Vers la fin de l'ère Tesla ?

Évoluer ou s’éteindre. Le principe de sélection naturelle établi par Charles Darwin semble s’appliquer au secteur automobile. Pendant près d’une décennie, Tesla a régné seul sur le marché des véhicules électriques avant d'être challengé par une concurrence de plus en plus rude. En effet, depuis quelques mois, le volume des voitures du constructeur américain s'effondre inexorablement.
Au premier trimestre 2025, la marque dirigée par le milliardaire Elon Musk a vu ses ventes mondiales chuter en dessous des prévisions, avec seulement 336 681 véhicules immatriculés dans le monde, en baisse de 13 % sur un an. Un volume à son plus bas niveau depuis le deuxième trimestre 2022, où la marque enregistrait 254 695 véhicules mis à la route.
Pourtant, le marché tablait sur 400 000 ventes en début d'année. La Deutsche Bank anticipait, quant à elle, entre 340 000 et 350 000 unités mises à la route après une révision à la baisse de sa prévision initiale de 378 000 unités. Comme le relate l’AFP, la société de courtage Wedbush comptait sur 355 000 et 360 000 voitures livrées dans le monde.
Une chute particulièrement marquée en Europe de l’Ouest, comme en France, où les immatriculations ont diminué de 36,7 %, ou encore en Suède et au Danemark, où les mises à la route se sont effondrées de 63,9 % au premier trimestre.
À l’échelle de l’Union européenne, en se basant sur les chiffres de janvier et février 2025, les immatriculations de Tesla ont été divisées par deux sur un an. Au niveau de la Bourse, ce n’est guère mieux. En une seule journée, l’action de l’entreprise tombe de 15 %, clôturant à 222,15 dollars, au plus bas depuis octobre 2024. Depuis novembre 2021, le titre de Tesla enregistre une baisse de 60 % de sa valeur. Cependant, la marque détient toujours la meilleure valorisation boursière avec 905 millions de dollars, soit trois fois plus que celle de Toyota, le premier constructeur mondial en 2024.
Musk dans le gouvernement Trump, une erreur stratégique
Sans tourner autour du pot, la raison de cet effondrement peut être en partie imputée à l’entrée d’Elon Musk sur le terrain de la politique durant l’été 2024, se présentant comme un proche soutien du président des États-Unis, Donald Trump. Un choix naturellement clivant, impliquant une vague de boycotts, dans un premier temps sur le sol américain, puis dans le monde entier. Plusieurs frasques ont eu l’effet d’un accélérateur dans la chute des immatriculations de Tesla : un geste du milliardaire s’apparentant à un salut nazi lors de l’investiture de Donald Trump, ses ingérences dans la politique de pays européens et, plus récemment, la mise en place des droits de douane par le président des États-Unis, provoquant une défiance pour les produits américains.
Concernant ces derniers, le site d’information touristique NYC.fr a commandé à l’Ifop un sondage s’intéressant au mouvement de boycott des marques américaines dans l'Hexagone: #boycottUSA. Basée sur un échantillon de 1 000 Français, l'étude montre "que le boycott actuel ne serait pas qu’une réaction émotionnelle passagère, notamment pour les produits facilement remplaçables ou marqués politiquement" selon le site d’information. Reflet de l'industrie américaine, l’automobile est menacée de boycott pour 61 % des interrogés. Parmi les entreprises particulièrement ciblées, Tesla figure en tête des marques les plus marquées par la réticence à l'achat de biens américains, et ce, tout produit confondu, à 47 %.
Une gloire passée
Mais peut-on réellement tout mettre sur le dos de son exubérant patron milliardaire ? "Ce sont moins les frasques de Musk que les carences du management de Tesla Motors qui sont en cause ici. Ils n’ont pas su faire fructifier la marque en 2024 et n’ont pas su profiter de leur position de pionnier", soutient Bernard Jullien, maître de conférences en économie à l'université de Bordeaux et spécialiste de l'industrie automobile.
"La marque a eu un succès tant que la voiture électrique restait confidentielle, réservée à un public plutôt riche et branché, qui se laissait volontiers séduire par le produit et l’emballage", ajoute-t-il. Avant d’entamer son effondrement, il est bon de rappeler que la marque a connu un âge d’or, dont le point de départ se situe au moment où l’Europe commence à s’intéresser à l'électrification des véhicules, en 2020, et se termine au début des difficultés de Tesla en 2023, une période où les modèles de la marque figuraient encore dans le top des ventes électriques de l’année sur le Vieux Continent et aux États-Unis.
Tesla a donc surfé sur l’engouement soudain pour l'électrique en commercialisant deux modèles phares : la Model 3 et la Model Y. "Ces modèles correspondaient à une division par deux du prix de vente des VE qu'il était possible de trouver à l'époque. Ce sont des véhicules qui ont commencé à gagner de l’argent malgré la baisse de leur prix", souligne Bernard Jullien.
Pendant trois ans, la majeure partie du décollage de l’électrique en Chine et en Europe se faisait avec Tesla. "Sans compter le coup de fouet en faveur du véhicule à batterie pour embarquer les Big Three (GM, Ford et Stellantis), impulsé par Joe Biden aux États-Unis, qui a surtout profité à la marque d’Elon Musk." La généralisation de l’électrique s’est imposée progressivement autour du monde, collée à la réussite de Tesla.
La Model Y fait partie des best-sellers du constructeur américain. ©Tesla
Face au refus de massifier ses produits, la Chine se poste en embuscade
Rien ne semblait effriter le succès de la marque d’Elon Musk. Pourtant, "c’est la Chine qui est aux manettes dans le mouvement mondial vers la voiture électrique, amorcé lors de la dernière décennie" tient à souligner Bernard Jullien. L’objectif de la Chine revient à sortir les occidentaux de leur territoire national, y compris Tesla, auparavant accueilli à bras ouverts, et qui s’est vu marginalisé par les marques SAIC, ou encore BYD". Une marginalisation qui se généralise partout dans le monde.
À titre d’exemple, là où Tesla a subi une perte de 1 % des ventes mondiales de véhicules électriques en 2024 à 1,79 million d'unités, son concurrent chinois BYD enregistre une hausse de 12 % sur un an, avec près de 1,76 million de voitures immatriculées. Une perte de vitesse de Tesla dans l’empire du Milieu qui s’explique par le refus du constructeur de descendre en gamme ses véhicules. "Ce qui a permis à la Chine d’atteindre des volumes significatifs, ce sont les modèles cinq à dix fois moins chers qu’une Tesla", souligne Bernard Jullien. Un refus de jouer le jeu de la massification des véhicules électriques qui ne permet pas à Tesla de répondre à armes égales à une concurrence toujours plus féroce.
Pourtant, la marque d’Elon Musk prévoyait initialement de mettre sur le marché la Model 2, une voiture électrique "abordable" à 25 000 euros. Un projet abandonné fin octobre 2024 pour mettre en avant une stratégie sur le véhicule autonome avec le Cybercab, annoncé en grande pompe en septembre 2024. "Tesla a constamment pensé que l'électrique relevait avant tout de la «tech» et que les voitures seraient, quoi qu’il arrive, autonomes", affirme le maître de conférence.
"Mais c’est une absurdité selon moi. Déjà, le marché du véhicule autonome est différent, la réglementation n’est pas à jour et le marché reste de niche. En se focalisant sur les robot-taxis, il se retrouve hors-jeu", souligne-t-il. Mais ce qui s’est passé en Chine préfigure le marché européen de l’électrique d'aujourd'hui avec les parts de marché des Model 3 et Model Y rongées par les constructeurs locaux, dont la gamme de voitures à batterie s'avère de plus en plus accessible et qualitative. Exit les véhicules à 45 0000 euros, le futur vainqueur de l'automobile parviendra à proposer une voiture électrique à moins de 25 000 euros.
Il faut remanier la formule
Tesla a pourtant senti le vent tourner depuis un moment, comme en 2023, où le constructeur américain proposait une réduction drastique de ses prix, jusqu’à 35 % pour certaines versions de ses voitures. Une décision qui a créé une réaction en chaîne sur le marché de la location courte durée et de l’occasion, entraînant en partie des difficultés pour le loueur Hertz. Plus récemment, dans l’urgence, Tesla a proposé un Model Y moins cher en retirant de nombreux éléments du véhicule.
"En 2023, Carlos Tavares, alors directeur général de Stellantis, face aux journalistes, avait envoyé un message à Musk sans le cibler directement, en disant «Bienvenue dans mon monde». Par là, il sous-entend que l'automobile n’est pas un marché confortable. Les entreprises sont obligées de brader en permanence parce que les clients ont déjà une voiture et qu’ils n’ont pas forcément envie de changer. Dans ce contexte, il est difficile d'obtenir un pricing power, pointe Bernard Jullien. Avec Tesla, Elon Musk doit désormais se plier à la loi du marché qui est de faire «la danse du ventre» pour toucher un nouveau public, car la stratégie premium ne convient plus à l'univers automobile qui se dessine depuis 2024."
Pour l’économiste, le constructeur américain est en décalage avec la réalité du marché. En conséquence, il doit revoir ses plans et ne plus se contenter de sa posture attentiste. Il doit ainsi adopter une réelle stratégie de réseau comme l'ont fait les marques chinoises tout en proposant une gamme de véhicules abordable. Une voie que le milliardaire ne semble pas vouloir emprunter. Quelles solutions s’offrent donc à Tesla dans un bouillon concurrentiel aussi intense ? Pour Bernard Jullien, l’éventualité d’appliquer une stratégie de type start-up – qui serait de vendre les actifs de l'entreprise – n'est pas envisageable tant la valeur de l’entreprise est élevée. Pour lui, l’option la plus crédible serait l’arrivée d’un "Car guy".
Elon Musk mise sur le Cybercab, futur véhicule autonome de Tesla. ©Tesla
"Ses usines de Shanghai et de Grünheide en Allemagne deviennent aussi vides qu’une usine General Motors. Si l’on ajoute à cela les droits de douane mis en place par son acolyte Donald Trump, qui l'empêchent de profiter de sa production européenne pour approvisionner le marché américain où il risque d’être en surcapacité, il va falloir qu'Elon Musk ou ses investisseurs se rendent à l’évidence en nommant un véritable spécialiste du marché automobile pour reprendre le dossier et banaliser l’électrique. Et pourquoi pas Carlos Tavares ?", ironise Bernard Jullien. Si son dirigeant le souhaite réellement, Tesla va devoir rentrer dans le rang et élargir son catalogue avec des modèles renouvelés et surtout accessibles.
À moins que la stratégie du véhicule autonome sur laquelle compte le milliardaire, avec le Cybercab, premier robot-taxi commercialisé à grande échelle dont la flotte est prévue d’ici à la fin 2026, ne porte ses fruits. Un plan qui s’appuie aussi sur le parc de Tesla mis en circulation pour proposer un maillage de véhicules automatisés cassant les codes de la propriété automobile, basé sur l'intelligence artificielle.
Si la barrière de la réglementation pourrait éventuellement sauter par le biais de Donald Trump, encore faut-il résoudre l’équation épineuse de la sécurité et du modèle économique pour que le Cybercab trouve son public. Le destin de Tesla est entre les mains d’Elon Musk et de ses actionnaires, mais une chose est sûre, la marque américaine doit changer ou elle s'éteindra.
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