Les constructeurs rebattent les cartes du recyclage
Les constructeurs parviendront‑ils à "dompter" la filière du recyclage automobile ? Parue en février 2020, la loi Agec vient semer la zizanie entre les centres VHU et les grands groupes automobiles.
En effet, cette réglementation oblige les metteurs sur le marché à répondre à la responsabilité élargie des producteurs (REP) dans le traitement des véhicules en fin de vie de leur marque sur tout le territoire. L’objectif étant d’optimiser le traitement des voitures hors d’usage et de lutter contre la filière illégale.
Entrées en vigueur le 1er janvier 2024, ces nouvelles obligations invitent les constructeurs à choisir entre deux modes de fonctionnement : l’éco‑organisme ou le système individuel (SI) pour traiter eux‑mêmes leurs épaves. Mais cette incursion des metteurs sur le marché suscite quelques remous du côté des centres VHU.
Il faut dire que, jusqu’à l’application de cette loi, la filière du recyclage semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Une directive européenne datée de septembre 2000 impose un taux de recyclage en masse du véhicule de 85 % et de valorisation de 95 %. Vis‑à‑vis de ces objectifs, les recycleurs français ont pris de l’avance puisque 87 % d’un VHU est recyclé et 96 % de sa masse est valorisée.
Dans l’Hexagone, près de 1,3 million de véhicules sont traités par an pour deux millions de véhicules neufs mis à la route. Ces chiffres font de la France un exemple européen en matière de déconstruction automobile.
Les constructeurs vers le système individuel
Mais l’arrivée de la loi Agec vient donc bouleverser l’ordre établi, poussant les acteurs du secteur du recyclage et les constructeurs à placer leurs pions sur un marché estimé à 11,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, selon les données 2022 de la Federec.
La Csiam a pris les devants avec l’éco‑organisme Recycler mon véhicule (RMV), qui réunit plusieurs marques étrangères telles que Mercedes‑Benz, BMW ou Porsche.
De leur côté, les groupes réalisant des volumes conséquents en France, tels que Renault, Stellantis ou encore Volkswagen, ont opté pour un système individuel. Mais à terme, entre 30 et 40 approches individuelles pourraient voir le jour selon le syndicat professionnel Mobilians.
"Qu’une majorité de producteurs s’orientent presque exclusivement vers un système individuel, c’est une grande première. Cela n’existe pas dans les autres secteurs où la REP est mise en application", souligne Patrick Poincelet, président de la branche recyclage au sein de Mobilians.
Pour qu’un SI ou un éco‑organisme soit agréé, il doit passer devant la Commission interfilières de responsabilité élargie des producteurs (Cifrep). "Compte tenu du nombre de dossiers déposés pour un système individuel, j’ai vu l’administration baisser les bras. Il devrait y avoir trois éco‑organismes, celui de la Csiam et deux autres qui auraient pu être initiés par Renault ou Stellantis. Là, la Cifrep n’a pas que trois ou quatre dossiers à regarder, elle va en avoir une cinquantaine. Ils sont tellement découragés que les consultations se font désormais par Internet", déplore Patrick Poincelet.
Outre le fait que la multiplication de systèmes individuels ralentit les procédures de mise en place de la réglementation, elle représente également un véritable problème pour les centres VHU.
En effet, pour continuer à travailler, ces derniers doivent signer un contrat avec, a minima, un éco‑organisme ou un système individuel. Auparavant, ils ne devaient répondre qu’au cahier des charges fixé par l’État pour obtenir leur agrément.
Or, les professionnels du recyclage automobile dépendent désormais des SI et de l’éco‑organisme pour voir leur activité perdurer. "Les centres VHU ont intérêt à signer en premier lieu avec l’éco‑organisme, car ce dernier ne peut pas s’opposer à la signature d’un contrat avec une entreprise si elle répond au cahier des charges. De plus, signer avec RMV, c’est la garantie de pouvoir traiter tous les véhicules", préconise Patrick Poincelet.
"Des éco‑organismes camouflés"
Mais alors, quel est l’intérêt pour un centre VHU de signer avec un SI ? "Pour leur avoir posé la question lors d’un congrès, ils n’ont pas vraiment su me répondre. Si nos adhérents signent avec les SI, c’est parce qu’ils pourraient bénéficier, dans le futur, d’une aide financière pour traiter certaines matières de ces véhicules. Sans contrat avec ces systèmes individuels, les centres VHU ne pourront pas profiter de ces aides sur les marques concernées", explique le président de la branche recyclage de Mobilians.
De plus, ce dernier pointe une autre singularité de cette nouvelle organisation : une majeure partie des systèmes individuels est aujourd’hui mise en œuvre par des prestataires.
Pour proposer leur système individuel, Stellantis s’appuie ainsi sur sa coentreprise avec Galloo, Valorauto, tandis que Volkswagen s’est rapproché de son partenaire de longue date, Tracauto. Renault, pour sa part, compte sur Indra Automobile Recycling, désormais filiale de The Future Is Neutral, qui s’occupera aussi des épaves de Toyota.
"Indra, Tracauto et Valorauto ont les mêmes besoins que RMV. La différence avec leur système, c’est qu’il n’y a pas de commission des parties prenantes, pas de tuteur de l’État qui contrôle, ni d’organisation professionnelle et d’associations de consommateurs qui peuvent s’en mêler… Il n’y a pas de contraintes, que des bénéfices, assure Patrick Poincelet. Si pour l’instant, ce n’est absolument pas d’actualité, il serait envisageable que RMV lance une procédure en justice pour justifier que ces systèmes individuels ne sont pas légaux."
Pour certains observateurs, l’intérêt des constructeurs pour les systèmes individuels pourrait être justifié par l’évolution réglementaire de cette filière au niveau européen. "Si un grand nombre de metteurs en marché basculent vers le système individuel, c’est avant tout pour se préparer à la réglementation européenne qui devrait vraisemblablement paraître d’ici à la fin de l’année 2025 ou, au plus tard, début 2026", explique Florence Bailleul, directrice générale d’Indra.
Cette loi imposera aux constructeurs d’incorporer des matières recyclées dans leurs produits. Avec la loi Agec, la France anticipe cette nouvelle norme à paraître. "Les constructeurs utilisent finalement l’Hexagone comme un terrain d’expérimentation afin de travailler sur de premières pistes et des solutions de réincorporation de matières", estime Olivier Gaudeau, directeur ingénierie et hygiène sécurité environnement d’Indra.
Le risque de renforcer la filière illégale
"Avec la loi Agec, c’est un nouveau métier qui s’ajoute à notre arc. Nous avons désormais un rôle de prestataire, pour le compte de Renault, mais aussi d’autres constructeurs avec lesquels nous discutons", assure Florence Bailleul, sans donner plus de précisions sur ces derniers.
La filière compte actuellement près de 1 700 centres VHU agréés en France. Indra en dénombre pour le moment 350 dans son réseau. "Nous estimons qu’il faudrait atteindre entre 600 et 800 partenaires afin d’offrir un maillage assurant une proximité géographique sur l’ensemble du territoire. Il y a un certain nombre d’engagements pris par les metteurs en marché et des règles définies par chacun des constructeurs. Nous devons ainsi proposer un cadre aux centres VHU", souligne Florence Bailleul.
Globalement, les différents SI estiment qu’il faudrait entre 800 et 1 000 centres VHU pour être en conformité avec la loi Agec. Reste à savoir ce qu’il adviendra des plus de 700 professionnels ne s’étant pas rapprochés d’un constructeur ou d’un éco‑organisme.
Inéluctablement, il devrait y avoir une concentration du marché. D’autant que le cahier des charges des SI et de l’éco‑organisme oblige les déconstructeurs à démanteler des pièces de réemploi.
Objectifs fixés : atteindre 8,5 % de la masse des voitures et utilitaires en 2024, 10 % en 2026 et 16 % en 2028. Or, des centaines de recycleurs ne vendent pas de pièces issues de l’économie circulaire (Piec).
"Il y a environ 900 centres qui font de la pièce détachée aujourd’hui parmi les 1 700 sites agréés. Que vont devenir ces centres qui ne pourront pas satisfaire à cette obligation ? On ne peut pas exclure tous ces acteurs de la filière qui font leur travail de façon correcte et reconnue depuis des années", insiste Jean‑Pierre Labonne, président de la filière déconstruction automobile de la Federec.
Face à ce risque, Florence Bailleul plaide pour une meilleure coordination entre les différents maillons de la chaîne de valeur. "Il faut qu’il y ait de la communication, une logique de coopération et de mutualisation des efforts", souligne la directrice générale d’Indra. "Il faudrait que les constructeurs s’entendent et décident de créer un guichet unique qui communiquera aux clients le protocole nécessaire rattaché à la marque pour se défaire de leur véhicule", ponctue Olivier Gaudeau. L’année 2025 pourrait bien représenter un tournant pour la filière du recyclage.
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.