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Constructeurs

Les constructeurs rebattent les cartes du recyclage

Publié le 31 décembre 2024

Par Jean-Baptiste Kapela
8 min de lecture
Avec l’entrée en vigueur de la loi Agec, les constructeurs automobiles prennent la main sur le recyclage des véhicules hors d’usage (VHU), bouleversant une filière jusqu’alors bien établie. Entre éco-organismes et systèmes individuels, cette réorganisation suscite des tensions parmi les centres VHU, qui s’interrogent sur leur avenir dans un marché en pleine transformation.
VHU constructeurs
Indra, Valorauto et Tracauto jouent les intermédiaires entre les recycleurs et les constructeurs. ©Le Journal de l'Automobile

Les constructeurs par­viendront‑ils à "domp­ter" la filière du re­cyclage automobile ? Parue en février 2020, la loi Agec vient semer la zizanie entre les centres VHU et les grands groupes automobiles.

 

En effet, cette réglementation oblige les metteurs sur le marché à répondre à la responsabilité élargie des pro­ducteurs (REP) dans le traitement des véhicules en fin de vie de leur marque sur tout le territoire. L’ob­jectif étant d’optimiser le traite­ment des voitures hors d’usage et de lutter contre la filière illégale.

 

Entrées en vigueur le 1er janvier 2024, ces nouvelles obligations in­vitent les constructeurs à choisir entre deux modes de fonctionne­ment : l’éco‑organisme ou le sys­tème individuel (SI) pour traiter eux‑mêmes leurs épaves. Mais cette incursion des metteurs sur le marché suscite quelques remous du côté des centres VHU.

 

Il faut dire que, jusqu’à l’applica­tion de cette loi, la filière du recy­clage semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Une directive européenne datée de septembre 2000 impose un taux de recyclage en masse du véhi­cule de 85 % et de valorisation de 95 %. Vis‑à‑vis de ces objectifs, les recycleurs français ont pris de l’avance puisque 87 % d’un VHU est recyclé et 96 % de sa masse est valorisée.

 

 

Dans l’Hexagone, près de 1,3 million de véhicules sont traités par an pour deux millions de véhicules neufs mis à la route. Ces chiffres font de la France un exemple européen en matière de déconstruction automobile.

 

Les constructeurs vers le système individuel

 

Mais l’arrivée de la loi Agec vient donc bouleverser l’ordre établi, poussant les acteurs du secteur du recyclage et les constructeurs à pla­cer leurs pions sur un marché estimé à 11,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, selon les données 2022 de la Federec.

 

La Csiam a pris les de­vants avec l’éco‑organisme Recycler mon véhicule (RMV), qui réunit plu­sieurs marques étrangères telles que Mercedes‑Benz, BMW ou Porsche.

 

De leur côté, les groupes réalisant des volumes conséquents en France, tels que Renault, Stellantis ou encore Volkswagen, ont opté pour un sys­tème individuel. Mais à terme, entre 30 et 40 approches individuelles pourraient voir le jour selon le syn­dicat professionnel Mobilians.

 

 

"Qu’une majorité de producteurs s’orientent presque exclusivement vers un système individuel, c’est une grande première. Cela n’existe pas dans les autres secteurs où la REP est mise en application", sou­ligne Patrick Poincelet, président de la branche recyclage au sein de Mobilians.

 

Pour qu’un SI ou un éco‑organisme soit agréé, il doit passer devant la Commission interfilières de responsabilité élargie des producteurs (Cifrep). "Compte tenu du nombre de dossiers déposés pour un système individuel, j’ai vu l’administration baisser les bras. Il devrait y avoir trois éco‑orga­nismes, celui de la Csiam et deux autres qui auraient pu être initiés par Renault ou Stellantis. Là, la Cifrep n’a pas que trois ou quatre dossiers à regarder, elle va en avoir une cinquantaine. Ils sont telle­ment découragés que les consulta­tions se font désormais par Inter­net", déplore Patrick Poincelet.

 

Outre le fait que la multiplication de systèmes individuels ralentit les procédures de mise en place de la réglementation, elle représente éga­lement un véritable problème pour les centres VHU.

 

En effet, pour continuer à travailler, ces derniers doivent signer un contrat avec, a minima, un éco‑organisme ou un système individuel. Auparavant, ils ne devaient répondre qu’au cahier des charges fixé par l’État pour ob­tenir leur agrément.

 

Or, les profes­sionnels du recyclage automobile dépendent désormais des SI et de l’éco‑organisme pour voir leur acti­vité perdurer. "Les centres VHU ont intérêt à signer en premier lieu avec l’éco‑organisme, car ce dernier ne peut pas s’opposer à la signature d’un contrat avec une entreprise si elle ré­pond au cahier des charges. De plus, signer avec RMV, c’est la garantie de pouvoir traiter tous les véhicules", préconise Patrick Poincelet.

 

"Des éco‑organismes camouflés"

 

Mais alors, quel est l’intérêt pour un centre VHU de signer avec un SI ? "Pour leur avoir posé la ques­tion lors d’un congrès, ils n’ont pas vraiment su me répondre. Si nos adhérents signent avec les SI, c’est parce qu’ils pourraient bénéficier, dans le futur, d’une aide financière pour traiter certaines matières de ces véhicules. Sans contrat avec ces systèmes individuels, les centres VHU ne pourront pas profiter de ces aides sur les marques concernées", explique le président de la branche recyclage de Mobilians.

 

De plus, ce dernier pointe une autre singularité de cette nouvelle organisation : une majeure par­tie des systèmes individuels est aujourd’hui mise en œuvre par des prestataires.

 

Pour proposer leur système individuel, Stellantis s’appuie ainsi sur sa coentreprise avec Galloo, Valorauto, tandis que Volkswagen s’est rapproché de son partenaire de longue date, Tracau­to. Renault, pour sa part, compte sur Indra Automobile Recycling, désormais filiale de The Future Is Neutral, qui s’occupera aussi des épaves de Toyota.

 

"Indra, Tracau­to et Valorauto ont les mêmes be­soins que RMV. La différence avec leur système, c’est qu’il n’y a pas de commission des parties prenantes, pas de tuteur de l’État qui contrôle, ni d’organisation professionnelle et d’associations de consommateurs qui peuvent s’en mêler… Il n’y a pas de contraintes, que des bénéfices, assure Patrick Poincelet. Si pour l’instant, ce n’est absolument pas d’actualité, il serait envisageable que RMV lance une procédure en justice pour justifier que ces systèmes indi­viduels ne sont pas légaux."

 

Pour certains observateurs, l’intérêt des constructeurs pour les systèmes individuels pourrait être justifié par l’évolution réglementaire de cette filière au niveau européen. "Si un grand nombre de metteurs en marché basculent vers le système individuel, c’est avant tout pour se préparer à la réglementation européenne qui de­vrait vraisemblablement paraître d’ici à la fin de l’année 2025 ou, au plus tard, début 2026", explique Flo­rence Bailleul, directrice générale d’Indra.

 

Cette loi imposera aux constructeurs d’incorporer des ma­tières recyclées dans leurs produits. Avec la loi Agec, la France anticipe cette nouvelle norme à paraître. "Les constructeurs utilisent finalement l’Hexagone comme un terrain d’expé­rimentation afin de travailler sur de premières pistes et des solutions de réincorporation de matières", estime Olivier Gaudeau, directeur ingénie­rie et hygiène sécurité environne­ment d’Indra.

 

Le risque de renforcer la filière illégale

 

"Avec la loi Agec, c’est un nouveau métier qui s’ajoute à notre arc. Nous avons désormais un rôle de pres­tataire, pour le compte de Renault, mais aussi d’autres constructeurs avec lesquels nous discutons", as­sure Florence Bailleul, sans donner plus de précisions sur ces derniers.

 

La filière compte actuellement près de 1 700 centres VHU agréés en France. Indra en dénombre pour le moment 350 dans son réseau. "Nous estimons qu’il faudrait atteindre entre 600 et 800 parte­naires afin d’offrir un maillage assu­rant une proximité géographique sur l’ensemble du territoire. Il y a un cer­tain nombre d’engagements pris par les metteurs en marché et des règles définies par chacun des construc­teurs. Nous devons ainsi proposer un cadre aux centres VHU", souligne Florence Bailleul.

 

 

Globalement, les différents SI estiment qu’il faudrait entre 800 et 1 000 centres VHU pour être en conformité avec la loi Agec. Reste à savoir ce qu’il adviendra des plus de 700 professionnels ne s’étant pas rapprochés d’un constructeur ou d’un éco‑organisme.

 

Inéluctablement, il devrait y avoir une concentration du marché. D’au­tant que le cahier des charges des SI et de l’éco‑organisme oblige les déconstructeurs à démanteler des pièces de réemploi.

 

Objectifs fixés : atteindre 8,5 % de la masse des voi­tures et utilitaires en 2024, 10 % en 2026 et 16 % en 2028. Or, des centaines de recycleurs ne vendent pas de pièces issues de l’économie circulaire (Piec).

 

"Il y a environ 900 centres qui font de la pièce déta­chée aujourd’hui parmi les 1 700 sites agréés. Que vont devenir ces centres qui ne pourront pas satis­faire à cette obligation ? On ne peut pas exclure tous ces acteurs de la filière qui font leur travail de façon correcte et reconnue depuis des an­nées", insiste Jean‑Pierre Labonne, président de la filière déconstruction automobile de la Federec.

 

Face à ce risque, Florence Bailleul plaide pour une meilleure coordina­tion entre les différents maillons de la chaîne de valeur. "Il faut qu’il y ait de la communication, une logique de coopération et de mutualisation des efforts", souligne la directrice générale d’Indra. "Il faudrait que les constructeurs s’entendent et décident de créer un guichet unique qui com­muniquera aux clients le protocole nécessaire rattaché à la marque pour se défaire de leur véhicule", ponc­tue Olivier Gaudeau. L’année 2025 pourrait bien représenter un tour­nant pour la filière du recyclage.

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