Christian Digoin, groupe DMD : "Nous entrons dans un nuage d'interrogations"
Journal de l'Automobile. Comment avez-vous accueilli l'annonce du Parlement européen concernant l'arrêt des ventes de véhicules thermiques en 2035 ?
Christian Digoin. Ce n'est pas une surprise. Ce débat a été ouvert depuis plusieurs années, je m'attendais donc à une telle décision, comme tous les concessionnaires, même si le résultat du vote ne traduit pas une forme d'unanimité autour du projet. Notre constructeur principal, Ford, nous avait déjà expliqué travailler dans le sens de cette évolution prévisible. Selon moi, cette décision politique donne une orientation stratégique à long terme, qui ouvre une ère d'incertitude et de questionnement dès aujourd'hui.
JA. Quelles sont vos interrogations ?
CD. Elles sont nombreuses, en fait. Elles portent sur les capacités du réseau à satisfaire la demande, sur le coût pour l'utilisateur final ou encore sur la capacité à fournir une électricité décarbonée. Arrivera-t-on à assurer un recyclage parfait et propre de la batterie ? Aura-t-on une quantité suffisante de matières premières ?
JA. Il y a aussi des enjeux humains. Qu'anticipez-vous pour vous modèle économique de distributeur automobile ?
CD. Il s'agit d'un sujet secondaire du point de vue politique. L'électrification à 100 % va créer, à terme, une modification profonde de la rentabilité de nos entreprises. Je reste cependant assez confiant car les distributeurs seront les seuls à pouvoir apporter le niveau de service exigé par cette nouvelle forme de mobilité. La diminution d'activité notamment dans le domaine de la réparation pourra être alors compensée. Je m'inquiète seulement de la rapidité d'exécution. Sans être suffisamment expert pour en parler, je crains que les populations ne puissent pas toutes s'inscrire dans cette nouvelle équation économique.
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JA. Vous vous montrez confiant, mais il y a néanmoins un risque réel…
CD. En effet, la décision politique va engendrer une véritable transformation de nos entreprises. En tant qu'entrepreneur, j'estime que nous sommes prévenus suffisamment tôt et nos constructeurs qui savent se montrer raisonnables vont nous accompagner. Il me faudra investir dans la formation et les équipements. En revanche, si le plan d'électrification à 100% ne fonctionne pas comme prévu et que les politiques se rendent compte qu'il leur faut faire marche arrière, alors la situation deviendra critique.
JA. Vous dites que ce n'est pas une surprise. Qu'avez-vous donc déjà préparé par anticipation dans le groupe DMD ?
CD. Depuis assez longtemps, nous avons adopté une stratégie qui consiste à servir les clients dans une logique de coût d'utilisation du véhicule avec des formules attrayantes. Ensuite, sur l'électrification en elle-même, nous avons pris le temps, depuis 2 ans, d'étudier la progressivité et l'objet des investissements à réaliser. Cela porte sur le matériel pour recharger les véhicules, mais aussi sur la formation de nos collaborateurs, à l'instar des techniciens qui deviennent des ingénieurs.
JA. Certains de vos confères ont franchi l'étape de la création d'entreprises dédiées aux solutions de recharge. Où en êtes-vous de votre réflexion ?
CD. J'estime que d'autres sont bien plus avancés que moi en la matière, effectivement, mais nous sommes en train de contracter avec des prestataires pour apporter une réponse aux particuliers et aux entreprises. Nous aurons une offre complète à la fin de l'année, une fois la coentreprise fondée. Nous devions être prêts pour cet été mais nous avons pris 6 mois de retard. Cependant à compter de septembre prochain, nous déploierons un réseau de hubs de recharge ouverts au public, sur chacune de nos concessions situées aux abords d'un axe routier, comme ici chez Ford à Nantes (44).
JA. Avez-vous le sentiment que les nouvelles mobilités peuvent être un relais de croissance pour les concessionnaires ?
CD. Depuis 2021, nous avons des scooters électriques sur une quinzaine de nos sites. Ils servent de véhicules de courtoisie, tout en étant par ailleurs commercialisés dans des corners. Nous ne sommes pas forcément dans une logique de rentabilité. Il y a encore un apprentissage et notre philosophie est à ce titre plus proche de celle des start-up. Nous observons la réaction de nos clients pour comprendre la suite à donner dans 12 à 24 mois.
Il n'y a donc aucun doute sur l'indispensable complémentarité entre le fabricant et les distributeurs.
JA. La dynamique de marché est préoccupante. Quand estimez-vous que l'horizon pourrait se dégager ?
CD. Il est vrai que depuis 2 ans, nous accumulons les problématiques. Il y a aussi des changements structurels dont nous n'avons pas encore parlé et qui voient la montée en puissance de la vente en ligne. Dans le même temps, les constructeurs planchent sur des solutions pour réduire les coûts de distribution et pour réduire la surproduction. Nous sommes donc face à des sujets qui ont des temporalités différentes. Comme nombre d'entre nous, je pense que le retour à la normale n'interviendra pas avant deux ans.
JA. Définitivement, vous ne semblez pas être crispé par la situation…
CD. Mon métier est un métier complexe. Si je ne suis pas capable de faire preuve d'optimisme, d'appréhender toutes ces mutations et de gérer cette pression, alors je ne serai pas capable de porter mes équipes. Avec le temps, les frustrations et les peurs se transforment en quelque chose de positif.
JA. Concernant les futurs contrats, quelle est aujourd'hui la teneur des échanges avec Ford, votre constructeur principal ?
CD. Je tiens à souligner la qualité des discussions. Ils font preuve d'humilité et d'écoute. Nos arguments sont pris en considération. Ford essaye d'avancer de la manière la plus logique, dans le respect de ses partenaires. Ils ont pris soin, par exemple, de nous prévenir avant les annonces d'expérimentations aux Pays-Bas.
JA. Un calendrier commence-t-il s'esquisser ?
CD. Il n'y a aucune informations précises à ce jour. Je pense que nous pourrions voir des évolutions apparaître d'ici 24 mois. Les discussions ont aussi lieu chez les autres constructeurs que je représente et chacun d'eux se montre respectueux des concessionnaires.
JA. Quel scénario a votre préférence ?
CD. Celui qui me permettra d'effectuer mon métier de façon intelligente et performante dans le temps. Je pense que personne ne sait quel est le meilleur scénario. J'ai la seule conviction que la mobilité routière et les moyens à mettre en œuvre pour la produire sont d'une grande complexité. La puissance industrielle nécessaire n'a d'égal que l'importance de l'ancrage territorial pour accompagner les consommateurs. Il n'y a donc aucun doute sur l'indispensable complémentarité entre le fabricant et les distributeurs. Pour preuve, les marques qui ont fait d'autres choix par le passé sont en cours de constitution d'un réseau.
JA. Tout porte à croire que les clients sont perdus face au casse-tête énergétique. Que révèlent vos statistiques ?
CD. Nos immatriculations de véhicules E85 commencent à s'envoler. Les modèles éligibles sont commandés à 70 % dans cette configuration, portant à 50 % la pénétration dans les ventes totales. Dans le même temps, les véhicules électriques connaissent une solide croissance. Nous avons six concessions MG et d'une année sur l'autre, les ventes de VE sont multipliées par 2,5. Il faudra attendre pour avoir plus de finesse de lecture.
La vente de véhicules neufs va baisser et cela remet en scène de manière très claire l'activité occasion
JA. Quel bilan tirez-vous des immatriculations à fin mai ?
CD. Je ne peux pas être satisfait, même si l'année n'a pas été si catastrophique jusqu'à fin avril. Le carnet de commandes est plein, mais nous ne livrons que peu de véhicules. Les rythmes de production sont loin de revenir à la normale et le délai moyen d'attente monte à 8 mois. Nous sommes donc en retrait de 12 % environ sur un an. Le volume d'immatriculations est d'ailleurs plus faible qu'en 2020, alors que nous avions subi le premier confinement. Ce qui amène la question d'un potentiel ralentissement économique. Telle est ma principale préoccupation à ce jour.
JA. La banque centrale européenne prévoit de relever son taux directeur en juillet 2022. Comment interprétez-vous ce signal ?
CD. Si j'ai bien compris les déclarations, l'institution prévoit de le faire de manière mesurée pour ne pas mettre un coup d'arrêt à l'économie. Ce qu’on peut saluer. Je ne suis pas expert du sujet, je me garde donc de toute analyse plus approfondie.
JA. A ce propos, les dossiers de financement de vos clients passent-ils toujours les étapes de validation ?
CD. Oui, pour le moment. Les projets sont suivis par les banques. Il faudra rester prudent, nous entrons dans un nuage d'interrogations, mais pour le moment nous ne pouvons pas dire que la situation s'est dégradée dans le registre du financement.
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JA. Avec DMD Occasions, VO@Pro et EasyVO, vos initiatives dans ce domaine ne manquent pas. Comment vivez-vous la situation critique que le VO traverse ?
CD. Quel que soit le schéma adopté par les constructeurs pour le futur, la vente de véhicules neufs va baisser et cela remet en scène de manière très claire l'activité occasion. Objectivement, depuis plusieurs années, nous avons décidé d'investir avec la volonté de conserver le maximum de VO dans notre groupe. En ce qui concerne EasyVO, j'ai suivi par amitié pour Gérald Richard (le président du groupe Amplitude, ndlr) et je ne le regrette pas. Aussi, nous avons beaucoup développé la vente de véhicules utilitaires d'occasion, car il ne faut pas oublier que Ford reste le premier vendeur du secteur en Europe et que la demande croît sans cesse. Ce qui, par ailleurs nous a invité à faire de même en entrant, en janvier dernier, dans le réseau Volkswagen Utilitaires, à Nantes, à Vannes (56) et à La Roche-sur-Yon (85) avec la reprise d'une plaque qui écoule 800 à 900 VUN par an.
JA. Quelles sont alors les perspectives pour le VO ?
CD. Nous avons l'ambition d'augmenter nos ventes de contrats de LOA pour alimenter encore plus le parc à terme. Nos scores sont déjà tout à fait honorables, puisque la pénétration de la location avec option d'achat dépasse les 50 % dans le groupe. Sous le panneau Ford, nous sommes à ce niveau avec des produits financiers d'une durée de 2 à 3 ans qui dans 60 à 70 % des cas s'achèvent avec un retour du véhicule dans notre stock VO.
JA. Est-ce tout ?
CD. Non, c'est vrai, la clé étant le sourcing, nous avons mis l'accent sur le rachat de véhicules particuliers, notamment grâce à notre cellule de spécialistes au sein de VO@Pro, une unité qui revend autour de 2 400 véhicules par an aux professionnels et à nos concessions.
JA. Entre prises de panneaux et rachats, quelles sont les prochaines étapes de développement du groupe ?
CD. Je n'ai pas de projets de développement dans les mois qui viennent, mais comme vous le savez ils arrivent par des voies rapides. Il ne faut pas oublier que nous avons réalisé une opération de croissance externe l'an passé qui nous a permis d'entrer sur le marché du camping-car. En plus, nous avons monté Ford Truck et nous devons nous concentrer sur le déploiement du réseau : il y aura prochainement un site à Rennes (35), deux autres à Nantes, un Vannes et un peu plus tard, un point de représentation ouvrir à Angers (49). Nous passerons d'une soixantaine de poids lourds en 2022 à près de 300 unités dans quelques années.
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