Agents de marque : repartir du bon pied

À l’heure de la concentration des groupes de distribution et de la course à la digitalisation qui marquent la distribution automobile, le métier d’agent sort du lot. Là où les concessions s’agrandissent dans les agglomérations en quête de volume, le réseau secondaire poursuit son rôle capital de proximité avec le client.
En France, il est possible d’en dénombrer près de 6 000 et, comme pour les concessionnaires, les dernières années ne s’apparentent pas à un long fleuve tranquille. Le métier a été bousculé par les nombreux sujets qui ont chahuté le secteur pendant cinq ans, à commencer par l’électrification. Mais parmi les actualités, un sujet a participé à la mutation du secteur : les changements de statut des partenaires des marques.
Si la problématique concernait avant tout les distributeurs, les agents ont vu leur raison d’être remise en question. Plongés dans un écosystème fragilisé, une partie d’entre eux a pris peur.
"À l’époque, l’arrivée des contrats d’agent suscitait de fortes inquiétudes, entraînant de nombreux départs et l’arrêt de l’activité d’une partie de nos adhérents", constate Dimitri Sionnet, vice‑président de la branche Agent de marque de Mobilians et directeur du garage DSI Automobiles de Niort et de Melle (79).
Une crainte qui planait en particulier au‑dessus du réseau Stellantis, qui représente la majeure partie des agents de marque dans l’Hexagone. Le constructeur, en prévision de la mise en place de son schéma de distribution, a souhaité en 2022 revoir le modèle économique de ses agents.
Le groupe, à l’époque dirigé par Carlos Tavares, a décidé que son réseau secondaire ne vendrait plus de voitures, les cantonnant à leur cœur de métier : l’après‑vente. Au‑delà de la colère suscitée par cette décision, une partie d’entre eux a préféré quitter le métier d’agent de marque et leur nombre a chuté.
"Ces dernières années, nous avons enregistré une diminution significative du nombre d’agents, certains ayant choisi de se réorienter vers d’autres métiers représentés au sein de Mobilians, tels que réparateur indépendant ou multimarque", observe Dimitri Sionnet.
Un retour des agents de marque
Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Les réseaux indépendants ont ainsi fait les yeux doux aux déçus. "Au sein du groupement Citroën, nos agents ont été fortement sollicités par le réseau AD (premier réseau indépendant multimarque d’entretien et de réparation, NDLR), car nous sommes une population dotée d’outils, de connaissances, d’un haut niveau de formation et d’un matériel bien plus performant qu’un garage multimarque classique. Cette situation a participé à l’érosion du nombre d’agents en France", affirme Denis Baeza, président du Groupement national des agents Citroën (GNAC), qui compte 1 350 agents dans son organisation.
Preuve que les craintes des agents ont nourri le réseau AD : au début de l’année 2024, en un an, le réseau de 2 300 réparateurs agréés comptait 73 nouveaux ateliers de plus, dont 48 en provenance des agents de marque.
Mais le vent tourne et, selon le vice‑président de sa branche à Mobilians, "la situation se tasse" et ce dernier perçoit un regain d’intérêt pour le métier. Ainsi, après un nombre d’agents en baisse depuis quatre ans, l’hémorragie semble se stopper et la situation se stabilise.
"Progressivement, nous parvenons néanmoins à regagner des adhérents. Entre 2024 et 2025, le nombre d’agents de marque dans notre branche est ainsi passé de 2 496 à 2 526. Les inquiétudes ne sont pas totalement levées, mais elles s’atténuent avec le temps", souligne Dimitri Sionnet.
Cette situation, les groupements d’agents la constatent aussi et notamment dans les réseaux Stellantis qui font marche arrière. Ainsi, le Groupement des agents automobiles Peugeot (GAAP) – qui compte 1 600 agents de la marque au lion – a aussi vu le nombre d’agents repartir à la hausse. "Nous constatons que les constructeurs ont la volonté de relancer le maillage d’agents, en remontant des panneaux et en relançant le commerce dans les affaires de proximité", observe Florence Gete, présidente du GAAP.
Le multimarquisme : une nouveauté pour les agents
Avec près de 20 ans de carrière en tant qu’agent, elle constate que le profil des nouveaux entrants a désormais changé. "Aujourd’hui, nous avons affaire en grande partie à des investisseurs et à des personnes qui peuvent se permettre de multiplier les activités et d’être multipanneaux", décrit la présidente.
Elle en est le parfait exemple. Agent Peugeot, mais aussi AD sur un autre site, elle a une station de lavage par ailleurs. "Il y a une quinzaine d’années, cela n’existait pas et nous retrouvions surtout des profils techniques qui reprenaient les sites avec des structures parfois plus petites. Ces profils‑là représentent toujours près de 50 % des agents, mais ces nouveaux profils prennent le lead", précise Florence Gete. S’il y a moins d’agences, ces dernières sont plus grandes et affichent plusieurs panneaux.

Florence Gete, présidente du GAAP. ©GAAP
Adopter cette approche marque la réelle mutation du métier d’agent. Avant la question du "contrat d’agent", il était rare de voir des agents afficher les marques Peugeot, Citroën et Opel.
En effet, le multimarquisme impliquait trop de contraintes, dans la mesure où il fallait répondre à la standardisation des constructeurs en adaptant les halls ou encore les bornes d’accueil. "Par le passé, certains agents hésitaient à renouveler leur contrat avec une marque comme Stellantis. Aujourd’hui, certains disposent de deux ou trois panneaux du groupe, une situation encore inédite il y a peu, soutient Dimitri Sionnet. Les constructeurs permettent désormais de travailler avec des espaces réduits, via des box et une charte graphique simplifiée. Cette évolution ouvre la possibilité, pour tous ceux qui le souhaitent, de représenter plusieurs panneaux", ajoute le vice‑président de la branche Agent de marque de Mobilians.
Vers une période d’apaisement
Pour autant, est‑ce que la stratégie s’avère réellement payante ? Comme pour de nombreux sujets, tout dépend du contexte. Actuellement, il n’est pas dans l’air du temps d’ajouter des collaborateurs et d’agrandir les sites pour pouvoir faire entrer davantage de véhicules.
"Un agent doit aujourd’hui avoir conscience qu’ajouter deux marques supplémentaires à sa marque de cœur ne fera jamais trois dans le chiffre d’affaires. Toutefois, adopter plusieurs panneaux demeure important, puisque les clients ne savent pas toujours ce qu’ils désirent. Ils ne sont plus attachés à une marque, mais davantage à leur garage", observe Denis Baeza.
Ce dernier précise que cette situation est valable partout, sauf cas exceptionnel lié à la zone géographique. Par exemple, un agent situé dans une région à faible densité de population qui ajoute trois marques peut attirer plus facilement des clients.
La situation s’apaise pour les agents, toutefois, les turbulences ont laissé des traces. Si l’après‑vente, leur cœur de métier, affiche encore une forte dynamique, l’activité vente de véhicules neufs et d’occasion en pâtit encore. Auparavant, un tiers des ventes de véhicules Peugeot était réalisé par les agents, "à l’époque où les constructeurs et les concessionnaires n’avaient pas cassé leur jouet", se désole Florence Gete.
Aujourd’hui, les ventes de véhicules sont plutôt aux alentours de 23 % du fait de la baisse du nombre d’agences et des tentatives d’ingérence des constructeurs dans leur business model, qui ont fragilisé l’aspect commerce.
Même constat du côté du groupement d’agents Citroën, où 19 % du commerce de la marque aux chevrons est réalisé par l’intermédiaire des agents, contre 26 % à une période où la marque représentait 13‑14 % de part de marché.
Avec les constructeurs, les relations sont à reconstruire, ce qui prendra certainement du temps. "Nous sentons qu’ils ont la volonté de renommer des agents et de les accompagner au niveau du commerce, d’autant plus avec l’arrivée de Lionel Ehrhard chez Peugeot, une personne de terrain qui connaît bien le réseau d’agents", souligne la présidente du GAAP.
S’adapter au nouveau standard de la marque, un coût nécessaire
S’il est désormais plus facile pour les agents d’ajouter des panneaux à leur marque, cela implique de mettre leur site aux standards imposés par le constructeur. Or, cela entraîne inévitablement des investissements conséquents et chronophages.
"C’est compliqué comme sujet. Le constructeur nous demande de standardiser notre façade, mais il ne donne pas d’engagement dans le temps avant le prochain changement", explique Dimitri Sionnet, vice‑président de la branche Agent de marque de Mobilians et directeur du garage DSI Automobiles de Niort et de Melle.
Ce dernier a repris son garage Opel de Melle (79) en 2012. La rénovation du site s’est étendue jusqu’en 2017. Trois ans plus tard, l’agent apprend qu’il doit faire un nouveau changement.
De son côté, Denis Baeza, président du groupement des agents Citroën, est en plein dans la mise à jour de son site. D’ici fin 2025, tous les agents devront répondre à la nouvelle image de la marque aux chevrons.
"Nous n’y parviendrons pas et nous sommes nombreux à être dans cette situation. Environ 70 % des agents n’ont pas encore mis leur image de marque à jour. À mon avis, à la fin de l’année, si nous arrivons à atteindre les 40 %, ce sera le bout du monde", sourit‑il.
S’il y a un manque de visibilité et que les timings sont serrés, les constructeurs se montrent néanmoins tolérants sur le sujet. Remettre un site à jour peut aussi avoir des effets positifs. "Il ne faut pas oublier qu’un coup de pinceau dans l’entreprise, ça attire le client", soutient Denis Baeza.
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