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Constructeurs

La décennie Carlos Tavares : la colère gronde dans le réseau

Publié le 21 juin 2024

Par Nabil Bourassi
5 min de lecture
La guerre entre les distributeurs et Carlos Tavares se poursuit. Le patron du groupe Stellantis rêve de reprendre la main sur la chaîne de valeur occupée par le réseau. Celui-ci fait bloc contre le projet de généralisation du contrat d’agent.
Carlos Tavares VS réseau de distribution
Carlos Tavares a dénoncé le contrat de distribution en 2021 et veut pousser le réseau à basculer sous contrat d’agent. ©Le Journal de l'Automobile

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Carlos Tavares n’y a pas été avec des pin­cettes avec son réseau. Le patron de Stellantis n’a jamais caché ses griefs contre les distributeurs de ses marques qu’il accuse d’être un important foyer de coûts.

 

Il avait été jusqu’à chiffrer le coût de la distribution à un tiers du prix d’une voiture neuve… Une déclaration qui avait ulcéré la profession. En 2021, Mobilians avait mandaté le cabinet TCG Conseil pour auditer la struc­ture de prix d’une voiture neuve et ainsi "rétablir la vérité". D’après cette étude, la marge des distributeurs est de 7 % seulement.

 

Mais le divorce est consommé et Carlos Tavares n’est pas homme à se laisser faire. Il dénonce le contrat de distribution en 2021 et veut pousser le réseau à basculer dans un contrat d’agent. Les négociations s’enlisent et un accord est arraché avec les groupements de concessionnaires en mars 2023, non sans mal.

 

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Le raté du contrat d’agent en Belgique

 

Carlos Tavares parvient à généraliser le contrat d’agent aux Pays‑Bas, en Bel­gique, au Luxembourg et en Autriche à partir de septembre 2023. L’expérience est chaotique. En Belgique, le système informatique n’a pas basculé sur le nouveau contrat et aucun bon de com­mande n’est édité. Résultat, les ventes s’écroulent… La part de marché de Stellantis baisse de 4 points en 2023 en un an et s’établit à 17 %. Il sera effectif en Espagne en septembre prochain.

 

"Les relations entre le réseau et Tavares sont exécrables, nous confie un profes­sionnel du secteur. Fondamentalement, il ne considère pas le réseau comme un atout mais comme un coût. Il a tout tenté pour désintermédier la distribu­tion automobile : ventes en ligne, contrat d’agent, baisses des marges… C’est un prédateur de la valeur." Entre les deux, la confiance est perdue.

 

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Les distributeurs rappellent qu’ils ne se contentent pas d’occuper une place dans la chaîne de valeur… Ils prennent leur part : coûts des stocks et des fonds propres, avances sur les bonus d’État… Un constructeur devrait mobiliser des milliards d’euros pour reprendre une telle trésorerie à l’échelle d’un marché comme la France.

 

Des délais à rallonge pour toucher les primes

 

Mais les relations entre Stellantis et son réseau ne se résument pas aux velléités de Carlos Tavares de leur chiper leur bu­siness. Les distributeurs constatent que les process se sont bureaucratisés chez Stellantis et la rationalisation des effectifs rend moins disponible le personnel pour répondre au réseau. En juin dernier, cer­tains distributeurs affichaient des délais de dix mois pour percevoir leurs primes.

 

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Ils ont également dû endosser les pro­blèmes logistiques rencontrés par Stel­lantis. Tantôt les véhicules n’étaient pas livrés, tantôt les livraisons étaient plus fortes que celles attendues. Cette désor­ganisation a suscité des coûts supplé­mentaires qui ont été supportés par… le réseau.

 

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Ce dernier estime qu’un nouveau contrat de concession ne devrait pas voir le jour avant 2026. Organisés au­tour du groupement des concession­naires Stellantis, les distributeurs ne jugent pas pour autant avoir un pistolet sur la tempe et estiment que Stellantis prend d’énormes risques. Le bras de fer continue.

 

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L’inexorable fuite des talents sous la pression de Carlos Tavares

 

Cette pression se traduit par divers plans de départs qui ont mis le groupe dans un état de sous‑effectif chronique. D’après nos sources, près de 37 000 emplois ont été supprimés de­puis la création de Stellantis. "Les équipes sont épuisées, les arrêts maladie se multiplient", dé­plore un syndicaliste.

 

Cette pression a aussi conduit à des départs de "talents" en série qui n’ont pas laissé indiffé­rente la sphère médiatique quant au climat social. Le départ du respecté patron de la R&D, Gilles Le Borgne en 2019, un historique maison, avait provoqué un premier choc.

 

D’autres départs de cadres, comme Alexandre Malval parti rejoindre Mercedes après avoir redessiné la gamme Citroën, avaient également surpris. Michael Lohscheller, qui avait pris la tête d’Opel après son rachat en 2017, quittera l’entreprise en 2021.

 

Mais c’est le départ de Gilles Vidal qui va susci­ter le plus de stupéfaction. Le père du 3008 et de la nouvelle identité de marque de Peugeot, était vu comme le designer le plus talentueux de son époque. La marque au lion avait mis deux jours à remercier le travail de Gilles Vi­dal, devant la pression des réseaux sociaux qui s’étaient offusqués du silence ingrat du groupe à l’endroit de celui qui a pourtant largement contribué à redresser le groupe.

 

Mais c’est avec la création de Stellantis que l’hé­morragie s’est accélérée. Le plus spectaculaire est le départ de Mike Manley, l’ancien PDG du groupe italo‑américain, un an seulement après la fusion.

 

Chez Citroën, les divergences straté­giques avec le grand patron ont provoqué le départ de Vincent Cobée, directeur de la marque, et de son directeur Europe, Arnaud Ribault.

 

Chez Stellantis France, la réorganisation a poussé des historiques dehors : Guillaume Couzy (ex‑pa­tron de Stellantis France), Amaury de Bourmont (ex‑DG de Stellantis Allemagne), mais aussi Jean‑Pierre Mesic, Jacques‑Édouard Daubresse, Marc Lechantre… La liste n’est pas exhaustive.

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