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Distribution

Bornes de recharge : peut-on gagner de l’argent avec ?

Publié le 27 mai 2024

Par Christophe Bourgeois
12 min de lecture
L’électrification du parc des voitures neuves oblige les distributeurs à investir dans des solutions de recharge, aussi bien sur leurs sites que pour leur propre clientèle. Cette nouvelle activité est-elle une source de profit ?
rentabilité bornes de recharge pour les distributeurs
Le développement des ventes de voitures électriques passera par le déploiement des bornes, mais encore faut‑il y trouver de la rentabilité. ©AdobeStock-Silhouette Boss

Installer des bornes de recharge, oui, mais est‑ce rentable ? Alors que les ventes de modèles électrifiés et électriques ne cessent de croître, la question pour les groupes de distribution n’est plus : "Dois‑je installer des bornes ?", mais plu­tôt : "Comment trouver de la ren­tabilité ?" "La borne de recharge est avant tout un outil d’aide à la vente", répond Louis‑Nicolas Amé­dée‑Manesme, directeur du déve­loppement des affaires et des inves­tissements chez Driveco.

 

Il rappelle que les garages ont l’obligation de contrôler la recharge lors de l’entre­tien des véhicules électrifiés et électriques. "Certes, ce sont des charges, mais avec le développement de l’élec­trification du parc, ce n’est pas un investissement à fonds perdu", sou­ligne un distributeur.

 

Néanmoins, dans les faits, les bornes servent prin­cipalement à recharger les véhicules de la concession, des clients lors de l’entretien et des collaborateurs. "Si les bornes sont uniquement réservées à un usage interne, la rentabilité sera inexistante", souligne Édouard Co­quillat, président de Central Autos et cofondateur de Wellborne (lire ci-dessous).

 

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Dès lors, il faut impérativement les ouvrir au public. "De plus, pour optimiser l’expérience client, le moyen de paiement est cru­cial ; on doit s’inspirer de ce qui existe dans les stations‑service", pour­suit‑il. Selon lui, pour commencer à dégager de la rentabilité, une borne doit enregistrer plus d’une vingtaine de recharges par mois et "il est in­dispensable de nommer une personne dédiée pour les gérer".

 

Une clientèle de taxis

 

Certains distributeurs se sont lancés dans l’aventure. C’est le cas d’Audi Bauer Paris. En 2020, son directeur général, Thierry Tanfin, installe deux premières bornes de 175 kW ouvertes 24 h/24 dans sa conces­sion Audi à Roissy‑en‑France (95), près de l’aéroport Charles de Gaulle. "Cette installation a été réalisée dans le cadre d’un projet pilote avec le constructeur", se rappelle Thierry Tanfin. Coût de l’investissement ? 250 000 euros. "Le constructeur s’est occupé de l’acquisition et de l’instal­lation, j’ai eu en charge la gestion."

 

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Très rapidement, ces bornes ont été un succès car il n’y avait quasiment aucune offre aux alentours. "Nous avions tous les chauffeurs de taxi et les VTCistes qui étaient passés à l’élec­trique, les clients de la proche zone hôtelière, mais également les automobilistes du nord de l’Europe, prin­cipalement les Norvégiens, les Danois et les Néerlandais", explique‑t‑il.

 

En 2021, il décide d’investir en nom propre, en s’appuyant sur les aides disponibles à l’époque, "ce qui n’est malheureusement plus le cas au­jourd’hui". Et le succès ne sait pas fait attendre. "En 2022, j’ai réalisé un chiffre d’affaires de 200 000 euros avec une rentabilité de 75 %, cal­cule‑t‑il. J’achetais le kilowattheure 0,12 euro que je revendais 0,50 euro. Néanmoins, ce n’était pas le prix de vente public, car il ne faut pas oublier que les installateurs de bornes et les fournisseurs de solutions de recharge prennent une commission sur chaque recharge."

 

Les bornes doivent être disponibles en libre‑service, peu importent les horaires d’ouverture de la concession. ©Honda

 

Des services annexes

 

Un investissement donc extrême­ment rentable… mais qui n’a pas duré. En 2023, la concurrence est arrivée, le chiffre d’affaires a été divi­sé par deux et la rentabilité a baissé car le coût de l’électricité a augmenté. "J’ai réalisé un chiffre de 98 000 eu­ros et une rentabilité de 57 %, pré­sente‑t‑il. Néanmoins, j’ai conservé ma clientèle de taxis et de VTCistes, car dès la mise en place de ces bornes, j’avais déjà pensé à un moyen pour l’occuper pendant qu’elle rechargeait son véhicule."

 

Il a donc installé des aspirateurs qui ne fonctionnent que quand la voiture est branchée. Car le principal problème de la recharge est le temps… "Il faut effectivement trouver le moyen d’occuper l’automo­biliste", reconnaît Louis‑Nicolas Amédée‑Manesme. "J’avais initiale­ment pensé à de la restauration, mais je suis très vite passé à autre chose car cela est très compliqué à mettre en place", indique Thierry Tanfin.

 

Driveco travaille actuellement avec des concessionnaires pour rendre la station de recharge attractive (et ren­table), mais reconnaît que l’équation n’est pas simple à résoudre. "Il faut réfléchir à des activités ou à des services qui pourraient apporter de la rentabilité à cette activité", pose Louis‑Nicolas Amédée‑Manesme. "Une station de re­charge n’est pas une station‑service, rétorque Hubert Gerardin, direc­teur général de Sipa Automobiles. Dans cette dernière, la rentabilité se fait sur la volumétrie et l’alimentaire. Ce qui n’est pas le cas pour l’électrique."

 

Lors d’une inauguration de bornes de recharge sur l’autoroute A13, il y a quelques années, Ionity avait présenté à la presse un concept de station‑ser­vice dédiée à la recharge, qui n’a tou­jours pas vu le jour en France…

 

Indispensable mais pas rentable

 

Malgré le recul de rentabilité de ses premières installations, Thierry Tanfin n’a pas baissé les bras. Il a mis en place fin 2023 des bornes de recharge rapide, sur un autre de ses sites, à Saint‑Witz (95), près d’une sortie d’autoroute et d’un grand centre de logistique. Pour l’instant, l’opération n’est pas ren­table, d’autant plus qu’il a dû intégrer une charge supplémentaire, la loca­tion mensuelle du transformateur, "1 750 euros", souligne‑t‑il.

 

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Mais il estime qu’il pourrait avoir une oppor­tunité avec les utilitaires électriques de son voisin. Néanmoins, si c’était à refaire, pas sûr qu’il se serait lancé, "surtout sans soutien financier". "La recharge est inéluctable pour les distri­buteurs, mais elle est très difficilement rentable", tranche Hubert Gerardin, qui avait lancé Sipa Link, mais qui a très vite cessé l’activité.

 

Cette entité avait pour mission de vendre des so­lutions de recharge à domicile auprès des clients, "mais la rentabilité n’a pas été au rendez‑vous, reconnaît Hubert Gerardin, qui aujourd’hui ne dispose plus que de bornes de recharge pour un usage interne. Nous n’avions pas assez de leads, trop de charges et trop de sous‑traitances. Nous avons donc rebasculé cette activité dans celle de l’accessoire".

 

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L’AFIR, la réglementation qui oblige d’avoir un moyen de paiement

 

Après avoir connu des années d’expansion sans réelle réglementation, le marché de la borne de recharge se structure avec la mise en place, depuis le 13 avril 2024, du règlement AFIR (Alternative fuel infrastructure regulation). Son objectif est d’accélérer le déploie­ment des bornes de recharge publiques et de rationaliser les méthodes de paiement. Bref, de proposer des moyens de paiement pour les utilisateurs. Pour les stations de recharge de plus de 50 kW accessibles au public, déployées après la date d’instauration de l’AFIR, la norme exige la proposition d’options de paiement comme on peut retrouver dans les stations‑service en libre‑service.

 

Pour les stations de recharge accessibles au public d’une puissance inférieure à 50 kW, peu développées chez les distributeurs, le paiement sécurisé via un QR code est l’une des solutions autorisées pour la recharge. À noter que pour les bornes déjà existantes, l’AFIR exige l’intégration d’un terminal de paiement au plus tard le 1er janvier 2027.

 

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Les quatre points avant de se brancher

 

Avant de se lancer dans l’installation de bornes de recharge, quatre points essen­tiels sont à prendre en compte : l’empla­cement, l’infrastructure, l’accessibilité et le prix. Pour le premier point, il faut connaître la position des bornes concurrentes, dans quel sens sont‑elles installées par rap­port au flux de circulation, quelle est la concurrence des superchargeurs Tesla et Ionity, comment rendre les bornes ac­cessibles au public et quel est le taux de la clientèle locale qui sera susceptible de s’y brancher. Pour le deuxième, il est indis­pensable de savoir où se situe le point de livraison d’EDF afin d’éviter la construction d’un transformateur qui est une charge mensuelle supplémentaire et qui réduit la rentabilité.

 

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Le coût du génie civil est éga­lement une donnée à prendre en compte. Enfin, la disponibilité et l’accessi­bilité sont des notions clés dans la renta­bilité des bornes. "90 % des concession­naires disposent de bornes de recharge, mais une grande majorité d’entre elles ne sont pas adaptées aux besoins des clients et/ou ne sont pas entretenues", constate Louis‑Nicolas Amédée‑Manesme (Drive­co) qui rappelle que les premières bornes, portées par les pionniers de l’électrique en France, à savoir Renault et Nissan, ne proposaient que du 22 kW.

 

Pour qu’une possible rentabilité existe, il faut donc que les bornes soient impérativement en libre accès et ne dépendent pas des horaires d’ouverture de la concession. Enfin, quant à la politique tarifaire à pratiquer, là aus­si, pas de réponse toute faite. "Cela dé­pend de l’installation, des services annexes s’ils existent, énumère Édouard Coquillat (Central Autos). Mais comme pour tout produit ou service, il y a surtout un prix psychologique à ne pas franchir."

 

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Édouard Coquillat, président de Central Autos et cofondateur de Wellborne

 

"Central Autos a été le premier laboratoire de Wellborne"

 

Qu’est‑ce que Wellborne ?

Wellborne est un producteur et un distributeur de bornes et de stations de recharge pour les véhicules électri­fiés et électriques. C’est une émanation de Central Autos. Nous avons livré depuis trois ans environ 12 000 bornes et stations à notre réseau partenaire, en France et à l’étranger, dont les deux tiers sont déjà installés. Nos bornes vont de 7,4 kW à la recharge ultrarapide et sont garanties trois ans. Nous disposons également dans notre offre de toute une palette de services (formation, accessoires, etc.).

 

Pour quelles raisons vous êtes‑vous lancés dans la production de bornes de recharge ?

Avant la pandémie de Covid-19, le marché de la borne de recharge était vraiment le far‑west ! Il était peu, voire pas orga­nisé. Mais en parallèle, nous devions lever les freins sur l’électrification et je voulais maîtriser une offre transversale de solutions de recharge, aussi bien pour mes clients BtoC que BtoB. Je me suis donc associé avec une ancienne relation d’école de commerce, Romain Pacy, qui était parti à Shenzhen (Chine) et qui travaillait dans le domaine de l’électronique. Nous avons développé ensemble le projet, monté une gamme de produits et nous l’avons sourcée dans un premier temps en Chine.

 

Pourquoi la Chine ?

Nous avons préféré mettre des choses en oeuvre pour collaborer avec eux et profiter de leur avancée techno­logique. Nous avons ainsi travaillé avec Atess Power Technology et le groupe Growatt, un géant mondial des énergies renouvelables. Mais cette année, nous étudions les processus de réindustrialisation de certaines de nos bornes en France. D’ailleurs, une partie des produits complémentaires (poteaux) sont made in France, tout comme la réparation, les services d’étude, notre SAV, notre marketing et notre team monétique.

 

Quels sont vos clients ?

Central Autos a été le laboratoire de Wellborne. Nous nous sommes ensuite développés avec des groupes voisins au nôtre. Aujourd’hui, nous travaillons avec plus d’une vingtaine de groupes automobiles, comme CAR Avenue, Chopard, Faurie, DMD, Sipa, Verbaere, Lesaffre, Suma, PLD, etc., mais également avec des entreprises en dehors du monde de l’automobile (Tetradis, Sogetrel, Ze‑Watt, Eiffage, Veolia, etc.).

 

Faut‑il, en tant que distributeur, recruter un électricien en interne ?

Nous ne le conseillons pas systématiquement. Du moins, pas dans un premier temps. En fait, cela dépend du volume d’installations à réaliser. Je pense que cela peut être judicieux uniquement lorsque l’on a capté le marché sur son territoire, surtout en BtoB. De notre côté, nous formons des électriciens à nos produits, qui deviennent ensuite des sous‑traitants des distributeurs. Ils sont qualifiés IRVE par les organismes Qualifelec ou Afnor.

 

Votre approche commerciale est‑elle identique avec votre clientèle BtoC ?

La clientèle BtoC nous a permis de lancer cette activité, mais le volume et surtout la rentabilité se font avec la clien­tèle BtoB. Nous rentrons ainsi dans les parcs de nos propres clients car nous maîtrisons toute la chaîne de valeur.

 

Depuis le 13 avril 2024, les bornes de recharge, du moins celles qui sont à construire, devront avoir un moyen de paiement physique. Quelle est votre analyse concernant cette nouvelle réglementation ?

En 2022, nous avons lancé EV Map, une entreprise qui sépare la partie monétique de la borne. Nous avons développé notre propre outil de paiement afin d’être présents sur tout l’écosystème de la borne de recharge. Nous proposons donc à nos clients une offre packagée qui intègre le moyen de paiement par carte bleue.

 

Quel est l’avenir de Wellborne ?

Nous allons nous développer à l’international avec des contrats de licence pour nos produits. Nous comptons déjà des distributeurs à l’île Maurice, aux Seychelles, en Espagne, à Madagascar et au Maroc. Nous travaillons également sur le recyclage de nos produits.

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