons imaginer qu’avec la croissance de la location, les véhicules vont tourner beaucoup plus rapidement, ce qui va nous amener à avoir des canaux de revente (enchéristes, particuliers et autres…) qui seront plus importants dans les années à venir. C’est un sujet sur lequel nous travaillons. Et nous verrons si nous aurons d’autres partenariats dans l’avenir.
Évolution du groupe GGP Auto depuis 2018
J.A. : Le marché du véhicule d’occasion est difficile pour la distribution, notamment à cause de valeurs résiduelles souvent surestimées et de la baisse des prix de vente. Comment analysez-vous son évolution ?
Michel Cordier : Le VO n’est pas compliqué de façon générale. Car les volumes sont toujours présents et le marché reste dynamique. Mais ce qui est nouveau, c’est qu’il faut segmenter ce marché du véhicule d’occasion, comme dans le cas du véhicule neuf entre les véhicules thermiques, électriques et hybrides. La difficulté sur le marché du VO est uniquement centrée sur la difficulté de vente des véhicules électriques. Sur les autres segments, pas de souci particulier et l’hybride fonctionne plutôt bien. C’est donc une partie mineure de ce marché qui est préoccupante. Mais cette partie va croître dans les prochaines années et nous devons donc réfléchir à la façon dont nous allons le traiter. Nous devons anticiper l'écoulement des volumes des véhicules électriques que nous allons voir revenir dans deux ou trois ans. Leurs prix de reprise devant correspondre à la réalité du marché.
Jean-Charles Cagnoncle : La montée en puissance due à la location sur le véhicule neuf fait que le sourcing a changé. Celui-ci est piloté par le constructeur. Nous sommes beaucoup moins indépendants car 80 % des véhicules vendus à particulier le sont en LOA et reviennent trois à quatre ans plus tard avec un prix d’achat fixé dès le départ.
J.A. : Comment rendre rentable la revente de ces véhicules ?
Michel Cordier : La réponse se trouve dans la cour des constructeurs et des financeurs de véhicules. Les éléments qui conditionnent cette rentabilité sont les conditions qui sont faites au moment de la vente, la VR, la valeur de marché et le taux de financement. Les constructeurs avec lesquels nous travaillons aujourd’hui ne prennent pas ce sujet à la légère. Et nous travaillons main dans la main, notamment avec Renault et le groupement des concessionnaires. Il faudra probablement que le constructeur mette un certain nombre de moyens commerciaux pour nous aider à revendre ces véhicules et que les financeurs adaptent leurs formules locatives.
Jean-Marie Zodo : Mais ces problèmes ne concernent que les voitures électriques. Nous n’avons pas de souci sur les modèles thermiques. La voiture électrique est financée sur trois ans. Peut-être que demain, il faudra la financer sur quatre, envisager une deuxième, voire une troisième vie. Tout le monde a bien conscience que le tas de sable ne pourra pas être repoussé en permanence. Il faudra trouver des solutions.
Michel Cordier : Tout dépendra des aides gouvernementales. Si elles baissent, ou disparaissent comme pourraient le laisser croire les décisions politiques, cela aura un impact. Enfin, autre point majeur sur lequel nous n’avons pas de maîtrise, c’est le taux de l’argent qui pèse lourd dans le montant d’un loyer.
J.A. : De nombreux groupes de distribution ont lancé des alertes sur l’importance du BFR pour le pilotage de l’activité. Partagez-vous cette analyse ?
Jean-Marie Zodo : Le BFR est un moyen de travailler mais c’est loin d’être le seul. Le seul pilotage par le BFR ne peut pas être la seule approche et surtout pas une solution convenable pour les constructeurs.
Michel Cordier : Nous sommes très vigilants. À l’époque où l’argent ne coûtait presque rien, personne ne comptait. Aujourd’hui, c’est évident qu’avec les taux pratiqués, c’est quelque chose que nous suivons comme le lait sur le feu. Le BFR est à 70 % pris par l’activité véhicules neufs dans un groupe. C’est à ce niveau que la trésorerie est utilisée de façon très importante. Et sur ce point, nous sommes sans doute plus exigeants et attentifs qu’auparavant sur la gestion des stocks, le raccourcissement des délais de livraison et le suivi des paiements des clients sous les plus brefs délais possibles, la date de leur livraison et le paiement de la clientèle société.
J.A. : Comment voyez-vous évoluer le business de la distribution automobile ?
Michel Cordier : C’est l'activité véhicules d’occasion qui a beaucoup changé et qui restera la boussole de notre métier. Nous avons vécu une période très spécifique, avec la pandémie de Covid, qui a complètement déformé ce sujet à la fois en volume et en chiffre d’affaires. Car nous avons vendu des VO à des prix jamais imaginés auparavant. Aujourd’hui, nous sommes revenus à un niveau normal en terme de positionnement prix avec une baisse assez conséquente des prix de nos marges qui étaient anormalement élevées.
Jean-Marie Zodo : Nous sommes revenus dans l’ancien monde.
J.A. : Les relations avec les constructeurs ont-elles changé notamment avec la volonté, parfois avortée de certains, de modifier vos relations contractuelles ?
Jean-Marie Zodo : Si dans un contrat d’agent, un constructeur veut reprendre tous nos stocks, je ne suis pas certain de m'y opposer. Quand on voit l’étendue du stock, le taux de l’argent, cela mérite d'étudier le sujet. Mais nous n’avons pas été confrontés à cette évolution avec les constructeurs que nous représentons. Pour l’instant, ils ont plutôt tendance à faire un pas en avant et deux en arrière.
J.A. : Les marchés automobiles sont sous tension. La demande des clients n’est pas au rendez-vous. Est-ce une inquiétude pour votre stratégie ?
Michel Cordier : La situation politique n’incite pas forcément les consommateurs à dépenser. Mais le dossier des véhicules électriques interroge. Les questions de l’autonomie des véhicules, des infrastructures de recharge ne sont plus réellement des freins. Mais nous n’avions pas vu arriver l’augmentation massive des prix des voitures et de l’énergie électrique. Faire passer un client d’un modèle thermique à sa version électrique est très difficile à cause de la hausse des loyers demandés. Nous devons faire face à trois effets convergents : à la fois l’augmentation du prix des véhicules, celui du taux de financement et celui du prix du kWh. Cela ne passe plus pour le consommateur qui n’a pas vu ses revenus augmenter proportionnellement à ces hausses.
Jean-Marie Zodo : Dans une concession automobile, quand le VN se durcit, si le VO se porte bien et que l’après-vente fonctionne, tout comme l’activité de la pièce de rechange, l’équation est gérable. Parfois, quand le marché se durcit, cela peut être vu comme un inconvénient, mais aussi comme une opportunité de travailler d’autres niches de rentabilité.
J.A. : La sévérisation des normes dites CAFE aura-t-elle un impact sur la distribution ?
Jean-Marie Zodo : C’est un vrai problème. Car les constructeurs vont devoir fabriquer pour se mettre en conformité avec cette norme CAFE. Et s’ils fabriquent des voitures dont les clients ne veulent pas, la situation va empirer. C’est un problème du constructeur pouvant provoquer un effet collatéral important chez nous.
J.A. : Quels sont vos prochains axes de développement ?
Jean-Charles Cagnoncle : Nous devons avant tout réussir l’intégration du groupe Dugardin et l’homogénéisation des process. Notre enjeu est de constituer un vrai groupe et non un ex-Dugardin et à côté GGP. Nous avons encore beaucoup de travail sur l’intégration des succursales que nous avons reprises pour atteindre nos objectifs. C’est notre première priorité et concernant le développement, nous restons bien entendu attentifs à tout ce qui se passe. Et surtout, à ce qui pourrait créer des synergies avec des activités déjà existantes dans le groupe. Nous n'allons pas nous diversifier dans des métiers que nous ne connaissons pas. Le bon exemple est la société Masterdeboss, société de débosselage venue remplacer la sous-traitance que nous faisions dans nos parcs VO. Nous souhaitons internaliser un certain nombre de prestations pour maximiser la rentabilité, y compris en étendant l’activité à l’extérieur de notre groupe, à des loueurs, des agents, des MRA…
J.A. : Envisagez-vous comme d’autres groupes de vous diversifier dans d’autres activités comme la moto, le poids lourd… ?
Jean-Marie Zodo : Non. La moto est un métier spécifique qui n’a pas de connexion avec l’automobile. Nous avons suffisamment à faire dans l’automobile pour ne pas aller dans des métiers que l’on connaît de loin, comme le machinisme agricole ou encore le poids lourd. En revanche, nous souhaitons nous diversifier dans l’économie circulaire et la pièce de réemploi, des métiers connexes à l’automobile. Nous travaillons d'ailleurs sur certains dossiers.
J.A. : Deux groupes (Emil Frey France et Cosmobilis) ont récemment réalisé des levées de fonds. Est-ce que cela signifie que le métier génère des besoins financiers de plus en plus importants et les milieux bancaires ont-ils retrouvé la confiance dans le secteur ?
Jean-Marie Zodo : Ces deux exemples font référence à des entreprises qui sont totalement différentes de la grande majorité des groupes automobiles. Les banquiers, en règle générale, suivent les demandes à partir du moment où le compte de résultats est bon, où les retours sur capitaux investis sont corrects. Le problème n'est pas de trouver de l’argent. Un banquier veut juste le respect des engagements. De notre côté, nous n’avons pas eu de souci lors du rachat du groupe Dugardin. Tant que le bilan est bon et que le chiffre d’affaires progresse, le banquier y trouve son intérêt.
J.A. : Tous les constructeurs veulent réduire leur surface d’exposition. Or, la valeur patrimoniale d’un groupe est un élément essentiel. N’y a-t-il pas un risque à réduire en même temps toutes ces surfaces ?
Jean-Marie Zodo : Que le constructeur veuille réduire ses surfaces est plutôt intelligent. On n’a plus besoin d’exposer tous les modèles. D’autant que les constructeurs ont évolué et acceptent qu’il y ait d’autres marques. Ils ont pris conscience qu’il faut baisser les frais de fonctionnement. C’est plutôt vertueux et intelligent. Je ne vois pas de risque. D’ailleurs, tous les bâtiments que nous avons revendus dans ce cadre l’ont été aux prix du marché.
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Trois vies automobiles pour le fondateur, Jean-Marie Zodo
Historique représentant de marques du groupe Renault, GGP Auto dispose désormais également de la distribution des marques Ford, Hyundai et Jaguar Land Rover, Ligier et MicroCar dans le Nord. Créé en 2018, il s'agit de la troisième vie de distributeur automobile pour Michel Cordier et Jean-Marie Zodo.
La première vie démarre avec le groupe GGBA, implanté déjà dans la région et distribuant Renault. Une très forte présence locale, une représentation monomarque, Jean-Marie Zodo a assuré la rentabilité de son groupe sur ce qui constitue toujours son ADN : le véhicule d'occasion.
En 2003, le dirigeant cède son groupe à Porsche Holding et assure la présidence de PGA jusqu'en 2017. À cette date, l'entité est vendue au groupe Emil Frey. Jean-Marie Zodo reprend le chemin de la création d'entreprise et redémarre une activité de distribution dans un cadre familial, avec Michel Cordier, dans le Pas-de-Calais, puis le Vaucluse. Au fil des rachats, notamment auprès de RRG, le groupe s'est constitué un solide ancrage dans le groupe Renault.
Jean-Charles Cagnoncle, gendre de Jean-Marie Zodo, se prépare à poursuivre le développement du groupe.
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