Table ronde : Comment tourner le point de vente vers le client ?
2020, c’est demain. A cette date, notre perception de la mobilité devrait avoir été bouleversée par de nombreuses innovations. C’est, en tous les cas, le postulat de départ qu’a choisi IBM afin de mener une étude mondiale auprès de 123 cadres dirigeants d’entreprise et originaires de 18 pays. Chacun d’entre eux a été sondé sur sa vision de l’automobile et la voie que devraient emprunter les acteurs du secteur, notamment les constructeurs. L’enjeu : passer d’une industrie de produits à une industrie de services, et ainsi recentrer l’attention sur les clients. D’ailleurs, comme le souligne Pierre-Alain Mammet, le responsable secteur automobile d’IBM France, l’étude mondiale “a révélé que 22 % des décideurs du secteur estiment que la mobilité individuelle constituera un enjeu majeur avant 2020”.
L’autre enjeu porte évidemment sur la connaissance des clients, soit, en filigrane, la maîtrise des bases de données. D’ici à 2016, il devrait y avoir près de 200 millions de véhicules connectés en circulation sur la route. Si l’on y ajoute le développement de services tiers des plus variés, les constructeurs et leurs concessionnaires auront une multitude de points de contact possibles avec les conducteurs. Des opportunités qu’il faudra apprendre à saisir.
Cette tendance à la mobilité, dont on prend la mesure en France, s’affirme aux quatre coins du monde, à en croire le rapport fait par IBM au terme de l’enquête. Toutefois, comme le confirment les constructeurs eux-mêmes, le secteur de l’automobile accuse un retard de plus en plus pénalisant. Seuls un tiers des sondés affirment que des solutions concrètes sortiront dans trois à cinq ans. Une éternité face à des firmes opérant pour l’heure dans des industries tiers, telle celle de la technologie, qui ne cachent pas lorgner de nouveaux marchés, synonymes de relais de croissance. Parmi eux, Google, le géant qui a pris pour habitude de transformer ce qu’il touche en or et qui se verrait volontiers se substituer aux constructeurs, mais également les réseaux sociaux, dont la légitimité est conférée par les utilisateurs, notamment les jeunes générations.
L’heure est donc à la transformation du modèle de distribution. Tout du moins, il faut maintenant prendre les bonnes décisions et les bonnes dispositions. Selon les conclusions d’IBM, le point de vente doit par conséquent être repensé. Mais comment le rendre plus intelligent et plus efficace face à des clients équipés, interconnectés et informés ? Les pistes sont nombreuses. Le Journal de l’Automobile a réuni de nombreux cadres dirigeants, de constructeurs et de réseaux de distribution, pour tenter de répondre à la question.
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Liste des participants
• Quentin BOYER, responsable réseau France RENAULT SAS
• Nicolas BUTTI, réseau VW GROUP France
• Didier CARRAUD, développement des aspects mobilités NOKIA NAVTEQ
• Emmanuel CHARVERON, fondateur EASY-CARTEGRISE.FR
• Edouard COLIN, président Renault Colin Montrouge SAS
• Philippe DIEU, chef de service développement réseau SKODA
• Christophe DUCHATEL, directeur des ventes Opel France
• Olivier GUIGOU, direction du commerce Europe PSA
• Patrick HERBAULT, DSP/IAVP PSA
• Norbert HUGON, directeur développement réseau France RENAULT SAS
• Pierre TOULOTTE, coordination marketing PGA MOTORS
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L’avenir de l’automobile
Christophe Duchatelle : “Quelles que soient les prédictions, je pense qu’il est important de ne pas oublier que l’automobile implique une notion de plaisir. S’il n’y avait pas de passionnel, on ne vendrait que la voiture la moins chère du marché, tel un objet purement pratique.”
Olivier Guigou : “Dans un contexte où nous avons beaucoup de demandes de toutes parts, il est évident que la vitesse de mise en œuvre ne pourra être rapide. Nous ne pourrons pas changer notre mode de commercialisation, le produit doit rester le champ de concurrence et ne doit pas opposer le plaisir et l’usage.”
Emmanuel Charveron : “L’horizon 2020 est une échéance trop courte pour ce qui est des mutations dans l’automobile. Ce que les experts nous annoncent peut être valable pour des compagnies telles Google qui sont dimensionnées, sur le plan ingénierie, pour affronter ces défis. Dans l’automobile, les choses iront fatalement plus lentement car la majeure partie des équipes ne sont pas constituées dans ce but, ce qui est naturel.”
La base de données
Pierre Toulotte : “Un enjeu à résoudre : apprendre à capter les jeunes vivant en milieu urbain et qui n’envisagent pas de passer le permis car ils ont d’autres solutions de mobilité.”
Emmanuel Charveron : “La donnée permettant de répondre à cela, nous pouvons la trouver sur Internet car cette population est hyper connectée. En apprenant à écouter, il est possible de déceler des indices.”
Philippe Dieu : “Les constructeurs savent que les données hors de notre circuit existent, mais nous ne savons pas comment les capter. Peut-être que, demain, le Cloud Computing pourrait contribuer à la création d’une méga base d’informations multisectorielles. Imaginons, par exemple, nous rapprocher des acteurs de la téléphonie qui sont des modèles de réussite en matière de connaissance de leurs clients. Mais il y a du travail, car nous ne sommes même pas réellement capables d’échanger entre nos propres services.”
Edouard Colin : “Le partage d’informations entre distributeurs et constructeurs est aussi difficile. Entre les marques, il est impossible, n’en parlons pas. Nous sommes en retard dans l’automobile car nous payons le prix d’archétypes passés et, à ce rythme, nous allons bientôt être concurrencés par des intervenants extérieurs. Il y a deux solutions : soit on emploie un outil CRM vertical, c’est-à-dire interne à la marque, soit on l’installe de manière horizontale, c’est-à-dire interne aux groupes et décloisonné. Et là, n’est pas encore abordée la question de la gestion géographique des données.”
Philippe Dieu : “Pourquoi échanger de l’information si ce qui descend ne remonte pas ? Prenons, par exemple, les contacts Internet : Facebook ou Google peuvent nous les facturer jusqu’à 4 euros l’un alors que, de l’autre côté, des concessionnaires ne prennent pas la peine de relancer un prospect qui, sur le site de la marque, a fait la démarche de demander à ce qu’on le rappelle. Il y a donc des pertes financières énormes par manque.”
Structure informatique
Nicolas Butti : “Il n’y pas si longtemps encore, le champ “e-mail” n’apparaissait pas dans les fiches clients des DMS. Dans la filiale, nous préparons le déploiement de Cross, le DMS maison qui a une approche différenciante dans la mesure où il n’y a pas de serveur dédié, mais une centralisation dans un centre d’hébergement, en Autriche. Contractuellement, la donnée appartient cependant aux distributeurs.”
Edouard Colin : “Regrouper la donnée n’est pas problématique. Mais qui va accorder les droits de partager ? Comment procède le distributeur qui souhaite mettre en place un plan avec un prestataire extérieur sans impliquer le constructeur ? Le “co-partage” est une problématique à régler si on a la prétention de vouloir rattraper le secteur de la téléphonie. Distributeurs et constructeurs doivent se réunir une bonne fois pour toutes et définir une stratégie.”
Emmanuel Charveron : “Il y a un impératif dès le départ : l’outil informatique retenu doit être évolutif car la technologie est aujourd’hui obsolète en dix-huit mois, alors que le cycle client dure des années et que le monde bouge vite.”
Edouard Colin : “Ensuite, il faut qu’il soit ouvert, ainsi seulement pourrons-nous multiplier les points de contact. Par exemple, il nous serait possible de capter les données de parking ou de stations-essence que notre client fréquente pour en savoir plus sur ses habitudes d’achat.”
Pierre Toulotte : “Nous avons vu sortir chez BMW des évolutions technologiques allant dans ce sens. Les véhicules sont bardés de capteurs qui remontent en continu des informations vers Munich. Celles-ci concernent le bilan de santé de la voiture et, au besoin, elles sont réexpédiées vers le concessionnaire qui appelle et propose la prestation après-vente adéquate. Ce qui pourrait être considéré comme du pistage de véhicule est accepté par le client qui le perçoit finalement tel un service à valeur ajoutée.”
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