Bedros Izikian, ABVV : "Nous aspirons légitimement à continuer de grandir"
Le Journal de l'Automobile : Commençons par Volvo, la marque historique du groupe ABVV. Quel bilan tirez-vous de l'exercice 2024 ?
Bedros Izikian : Dans un contexte particulièrement complexe et concurrentiel, nous sommes très satisfaits de notre réalisation sur l’année 2024 avec Volvo. À l’échelle du groupe, nous avons livré 1 100 voitures neuves et 500 véhicules d'occasion. Le début d’année a été particulièrement agité, conséquence de l’agressivité des messages liés aux offres du leasing social. Malgré cela, nous avons su maintenir un niveau de performance élevé. Dans un contexte de rivalité intense sur le marché premium, l'équipe commerciale a été remarquable en parvenant à fidéliser plus de 70 % des clients de nos concessions Volvo.
J.A. : Quelles sont les projections pour 2025 ?
B. I. : Il y a plusieurs motifs d’espoir : une année pleine pour le EX30, le lancement de la déclinaison Cross Country qui va permettre d’offrir une alternative plus affirmée, ainsi que l’arrivée de la nouvelle gamme 90. L’actualité produit est intéressante. La marque, qui a été l’une des pionnières en matière d’électrification, a sans doute souffert d’un marché qui n’était pas tout à fait prêt. Nous pensons que la dynamique va s’inverser progressivement et nous offrir de réelles opportunités. Notre ambition est de réitérer notre performance en termes de volumes de livraisons VN. Sur le parc des voitures d'occasion, la marge de progression est plus importante. Nous envisageons une croissance de 15 %.
J.A. : Que vous faudrait-il pour repartir de l'avant ?
B. I. : L’ensemble des experts s’accordent à dire que le marché va désormais se situer autour de 1 750 000 immatriculations, à cela s’ajoutent des nouveaux entrants, très agressifs dans l’objectif de conquérir rapidement des parts de marché. De fait, plus que jamais, l’agilité, la réactivité et la maîtrise des fondamentaux "qualité" seront les facteurs clés du succès. Nous devons être compétitifs, tout en préservant la valeur de nos marques et des services que nous proposons.
Grégoire Izikian (au centre), le président du groupe ABVV, entouré de ses fils désormais aux commandes de l'opérationnel. ©ABVV
J.A. : Quel discours a été tenu lors de la convention de début d'année ?
B. I. : Le mot d’ordre est de "prendre des commandes" et de renouveler notre carnet de livraisons. Nous avons commencé l'année avec 2 000 commandes en portefeuille, contre 9 000 l'an passé. Cela reflète les difficultés et l’intensité concurrentielle auxquelles nous avons dû faire face l’an dernier. Néanmoins, le discours de la marque se veut rassurant, Volvo s’engage à nous accompagner et à mettre les moyens nécessaires pour maintenir notre position à 1 % de pénétration, soit 17 500 VN selon les estimations de marché.
J.A. : Et pour le moment, il est difficile de s'appuyer sur le canal des entreprises…
B. I. : Historiquement, le BtoB représente 50 % de notre mix des commandes sur la marque Volvo. Or, le contexte d’incertitudes fiscales des dernières semaines a entretenu l’inertie qui s’est installée depuis quelques mois. Nous observons que la plupart de nos clients ont tendance à prolonger leur contrat plutôt que renouveler leur flotte. Nous nous attendons à un immobilisme prolongé sur cette activité, tout du moins au cours du premier trimestre. Néanmoins, les discussions, qui ont lieu actuellement, et la mise en place des quotas d’électrification sur les flottes de plus de 50 véhicules donneront lieu à de véritables opportunités pour une marque comme Volvo dont la gamme est extrêmement électrifiée.
Nous avons été approchés par de nombreux constructeurs durant les cinq dernières années
J.A. : Pour croître en volume, envisagez-vous des développements externes ?
B. I. : Pour croître en volume, il existe deux leviers. Le premier est l’optimisation de nos performances sur la zone de chalandise que nous couvrons actuellement. Le second se matérialise en effet par du développement externe. Il est évident que la couverture de notre secteur actuel est quasi optimale. Nous avons d’ailleurs été récompensés par la marque, l’an dernier, concernant le niveau de pénétration sur le segment servi le plus haut de France. Néanmoins, nous avons la chance d’être implantés sur un secteur dense et dynamique, l’Île-de-France, qui offre de nombreuses opportunités, autrement dit une marge de progression existe. Au-delà de ça, nous ne nous interdisons pas d’étendre notre zone de représentation, mais cela ne se fera pas à tout prix. Nous savons trop bien ce que peut impliquer la dilution des énergies et la gestion d’affaires à distance. Nous sommes à l’écoute des opportunités que Volvo France saura nous proposer, en gardant toujours à l’esprit nos deux priorités : ne pas mettre en péril le groupe et conserver notre culture de la proximité, tant avec nos clients que nos collaborateurs.
J.A. : La concentration est aussi le fil conducteur de Jaguar Land Rover. Comment le vivez-vous ?
B. I. : Il y a maintenant deux ans, la marque a initié une profonde mutation insufflée par la définition de sa nouvelle stratégie : "Modern Luxury". Elle souhaite offrir à ses clients une expérience unique, différenciante et totalement harmonisée à travers l’émergence des "maisons de marques". Cela se traduit nécessairement par une réduction du nombre d’acteurs afin de pouvoir offrir les structures de rentabilité nécessaires au déploiement de ces nouveaux standards bien plus élevés. C’est un exercice très complexe que la marque a abordé de manière franche et transparente vis-à-vis de l’ensemble des acteurs du réseau.
J.A. : Quelle carte joue ABVV ?
B. I. : ABVV joue la carte du partenariat et du développement. Je me souviens que lorsque nous avons été nommés, à l’été 2016, aucun concessionnaire n’avait rejoint le réseau Jaguar Land Rover depuis dix ans. Nous avons montré à la marque notre savoir-faire, notre implication et notre culture de la satisfaction client. À travers cela, nous avons su tisser des relations fortes et saines autour de valeurs communes. Nous sommes très heureux de la confiance des marques et reconnaissants de se voir offrir la possibilité de les représenter dans le secteur de Saint-Ouen-l’Aumône (95). Nous travaillons actuellement pour offrir à la marque le bel écrin qu’elle mérite. Nous projetons d’y réaliser les volumes de 200 VN et 120 voitures d'occasion. À travers cette implantation, nous aurons harmonisé nos couvertures Volvo et Jaguar Land Rover et mis en place des plaques cohérentes.
J.A. : Sous le feu de critiques, Jaguar Land Rover est-elle une marque profitable pour un concessionnaire ?
B. I. : Le réseau français a terminé avec une rentabilité moyenne de 2 %. Je ne suis pas certain que beaucoup de constructeurs puissent se targuer d’offrir de tels niveaux de profitabilité à leurs concessionnaires en 2024. Cela grâce à une relation de confiance et un dialogue transparent avec le réseau. Néanmoins, nous restons attentifs et œuvrons conjointement pour être capables de maintenir ce niveau de performance au cœur d’une année 2025 qui s’annonce d’autant plus complexe. En effet, l’application des malus au poids sur les véhicules hybrides représente une menace importante pour nos volumes de ventes. À ce titre, le bureau du groupement travaille étroitement avec la marque pour optimiser chaque levier d’activité : l'après-vente, les voitures d'occasion, la location courte durée… Rien n’est laissé au hasard.
La concession Jaguar Land Rover de Chantilly (60). ©Le Journal de l'Automobile
J.A. : Outre Volvo et JLR, le groupe s’est montré particulièrement performant à travers les marques du groupe Volkswagen. Pouvez-vous nous décrire votre position vis-à-vis de ces marques ?
B. I. : Soyons très clairs, nous avons été approchés par de nombreux constructeurs durant ces cinq dernières années. L’intégration des marques Seat, Cupra et Skoda au sein du groupe s’est faite de façon extrêmement réfléchie. Au-delà de notre volonté d’étoffer notre portefeuille à travers des marques complémentaires à nos partenaires historiques, elle s’explique par le fait que nous ayons retrouvé au sein de ces marques des valeurs dans lesquelles nous nous identifions. On dit souvent que les partenariats sont avant tout le fruit de rencontres, c’est exactement ce qu’il s’est passé il y a un peu plus de trois ans.
J.A. : Quel bilan tirez-vous de ce lancement ?
B. I. : Malgré des débuts particulièrement complexes liés au fait que nous ayons lancé nos activités sur un secteur libre, sans aucune base de données clients, nous sommes d’autant plus fiers des niveaux de performance que nous avons su atteindre en seulement trois ans. Sur la seule année 2024, la concession d’Épinay-sur-Seine a réalisé plus de 1 000 livraisons, dont 880 VN et 120 VO, tout en maintenant un indice CEM supérieur à 4,7/5. Nous avons des axes de progression, notamment sur l’activité après-vente dont la montée en puissance est un peu plus longue, mais, malgré cela, nous arrivons à atteindre un niveau de profitabilité de 0,8 %, très encourageant pour la suite.
J.A. : En parlant de suite, quel scénario se dessine ?
B. I. : En premier lieu, nous entretenons d’excellentes relations avec les marques, c’est l’une des clés de notre niveau de performance. Lors de notre nomination, le deal était clair : soyez performants, distinguez-vous par votre qualité de service, soyez rentables et vous pourrez prétendre à grandir avec nos marques. Nos investissements portent leur fruit et l’histoire est en marche. Dès lors que nous avons respecté l’ensemble des engagements que nous avons pris vis-à-vis de nos partenaires, nous aspirons légitimement à continuer de grandir avec le groupe Volkswagen. À ce stade, en ce qui nous concerne, nous sommes très heureux de faire partie des réseaux Seat, Cupra et Skoda et avons très envie d’accompagner ces marques dans l’atteinte de leurs ambitions. Nous verrons ce que l’avenir nous réserve.
La concession Skoda d'Épinay-sur-Seine (93). ©Le Journal de l'Automobile
J.A. : Compte tenu de la situation de marché, les groupes misent moins sur le VN et regardent davantage les voitures d'occasion, est-ce votre cas ?
B. I. : Nous ne faisons pas office d’exception. Pour preuve, nous avons largement étoffé nos équipes VO (chef de service, acheteurs, administratifs, etc.). Le groupe ABVV a pour politique de privilégier les achats extérieurs au détriment des buy back dont la maîtrise dans le temps est plus complexe et risquée. Chez Volvo, comme chez Jaguar Land Rover ou Volkswagen Group, nous savons que nous avons encore des marges de progression dans la gestion des flux, la rotation des stocks ou la maîtrise des frais de remise en état. Comme pour beaucoup de groupes, l’activité VO est l’une de nos priorités pour 2025.
J.A. : Justement, concernant la remise en état, considérant votre implantation géographique très concentrée, envisagez-vous ouvrir un centre de reconditionnement ?
B. I. : En avril prochain, nous allons débuter les travaux pour bâtir une toute nouvelle structure près de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle (95). Ce site nous permettra de concentrer trois activités : un centre de préparation VN pour le groupe, un centre de réparation de batteries, ainsi qu’un centre de reconditionnement de véhicules d'occasion. Elle viendra en remplacement de notre carrosserie historique de Gonesse (95). Nous avons un incroyable savoir-faire, mais un outil de travail qui n’est plus adapté à nos besoins. Nous réalisons qu’un potentiel d’activité important nous échappe sur ces activités. À travers cette nouvelle infrastructure, nous serons en mesure de traiter à la fois la remise en état de nos VO, mais également des chantiers en carrosserie plus lourds et plus complexes.
Le quotidien du groupe ABVV est désormais assuré par la fratrie qui peut s'appuyer sur des chefs de service de qualité
J.A. : Comment cette carrosserie a-t-elle été pensée ?
B. I. : C’est un projet majeur pour le groupe que nous sommes très heureux de concrétiser cette année. C’est une réflexion que nous avons pris le temps de mûrir durant 18 mois et de consolider à travers l’expertise de nos partenaires, BASF et Weinmann. Je salue d'ailleurs l'engagement d'André Courtois dans le projet. Son aide a été plus que précieuse. Nous compterons une vingtaine de collaborateurs, formés pour effectuer un large éventail de prestations, allant des travaux de carrosserie à la remise en état de voitures d'occasion, avec des interventions mécaniques, de la préparation de véhicules neufs ou encore de la réparation de batteries de voitures électriques. Cette carrosserie n'aura aucun accord avec les assureurs. En revanche, elle sera l'une des rares en France à être certifiée pour les caisses en aluminium, notamment pour répondre aux standards Jaguar Land Rover. En outre, nous envisageons de proposer nos services en prestations BtoB.
J.A. : Comment voyez-vous le groupe à moyen terme ?
B. I. : Le groupe s’appuie sur des fondamentaux sains et solides. Bien que notre président, Grégoire Izikian, ait pris du recul sur l’opérationnel, il reste très présent pour nous accompagner dans nos réflexions stratégiques et nos projets. Le quotidien du groupe ABVV est désormais assuré par la fratrie qui peut s'appuyer sur des chefs de service de qualité. L'entreprise a désormais une organisation solide et étoffée pour tenir la feuille de route que nous nous sommes fixée. L’objectif est clair : atteindre le cap des 200 millions d'euros de chiffre d'affaires sous trois ans, tout en préservant notre ADN, "la qualité pour passion".
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.