Etoile toujours montante
Premiers émois automobiles
“Alors tu vas vraiment faire ça ? “Evoquer tes souvenirs d’enfance”… Comme ces mots te gênent, tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les seuls mots qui conviennent. Tu veux “évoquer tes souvenirs”… il n’y a pas à tortiller, c’est bien ça”, écrit Nathalie Sarraute dans l’incipit d’Enfance, merveilleuse autofiction parue en 1983. La découverte et la passion de l’automobile pour Gilles Vidal débutent précisément par un souvenir d’enfance. Une anecdote qu’on appellerait “la chatière” si c’était le titre d’un chapitre. “Mon grand-père avait une collection de voitures anciennes incroyable. Elles étaient entreposées dans un grand hangar soigneusement fermé par deux grandes portes coulissantes. Mais entre le bas de la porte et le sol, un enfant pouvait se faufiler. Gamin, c’est donc ce que je faisais avec mon frère ! On se retrouvait alors au milieu des voitures ! Je me souviens d’une Traction, d’une Buick qui me paraissait énorme à l’époque, d’une Citroën Trèfle rose pâle avec des passages de roues noirs, d’une 404 noire intérieur rouge, planche de bord beige, voiture que j’ai conservée d’ailleurs…, d’Opel de toutes les époques… Nous avons passé des heures et des heures au milieu de ces voitures, dans lesquelles nous montions allégrement car elles étaient ouvertes”, se souvient ainsi Gilles Vidal un léger sourire gourmand aux lèvres.
“J’ai mis du temps à faire le lien entre le dessin et cette culture automobile”
Un grand-père qui était aussi concessionnaire Opel et qui vendait en fait toutes les marques du groupe General Motors. “Il était aussi concessionnaire Isetta ! Même si ça paraît incroyable aujourd’hui quand on voit la voiture… une concession Isetta !”. En plus de ces activités, il tenait aussi une espèce de surplus américain, qui séduisait les spécialistes de machinisme agricole, car il vendait des Jeep Willis, des camions GMC 6 roues motrices, etc. Les affaires familiales furent ensuite reprises par le père et l’oncle de Gilles Vidal. “Mon père dessinait très bien, notamment les voitures, et cela me fascinait. De mon côté, je dessinais déjà beaucoup aussi, des voitures comme plein d’autres choses, mais en fait, j’ai mis du temps à faire le lien entre le dessin et cette culture automobile…”. A l’heure de choisir une spécialité au lycée, Gilles Vidal s’oriente vers la section A3 où littérature, philosophie et arts plastiques sont au menu. “A cette période, j’étais plus parti dans l’idée de faire un métier de graphiste ou d’illustrateur”, reconnaît Gilles Vidal qui réussit alors à l’issue du Bac le concours d’entrée à l’Art Center College of Design. Sachant que sa vie allait passer en mode anglais et que le niveau en langues étrangères d’un bachelier français ne prédispose par forcément à cela, Gilles Vidal décide de partir plusieurs mois en Angleterre où il fera ses premiers “petits boulots” de graphiste en free lance. “Quand je suis entré à l’Art Center College of Design, mon book était celui d’un graphiste, pas celui d’un designer industriel, et moins encore automobile, même si quelques croquis de voitures étaient clairsemés ça et là”.
Quand le hasard s’en mêle…
En fait, c’est au terme du premier semestre de son cycle, semestre dit “prépa”, que Gilles Vidal fait le choix du design industriel, sous l’angle “produits”. Et tout bascule finalement à mi-parcours, au cinquième semestre, quand il choisit la spécialisation Transports et donc, à mots couverts, l’automobile. “Je pressentais des choses… Même si c’est moins varié que la voie “produits”, j’étais attiré par l’automobile car c’est le produit manufacturé le plus complexe, avec l’avion sans doute. J’aimais déjà les notions exacerbées de performance industrielle, de contraintes aérodynamiques… oui, ce tissu très complexe où il est pourtant nécessaire d’être très créatif”. Contrairement à ce qu’ont pu rencontrer d’autres designers français, comme Jean-Pierre Ploué par exemple, l’automobile n’est plus mal considérée à cette époque. Surtout qu’il s’agit d’une école américaine et que les constructeurs US furent les premiers à intégrer des studios de design aux marques. Gilles Vidal effectue ses premiers stages chez Opel et Ford et grâce aux opérations organisées par l’école, rencontre régulièrement les responsables de design des principales marques mondiales : “Lors d’une de ces opérations, le directeur du style de Citroën est venu voir nos travaux, surtout parce qu’il parrainait un autre étudiant, l’un de mes meilleurs amis de l’époque, et qu’il comptait l’embaucher. Il était intéressé par ce que je faisais, mais n’avait pas le budget pour m’embaucher”. Pas un drame dans la mesure où Gilles Vidal a aussi plusieurs contacts bien avancés par ailleurs. Mais pour qu’une histoire soit belle, il faut bien souvent que le hasard s’en mêle. Un hasard accélérateur en l’occurrence puisqu’une semaine plus tard, le téléphone sonne et le patron du style de Citroën propose une place à Gilles Vidal, un maquettiste de son équipe étant parti. “Après Londres, l’école en Suisse et aux Etats-Unis, l’idée de revenir en France me plaisait et si les voitures de Citroën n’étaient pas vraiment folichonnes à l’époque, la marque fascinait toujours. Le potentiel de la marque était donc énorme et de surcroît, les choses commençaient déjà à bouger au niveau du style, avec des projets plus intéressants que ce qu’on voyait sur la route”. Nous sommes en février 1996 et Gilles Vidal rentre donc chez Citroën.
“Osmose” avec Jean-Pierre Ploué
Il fait ses premières armes sous forme de détails, sur le Xsara Picasso par exemple, tout en nourrissant les réflexions sur les concept-cars, notamment le C3 Lumière, sans parler des projets qui n’ont jamais vu le jour. Deux années durant, il se focalise sur les intérieurs et fait ainsi partie d’une des équipes chargées d’une proposition pour le style intérieur de la C6. Il s’attaque ensuite au restylage extérieur du Berlingo. C’est à ce moment que Jean-Pierre Ploué, auréolé de plusieurs succès chez Renault, rejoint Citroën. “A cette période, on travaillait déjà beaucoup sur la mobilité et dans l’effervescence du nouveau millénaire, nous avons présenté au Mondial 2000, le concept Osmose, un engin hautement improbable ! Jean-Pierre a tout de suite accroché sur l’approche de ce concept et c’est à partir de ce moment-là que le courant est vraiment bien passé entre nous”. Résultat immédiat, Gilles Vidal est promu chef de projet pour le restylage du Berlingo, avec des premières attributions de manager. Se présente ensuite un chantier d’envergure : le projet C4, rien de moins ! Gilles Vidal se voit confier un rôle majeur qui confirme son statut d’étoile montante : responsable adjoint du projet en charge du style extérieur. Deux ans de labeur avant de passer au C4 Picasso avec “des responsabilités plus globales dans le studio puisque je devais désormais animer les équipes créatives”. Pour garder la main, il réalise aussi avec une équipe réduite le C4 Citroën Sport, teaser de la C4 coupé et base de la C4 WRC. Dans la foulée, il est encore promu ! Responsable des concept-cars et une jolie saga vient s’ouvrir : C-Métisse, C-Cactus, GT Citroën… “L’idée était de défricher de nouveaux territoires et des concepts alternatifs pour la marque. C’est-à-dire quelque chose de différent à chaque fois mais ancré sur un socle ferme de valeurs. Dans le même temps, j’ai donc commencé à participer aux projets d’avance de phase de la marque”.
Chef d’orchestre du nouveau style Peugeot !
Gilles Vidal prend encore une nouvelle dimension en devenant responsable de gamme, ce qui implique une prise directe avec la production, Carlo Bonzaningo héritant de la supervision des concept-cars. Les projets n’étant pas encore sortis, motus et bouche cousue… Quelque temps après, Jean-Pierre Ploué élargit son périmètre à la direction du style des deux marques. Sans attendre, il propose à Gilles Vidal de passer chez Peugeot, afin de mixer les deux cultures notamment : “J’ai donc commencé à travailler sur les concept-cars Peugeot pour définir quelques axes à la fois conceptuels et stylistiques et nous avons développé simultanément BB1 et SR1. BB1 renvoie aux nouvelles mobilités, à une idée de rupture, tout en rehaussant l’héritage de la marque, notamment celui du deux-roues. Avec SR1, c’est plus du style pur, avec une silhouette classique permettant d’approfondir langage formel et codes esthétiques”. Après ces deux premières pierres à l’édifice de la nouvelle identité de Peugeot, suivirent HR1 et EX1. D’une part, le nouveau langage formel mis à l’épreuve de la compacité et des contraintes urbaines et d’autre part, le VE poussé dans ses limites. L’impulsion “Vidal” n’a pas tardé à se faire sentir et depuis un an, il est tout simplement responsable du style de la marque Peugeot.
“Dans l’automobile, la marque prédomine toujours sur le designer”
Une trajectoire parfaite qui fait sourire l’intéressé, mais sans fausse modestie, presque timidement : “On ne se rend pas vraiment compte de notre exposition. En plus, je déteste me voir dans les médias. Je ne me regarde jamais !”. La starisation des designers automobiles ne l’émeut guère : “C’est très relatif… Dans le domaine du produit, il y a de vraies stars. Philippe Starck, que je connais bien, oui, c’est une star, une marque à lui tout seul. Mais dans l’automobile, la marque prédomine toujours sur le designer. Et on ne nous voit jamais dans Gala ou Closer !”. Toutefois, il reconnaît que le design gagne du terrain dans la société, mais tout simplement parce que c’est une demande des clients. De même, Gilles Vidal n’aime guère isoler des étapes-charnières dans son parcours chez Citroën et Peugeot. “C’est un peu comme la Bourse, il y a des micros-faits, des montées d’adrénaline, c’est-à-dire nos histoires à nous… Mais en fait, dans un groupe de cette envergure, si on prend un peu de recul, on réalise que tout se fait dans la continuité, avec un fort ancrage dans la culture et l’histoire”. Il se souvient cependant des changements de présidents à la tête de PSA, et aussi, peut-être même surtout, du 8 janvier 2010, quand le nouveau projet de marque Peugeot fut dévoilé : “Nous y avions participé bien sûr, dans une certaine mesure, mais de vivre ça depuis la salle, d’écouter Jean-Marc Gales ou Jean-Pierre Ploué sur scène, il y avait une réelle émotion, avec un effet galvanisateur !”. Gilles Vidal garde la même distance quand il s’agit de parler de ses qualités de manager. Pas de manuel, pas de formules toutes faites… “Je n’ai pas de recette, d’ailleurs je n’ai pas suivi de formation spécifique. Je sais simplement que le management autoritaire ne fonctionne pas dans nos métiers. Il faut savoir susciter l’implication et l’adhésion. Dès le début, j’essayais d’avoir une vision transverse et globale des projets et j’aimais bien coordonner les choses, c’est peut-être de là que ça vient…”. Aux contraintes de délais, de qualité, de technique, Gilles Vidal oppose un viatique : “Savoir ce qu’on veut être, c’est La clé. Ensuite, c’est affaire de réglages et de jalons pour y parvenir”. Savoir ce qu’on veut être, c’est exactement ce que Peugeot lui demande… pour que la trajectoire parfaite se poursuive.
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ZOOM - Portrait chinois de Gilles Vidal
Si vous étiez un pays ?
Un étonnant cocktail entre New-York, l’Auvergne et le Japon !
Si vous étiez un mets ?
Un tournedos Rossini.
Si vous étiez une force, une qualité ?
Je suis zen.
Si vous étiez un point faible, un défaut ?
Une nette tendance au perfectionnisme et ce n’est pas forcément dans le travail que c’est le plus embêtant…
Si vous étiez un élément naturel ?
L’air.
Si vous étiez un péché capital ?
Joker…
Si vous étiez une invention célèbre ?
La téléportation ! C’est à venir…
Si vous étiez une autre marque (pas forcément automobile) ?
Prada, son sportswear.
Si vous étiez une marque disparue de l’histoire automobile ?
Delage. Ou non, Voisin !
Si vous étiez un objet de design ?
Un iPad 3D bardé d’hologrammes et avec la captation de gestes !
Si vous étiez une personnalité historique ou un homme célèbre ?
Pierre Soulages.
Si vous étiez un modèle Peugeot ?
La 504 coupé.
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