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Constructeurs

"L’innovation doit être un réel progrès et non pas un amplificateur du facteur risque"

Publié le 18 novembre 2011

Par Alexandre Guillet
10 min de lecture
Jean-Michel Cavret, directeur de la stratégie électro-mobilité de BMW Group France - La présentation des résultats de l’expérimentation Mini E Paris, un succès, comme dans les autres villes pilotes, est aussi l’occasion d’évoquer la feuille de route de l’électro-mobilité du groupe avec Jean-Michel Cavret. Morceaux choisis.

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Dans un monde qui bouge et avec une notion de mobilité qui mute, peut-on parler d’un esprit spécifique au VE ?
Jean-Michel Cavret.
Dans le monde de l’électrique, encore en construction et parfois proche d’un no man’s land, on retrouve un peu la dimension associative de la moto. Un esprit club très agréable. Avec de nombreux acteurs de nature différente qui ont compris qu’il fallait travailler collectivement pour que le défrichement mène quelque part. C’est enrichissant, stimulant et in fine fécond. Mais ne nous méprenons pas : le développement du VE n’est pas contradictoire avec l’amélioration des véhicules thermiques ou d’autres voies de recherche. Nous avançons de front. Il ne faut pas tout mélanger et encore moins tout opposer.

JA. Au risque d’être un peu abrupt, pensez-vous qu’il y a un risque à ce que le VE ne décolle pas ?
J-M C.
Je ne pense pas. Mais une chose est sûre, si ça ne décolle pas en France, ça ne décollera nulle part. Avec l’énergie décarbonée d’EDF qui peut alimenter un ou deux millions de VE dans les garages, sans investissement supplémentaire, et à un prix très compétitif, tous les atouts sont réunis, surtout qu’ils sont soutenus par les constructeurs domestiques et les Pouvoirs Publics. On peut aussi penser que la Chine n’aura pas le choix. Mais sera-ce vraiment décarboné… c’est une autre question…

Bref, je ne pense pas que le VE puisse connaître un nouvel échec. Notamment parce que les constructeurs ont beaucoup investi et que tous s’engagent dans cette voie, sans négliger d’autres pistes prometteuses, rappelons-le. En revanche, cela prendra du temps et le développement passera d’abord par les collectivités et les sociétés, avant de gagner du terrain sur les particuliers. Il faudra être patient, surtout au niveau des particuliers, car le “droit à la prise” prendra aussi du temps à se répandre dans les copropriétés anciennes.

JA. Pourquoi avoir choisi tant de tests grandeur nature avec des utilisateurs bien réels ?
J-M C.
La stratégie du groupe BMW est très méthodique et raisonnée. Les tests avec Mini E nous ont permis d’appréhender les changements de comportements de conduite. Les tests Active E vont nous permettre de valider plusieurs pistes sur la chaîne de traction et nous trouverons donc des solutions abouties et éprouvés sur la BMW i3, qui sera bientôt commercialisée. Le fait de ne pas être le premier sur le marché n’est pas un problème. Surtout qu’avec notre positionnement Premium, nous devons proposer des produits irréprochables à tous les niveaux. D’ailleurs, notre démarche ne se limite pas aux seuls véhicules, mais se concentre aussi sur un bouquet de services, souvent novateurs. On parle vraiment de mobilité. L’innovation doit être un réel progrès et non pas un amplificateur du facteur risque.

JA. Avez-vous été surpris par certains résultats de l’étude menée par le groupe ?
J-M C.
D’une manière générale, c’est-à-dire tous pays confondus, il y a eu assez peu de surprises. En revanche, nous avons relevé quelques spécificités au niveau des femmes utilisatrices. Par exemple, elles demandent deux câbles, pour plus de confort, un qui reste dans le garage et un autre d’appoint dans la voiture. Cela renvoie à l’un des atouts du VE, ne plus aller à la pompe à essence, ne plus se salir les mains, etc. Ce sont des éléments qui peuvent sembler secondaires, mais qui ont un impact sur les pionnières. Par ailleurs, nous avons constaté qu’un esprit club est né entre les pionniers Mini E. C’est assez intéressant à souligner car cela s’est vérifié dans l’ensemble des pays concernés par les tests. Il y a l’attrait d’une expérience rare, de l’innovation et des nouvelles technologies.

JA. Selon vous, le véhicule électrique est-il intrinsèquement urbain ou la dichotomie villes/campagne est-elle artificielle ?
J-M C.
La conscience écologique n’est pas moindre en province que dans les grandes villes. Loin de là… En outre, l’autonomie offerte par les véhicules électriques répond, dans la majorité des cas, aux besoins des utilisateurs, sur la base de leur kilométrage quotidien moyen, une moyenne obtenue à l’échelle nationale dans chaque pays. Dans un premier temps, nous, constructeurs, avons plutôt positionné le VE dans une approche urbaine, notamment par rapport à l’argument de la réduction du bruit. Mais au moment où le VE gagnera le champ des particuliers, je pense que nous pourrons avoir des surprises au niveau de la répartition de la demande. Il y aura plusieurs phases de développement.

JA. Considérant la force de vos marques et l’approche de la commercialisation de la BMW i3, les pionniers du test Mini E peuvent-ils vraiment devenir massivement des clients BMW ?
J-M C.
L’attachement à la marque Mini est très fort et certains clients Mini ne passeront pas forcément chez BMW pour avoir un véhicule électrique. Ce n’est d’ailleurs pas l’objectif poursuivi. Par contre, c’est assurément une force du groupe d’avoir délimité des prés carrés pour chaque marque et notre département marketing fait un travail remarquable pour maintenir ces frontières et renforcer l’identité de chacune de nos marques. Dès lors, les pionniers Mini attendront peut-être une Mini électrique, même si les BMW électriques seront des voitures totalement nouvelles, avec de nouveaux codes et un nouveau référentiel spécifiquement calibrés pour la technologie. En outre, au-delà de l’ancrage Premium, le VE peut donner à BMW une image sympathique au plus grand nombre. C’est aussi un axe de travail potentiel.

JA. Le service Autolib va bientôt faire ses grands débuts à Paris : sa réussite est-elle importante dans la perspective du développement du VE ?
J-M C.
En tout cas, sur ce sujet, force est de constater que la planète regarde Paris en ce moment ! Robin Chase n’est pas venue à Paris par hasard, même si son business-modèle sera différent, car elle mise sur le peer-to-peer. Donc le groupe Bolloré a d’ores et déjà réussi son action de communication. Tout en restant humble et discret, ce qui a parfois irrité, car il y avait un peu trop de secret pour le goût de certains. Pour répondre à votre question et par rapport à la filière VE, j’espère que cela va fonctionner, bien entendu. Mais là encore, il convient de ne pas tout mélanger.
 

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ZOOM - Itinéraire d’une mémoire de BMW France

Jean-Michel Cavret est entré chez BMW France en septembre 1973. La filiale française avait été créée un an auparavant et ne portait pas encore le nom qu’on lui connaît aujourd’hui. Le siège était du côté de Bagneux. “C’était une démarche personnelle, car j’étais passionné de motos et je trouvais, entre guillemets, beaucoup plus d’attrait et de noblesse à la moto qu’à la voiture ! J’étais un motard pur et dur !”, se souvient Jean-Michel Cavret dans un sourire. Il postule donc pour un poste de responsable commercial régional sur l’activité motos. Mais en recevant son curriculum vitae et voyant notamment qu’il avait fait des études de gestion, la DRH de l’époque lui propose en fait un autre poste. “J’ai donc été reçu par le directeur marketing de l’époque, un lundi de juin 73. Il me tend un catalogue de la Série 5, en me disant simplement : “revenez vendredi avec un argumentaire de vente””. Agitation… “Je ne connaissais rien à rien à ce domaine, ou presque ! Mais bon, j’ai pris le taureau par les cornes en faisant l’analyse du marché, un comparatif avec la concurrence, un micro-trottoir sur les Champs Elysées, etc. Le vendredi, je lui remets mon rapport, qu’il lit attentivement en silence pendant 20 minutes, avant de me dire : “vous êtes engagé””.

Jean-Michel Cavret se retrouve donc, à moins de 23 ans, chef du service publicité et promotion des produits de la marque ! Produits autos, motos, pièces détachées bien entendu, “un business important”, et moteurs marins. Il conduit cette mission cinq ans durant et son département se développe significativement.

Mais en 1985, il est approché par Publicis pour prendre la direction clientèle du budget Renault et il accepte. Un peu plus tard, il reçoit un coup de téléphone : rendez-vous est pris le lendemain matin chez Renault à Boulogne. “Ils m’ont proposé de devenir chef du budget publicité France de Renault, ce qui ne se refuse pas”.

En avril 1989, le patron de la moto de BMW décède brutalement à moins de 50 ans. Jean-Michel Cavret assiste à l’enterrement et huit jours après, Didier Maitret l’appelle et lui propose la direction de la moto. Sa grande passion ! “Certes, mais j’ai hésité car ma mission chez Renault me passionnait aussi… Toutefois, j’ai accepté et cela a duré vingt ans !”. Avant qu’il ne prenne la direction du programme électro-mobilité pour la France, à la demande de Philippe Dehennin.

De nouvelles fonctions, clairement orientées vers le futur, qui réjouissent l’amoureux de belles anciennes. En effet, en plus de la musique classique et de bien d’autres choses, Jean-Michel Cavret est aussi un passionné de voitures et de motos anciennes. Il possède notamment une BMW 700 de 1963, qui fut en son temps produite à 188 000 exemplaires, ainsi qu’une BMW 2002 de 1974, qui fut d’ailleurs sa première voiture de service. “On a oublié que BMW faisait des petites voitures !”, glisse-t-il en rappelant que la 700 se limite à 3,54 mètres. Une passion qu’il partage avec Philippe Dehennin et fait écho à une maxime qui émaille souvent son discours : “Ce qui se fait sans le temps ne lui résiste pas”.
 

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ZOOM - Paroles de pionniers

Xavier Barra et sa famille, qui possèdent une Mini Diesel et une Audi A5, se sont portés volontaires pour tester la Mini E, attirés par “l’expérimentation de la nouveauté”. Même son de cloche chez Elisabeth Eloy, autre pionnière Mini E : “Je l’ai fait à la fois par curiosité et par envie de découvrir une nouvelle technologie pleine d’avenir”. Les deux testeurs sont séduits par le véhicule et sans se concerter, mettent en exergue les trois mêmes principaux atouts : “le silence, la vivacité de l’accélération et le freinage régénératif”. En outre, ils soulignent que le véhicule suscite beaucoup d’empathie “dans l’entourage comme sur les routes”. Au chapitre des points négatifs, le manque d’équipements est pointé du doigt par Xavier Barra, qui tempère cependant son propos en soulignant qu’il faut prendre en compte que la Mini E est un prototype. L’autonomie ne pose pas de problème majeur, “la recharge devenant un réflexe à la maison sur le modèle du téléphone portable”, mais pose toutefois une limite : pour eux, on parle bien de la deuxième voiture du foyer. Dès lors, de pionniers, ils sont prêts à devenir acheteurs. Mais pas à n’importe quel prix… “Considérant que c’est pour un usage de 2e voiture du foyer, un prix de l’ordre de 30 000 à 35 000 euros me paraît trop élevé. 20 000 euros à l’achat ou une offre de location attractive me paraîtraient un bon compromis”, indique Xavier Barra. En revanche, il convient de ne pas généraliser leur enthousiasme à tous les véhicules électriques. On reste bien dans un univers de marque donné et dans la sphère du Premium. Ainsi, Elisabeth Eloy comme Xavier Barra ne sont guère séduits ou attirés par l’offre actuelle ou à venir (les sketchs de la Zoé par exemple) des généralistes, jugés sans ménagement : “Comme pour les autres véhicules, ils ne sont pas au niveau en termes de qualité, de finitions ou d’équipements. Et le design n’est vraiment pas folichon, pour ne pas dire autre chose”. Un enseignement, ou plutôt une confirmation précieuse pour les as du marketing.

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