Benoît Tiers, directeur de Audi Inde
Journal de l'Automobile. En préambule, pourriez-vous revenir sur la genèse de l'implantation d'Audi en Inde ?
Benoît Tiers. L'histoire en Inde a commencé pour Audi fin 2006, quand le board d'Audi AG a décidé d'investir sur ce marché. Pour l'heure, ce marché totalise 1,5 million de voitures mais il est important pour Audi AG de s'y installer assez tôt. Tous les analystes voient en l'Inde l'un des marchés automobiles les plus importants dans les prochaines années. En mars 2007, Audi a donc créé une société basée à Bombay, juste à côté de l'usine où l'on fabrique aujourd'hui des A4 et A6. Notez que l'Inde est seulement le troisième lieu où Audi possède une usine après l'Europe de l'Ouest et la Chine. Cela témoigne de l'intérêt que porte la marque au marché indien.
JA. Que représente aujourd'hui, en chiffres, l'Inde pour Audi ?
BT. La première année, qui a débuté en mars 2007, nous avons vendu 200 voitures. Cette année, nous sommes sur une base d'environ 1 800, principalement des voitures produites localement. Une production qui reste très flexible puisqu'il s'agit de CKD et que nous travaillons seulement avec une équipe. En 2010, en plus de l'A4 et de l'A6, qui disposent chacune d'une ligne, nous allons débuter la production du Q5. Je pense que nous disposerons ainsi d'une capacité de 4000 à 5000 unités par an. Nous sommes prêts à répondre à la demande. Si le marché VN croit de 20 %, celui du luxe augmente davantage.
JA. Avez-vous dû, comme en Chine, vous associer à un constructeur local ?
BT. Non. C'était effectivement le cas, comme en Chine, jusqu'au milieu des années 90. Une situation qui avait largement freiné les investisseurs étrangers. Pour l'anecdote, Peugeot l'avait fait à l'époque, c'était d'ailleurs la première marque européenne présente en Inde, mais des difficultés avec son partenaire local avaient eu raison de cette présence. A la fin des années 90, le marché indien s'est ouvert à l'investissement étranger à 100 %. Mercedes fut alors la première marque à s'y installer. Nous, depuis mars 2007, nous travaillons à la mise en place de la structure Audi Inde, à faire tourner l'usine et surtout à créer un réseau de distribution. Bien que l'Inde soit un pays immense et peuplé d'un milliard d'habitants, nous couvrons le pays avec 12 concessionnaires ! Cela peut paraître peu, mais plus de 90 % de nos clients potentiels sont concentrés dans les grandes villes.
JA. Avez-vous la même approche qu'en Europe pour la constitution de votre réseau ?
BT. Comme en Europe, Audi a une stratégie d'exclusivité dans sa distribution mais aussi pour l'après-vente. Ce n'est pas forcément le cas dans certaines zones d'Asie. Il faut reconnaître que c'est sans doute plus facile ici car nous implantons la marque. De plus, nous avons la chance d'utiliser la dernière architecture et les derniers concepts avec notamment le Terminal dont nous venons d'inaugurer le premier à Kochi dans le Sud du pays. Les prochains seront ouverts à Chennai et Delhi. Dans la majeure partie des cas, les investisseurs qui nous ont rejoint étaient déjà dans l'automobile mais voulaient développer leurs affaires dans le luxe. Un luxe à fort potentiel qui a également intéressé des investisseurs étrangers au monde de l'automobile.
JA. Quelles sont les différences alors ?
BT. Nous restons sur des structures de concessions proches du système français mais le système de ventes aux clients est très différent. La marque Audi est ici positionnée sur un marché de niche, représentant globalement 7 000 unités. Nos clients ne conduisant jamais leur voiture, cela explique que jusqu'ici la notion de showroom leur était étrangère. Bien souvent c'est le chauffeur qui appelait la concession pour commander un véhicule que le constructeur livrait ensuite au domicile du client. Mais peu à peu, notamment grâce à notre travail, la notion de showroom émerge. Quant aux modèles proposés, en plus de ceux produits localement, nous importons l'A8, la R8, le TT ou le Q7 qui est par ailleurs la plus grosse vente de SUV en Inde. Le jour où les clients vont commencer à véritablement conduire eux mêmes leurs véhicules, il sera intéressant d'analyser si des produits plus petits, comme l'A3, pourraient être importés.
JA. On compare souvent le potentiel de l'Inde à celui de la Chine. Est-ce le cas ?
BT. Aujourd'hui, nous comptons environ 5 voitures pour 1 000 habitants en Inde alors qu'en Allemagne cet indicateur atteint 500 pour 1 000 et 12 pour 1 000 en Chine. Il ne fait aucun doute que le marché indien des petites voitures va se développer très vite. Le succès de la Nano le confirme. En parallèle, il y aura de plus de plus de personnes souhaitant s'acheter les mêmes produits qu'aux Etats-Unis ou en Europe. Sur de nombreux points, la Chine et l'Inde sont effectivement assez proches. Cependant, le dynamisme en Inde est sans précédent. Plus fort encore qu'en Chine. La peur de l'avenir est une notion qui n'existe pas. Pour poursuivre la comparaison avec la Chine, cette dernière s'est principalement développée avec l'industrie, c'est-à-dire produire beaucoup à bas prix. Ce n'est pas le pari de l'Inde qui mise sur une vraie valeur ajoutée. Même si pour l'heure, l'Inde se développe d'une manière très "interne" avec peu d'exportations, cela va changer. Et l'une des conséquences sera la baisse des taxes à l'importation qui sont de l'ordre de 120 % aujourd'hui pour un véhicule. Au moment où cela va changer, le marché automobile va complètement se restructurer.
JA. La lutte entre les marques premium est-elle aussi forte en Inde qu'ailleurs ?
BT. Mercedes est arrivé sur le marché dès 1994, BMW en 2006 et nous en 2007. Notre stratégie n'est pas de faire une course au volume mais d'établir la marque. En Asie, Audi n'est pas encore très connue et nous sommes très satisfaits de la manière dont les choses évoluent notamment en terme d'image. De plus, notre clientèle est nettement plus jeune que celle de nos concurrents. Elle cherche davantage un produit d'avant-garde en opposition à des valeurs plus établies. Chacun trouve sa place. Si nous fournissons un bon travail sur le réseau, sur la qualité, sur la formation, sur le service, les ventes suivront. La clé est là.
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.