S'abonner
Constructeurs

Uwe Hochgeschurtz, Stellantis Europe : "Le contrat d'agent est gagnant pour tout le monde"

Publié le 4 juillet 2024

Par Nabil Bourassi
11 min de lecture
Le patron de l'Europe du groupe automobile répond aux angoisses du réseau français, opposé à la généralisation du contrat d'agent que Stellantis tente d'imposer. Pour Uwe Hochgeschurtz, les discussions avec le réseau progressent bien et "dans la sérénité". Il juge que l'expérience tirée des pays pilotes démontre la pertinence du modèle.
Uwe Hochgeschurtz Stellantis
Uwe Hochgeschurtz estime que le contrat d'agent est une opportunité pour le réseau. ©Stellantis

Le Journal de l'Automobile : Quel bilan Stellantis tire-t-il de l’expérience du passage au contrat d’agent dans plusieurs d’Europe ?

Uwe Hochgeschurtz : On a effectivement décidé d’expérimenter ce format à travers trois pays pilotes pour tester notre idée et ses outils qu’ils soient IT ou contractuels. Très vite, nous avons obtenu de bons résultats. Il est vrai qu’au début, nous avons perdu quelques ventes, notamment en comparaison à la période précédente. Mais cela s’est très vite réglé. Aujourd’hui, nous observons que les process sont bien réglés et que le business commence à bien prendre. Nous voyons par exemple que les délais de vente d’un véhicule sont très proches de ceux connus sur un contrat de distribution normal. Nous enregistrons également une hausse des commandes. En mai, nous avons fait 30 % en plus. C’est donc satisfaisant, et maintenant nous regardons ce qu’il reste à faire pour ensuite passer aux autres pays. Pour le moment, nous ne donnons pas de date parce que c’est un processus long. Il faut convaincre nos partenaires, il faut également former les équipes. Le système doit également être retravaillé parce qu’il n’y a pas les mêmes standards entre les pays. Le jour où nous serons prêts, nous l’annoncerons.

 

A lire aussi : Stellantis : pourquoi le nouveau contrat d'agent fait plonger les ventes en Belgique

 

J.A. : En Belgique, les concessionnaires reconnaissent effectivement des améliorations dans les process. En revanche, la part de marché est toujours très faible… Comment ne pas penser que cette contre-performance n’est pas liée au passage au contrat d’agent ?

U.H. : Je vais prendre un exemple. Avec le contrat d’agent, nous proposons au réseau de mutualiser les stocks. En Autriche, en Belgique et aux Pays-Bas, il n’y a qu’un seul stock qui nous appartient. C’est très apprécié des distributeurs parce qu’ils n’ont pas à porter ce stock. Et le choix est beaucoup plus large que s’il appartenait à chaque distributeur. Et le bilan est positif puisque les délais de livraisons sont passés de plusieurs semaines à moins de 20 jours. On a simplifié un process qui, auparavant, était très compliqué. Pour ce qui est de la part de marché. Les chiffres ne mentent pas. Mais ce que j’observe, c’est que notre carnet de commande est plus important. C’est un portefeuille qu’on appelle build to order. C’est-à-dire que ce sont des véhicules commandés par les clients et qui vont leur être directement livrés. C’est exactement ce que nous voulions. On ne perd pas de temps et on ne passe pas par la case stockage, ce qui, en ces temps de taux d’intérêts élevés, est un vrai foyer de coûts. Donc, ici, tout le monde est content : le constructeur, le client et le distributeur. Nous sommes donc très sereins, nous nous laissons simplement du temps pour bien faire les choses.

 

A lire aussi : La décennie Carlos Tavares : la colère gronde dans le réseau

 

J.A. : Sur le terrain, votre réseau dit tout autre chose. Il y a une réelle opposition au contrat d’agent en France en tout cas… Comment allez-vous leur imposer ce format ?

U.H. : Cette année, nous avons déjà eu trois rencontres avec les représentants du réseau, et une quatrième est prévue en septembre. Nous avons donc des discussions régulières et nous leur faisons part de nos progrès dans les pays pilotes, et cela nourrit notre propre réflexion pour nous améliorer parce qu'ils ont une expérience du terrain. Nous avons même organisé des visites sur place, en Belgique et aux Pays-Bas. Et moi-même, je me rends sur le terrain en France. Récemment, j’étais à Paris, Bordeaux, Nice et Strasbourg pour observer comment cela se passe. Et j’ai entendu les distributeurs favorables à notre projet. Dans un contexte de taux d’intérêt élevés, ils voient un gros avantage à mutualiser les stocks. C’est un avantage en coûts mais également pour l’expérience client qui peut être livré beaucoup plus rapidement du véhicule de son choix. 

 

J.A. : Mais porter tout le stock pour un marché comme la France, ça coûte très cher… 

U.H. : Le stock se réduit plus vite s’il est mutualisé. Au final, il coûte moins cher pour tout le monde, et donc, in fine, pour notre client. Donc, si on est capable de réduire ce stock et rester quand même avec la même disponibilité en termes de marques, de modèles, de diversité de versions, c'est gagnant pour tout le monde. Parce que le taux d'intérêt, il est plus ou moins pareil pour tout le monde.

 

J.A. : Où en est le stock dans les pays où vous avez instauré le contrat d’agent ?

U.H. : Dans les pays pilotes, nous observons une forte réduction du stock du réseau. À terme, nous estimons qu’il ne devrait rester qu’un stock résiduel de véhicules de démonstration ou pour faire tourner le business. Dans les mois à venir, nous serons donc proches du zéro stock VN pour la vente et on aura à peu près un mois de stock central de réactivité qui desservira tous les distributeurs intégrés au système général. Car ce qui compte c’est de ne pas sacrifier la satisfaction client tout en réduisant le coût de la distribution. Notre capacité à piloter les stocks prend en compte les périodes de creux des plans produits ou d’arrivée de nouveaux modèles. C’est plus simple lorsque les stocks sont centralisés.

 

A lire aussi : La décennie Carlos Tavares : chronique d'une ascension fulgurante

 

J.A. : Pourquoi avoir repoussé le contrat d’agent en Espagne ?

U.H. : Les conditions n’étaient pas réunies pour octobre. Nous multiplions les tests et les simulations systèmes pour entrer prochainement en Espagne. J'y suis d’ailleurs régulièrement pour m’assurer que les choses avancent bien. Le jour où nous nous lançons en Espagne, nous voulons être sûrs d’être opérationnels à 100 %. Nous allons d’ailleurs bientôt introduire une nouvelle version de notre système en Belgique.

 

J.A. : Peut-on avoir des indications sur les commissions ? En Espagne, le chiffre de 2 % est en train de circuler…

U.H. : C’est difficile de donner des chiffres. Il y a des marges fixes et variables. Elles peuvent changer d’une marque à une autre. Alors il est vrai qu’il y en a moins qu’avant, mais il y a aussi moins de coûts. L’agent, lui, est plus compétitif à la fin.

 

J.A. : En France, le réseau se plaint de pertes de part de marché du groupe Stellantis. Même le réseau Peugeot, qui est plutôt habitué à des rentabilités dans le haut de la fourchette de son segment, affiche des difficultés. Comment allez-vous remédier à cette situation ?

U.H. : Nous avons rencontré ces dernières années post-Covid diverses situations qui nous contraignent en termes de production, ou de livraisons. Cela s’est traduit dans nos ventes et dans nos parts de marché. C’est tout à fait vrai. Mais ce phénomène est derrière nous, et depuis le début de l’année, nous voyons nos prises de commandes augmenter significativement. Et nous pensons que cela va s’accélérer avec le déploiement de nos nouveaux modèles notamment au deuxième semestre. Mais je voudrais préciser une chose… Le chiffre d’affaires de notre réseau a augmenté de 20 % depuis 2019. Ce n’est quand même pas rien. Je connais peu de secteurs ayant enregistré une telle performance dans ce contexte. J’ajoute qu’entre 2021 et 2023, c’est-à-dire depuis la naissance de Stellantis, le nombre de marques par investisseur a augmenté de 30 %. C’est tout de même intéressant de voir que nos investisseurs continuent de parier sur nous et notre potentiel de croissance.

 

A lire aussi : Le contrat d’agent de Stellantis pourrait-il être abandonné ?

 

J.A. : Pourquoi sont-ils si nombreux à perdre de l’argent ?

U.H. : Il y a plusieurs éléments. D’abord, si on analyse les choses au global, les concessionnaires ne perdent pas d’argent. Certains en perdent, certes, mais d’autres en gagnent proportionnellement plus. Le problème, c’est que la moyenne n’est pas en croissance. Pourquoi ? Parce que le marché a beaucoup changé. Il y a beaucoup plus d’offres que de demandes. C’est la situation inverse que celle que nous connaissions il y a encore deux à trois ans. Il y a donc une tension concurrentielle qui se traduit dans les prix ou les produits. La bonne nouvelle, c’est que nous arrivons avec de nombreux nouveaux produits comme les Peugeot 3008 et 5008, les Citroën C3 et C3 Aircross, ou l’Opel Frontera. Alors oui, il y a des hauts et des bas, mais nous sommes en train de préparer une ligne de produits pour plus de rentabilité, tout en garantissant à notre réseau que nous serons prêts et bien positionnés pour respecter les objectifs réglementaires sur les baisses d’émissions. 

 

J.A. : Vous décrivez un climat très cordial de discussions avec le réseau. Mais beaucoup vous accusent de vouloir les évincer de la chaîne de valeur. Ils ont des mots très durs à votre sujet.

U.H. : On ne peut pas empêcher quelques-uns d’être en colère… Moi, ce que j’observe, c’est que nos discussions sont très sereines. D’ailleurs, nous n’envisageons pas d’être en conflit avec notre réseau. Nous travaillons main dans la main avec lui. Et nous cherchons des solutions à chaque problème. C’est extrêmement important. La transformation en cours est très importante pour toute la filière, et notre proposition doit permettre à tout le monde d’être gagnant. Le réseau a tout à gagner à nous accompagner dans cette transformation. Et je peux vous dire que notre réseau est partie prenante dans notre stratégie commerciale. Aucune décision n’est prise sans son accord.

 

A lire aussi : Contrat d'agent Stellantis : les montants des rémunérations révélés

 

J.A. : Est-ce que vous confirmez que Leapmotor sera distribué par des investisseurs privés, ou allez-vous privilégier votre propre filiale Stellantis & You ?

U.H. : Nous avons proposé Leapmotor à l’ensemble de notre réseau et nous avons été étonnés de leur intérêt par le nombre de candidats qui s’est présenté. Nous avons d’ores et déjà signé les premiers contrats. Cela prouve que notre réseau est extrêmement réactif et comprend ce que veut dire compétitivité et synergie. Nous allons donc pouvoir commercialiser dès septembre des véhicules Leapmotor et nous aurons un peu plus de 70 points de vente en France. 

 

J.A. : Stellantis & You semble vouloir accélérer sa croissance par la reprise de sites appartenant à des investisseurs privés… Confirmez-vous qu’il s’agit d’une vraie stratégie à long terme de "refilialisation" ?

U.H. : Stellantis & You c’est environ 20 % de nos volumes. C’est une chance pour notre groupe. Nous sommes opportunistes lorsque des occasions se présentent, mais nous ne sommes pas dans une démarche pour concurrencer nos investisseurs. Parfois, des investisseurs veulent vendre, mais ils ne trouvent pas d’acheteurs… Ou parfois, il y a des régions où le réseau est insuffisant. C’est en ce sens que nous sommes opportunistes. Mais cette part de Stellantis & You dans nos volumes de vente restera stable.

 

J.A. : Vous ne regardez pas systématiquement chaque dossier de cession ?

U.H. : Pas plus qu’avant.

 

J.A. : Vous évoquiez la satisfaction client… L’affaire Takata crée pas mal de remous. Comment allez-vous gérer cette situation ?

U.H. : Je voudrais d’abord insister sur le fait que c’est d’abord et avant tout une affaire Takata. Cela signifie que ce n’est pas une affaire Citroën, mais bien une affaire Takata. Nous avons envoyé près de 250 000 courriers à nos clients pour leur proposer de réparer leurs airbags le plus rapidement possible. Vous comprendrez que nous n’avons pas 250 000 airbags disponibles immédiatement et que cela va prendre un peu de temps. Et en même temps, le danger est réel et notre priorité, c’est le client. C’est pourquoi, nous avons demandé un stop drive et proposé des voitures de courtoisie. À date, nous avons 24 000 véhicules déjà réparés, et 7 000 le seront dans les prochains jours. Nous sommes en avance sur notre planning. En août, nous pensons pouvoir doubler notre capacité de réparation hebdomadaire. Nous estimons qu’il faudra à peu près 14 semaines pour venir à bout de ce problème.

 

J.A. : Une autre affaire concerne les moteurs PureTech. Les clients sont très mécontents de la manière dont est traitée cette situation. On a même vu des clients manifester devant le siège en Belgique…

U.H. : Nous avons pris une décision forte qui a été d’augmenter la période de garantie à dix ans ou 170 000 km, à condition que la voiture ait bien été entretenue. C’est une réponse adéquate, je pense, et qui répond au risque apparu sur les moteurs PureTech. 

 

J.A. : Cela ne retirera pas pour autant les dégâts sur l’image de marque, notamment en termes de qualité et de fiabilité…

U.H. : Nous avons pris nos responsabilités. Lorsque nous offrons une telle période de garantie, sur ce type de véhicule, c’est presque une garantie à vie.

 

J.A. : Il y a des conséquences sur la revente…

U.H. : L’acheteur est totalement rassuré grâce à notre extension de garantie.


Par Nabil Bourassi et Catherine Leroy

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les donctionnalités.
Partager :

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

cross-circle