Plongée dans les carrosseries Tesla
Depuis le mois de juillet 2023, Tesla a franchi la barre des 100 000 véhicules livrés dans l’Hexagone. 100 000 modèles électriques qui font désormais partie du parc roulant français et qui vont nécessiter entretien, maintenance et réparation.
Pour la gestion de son après‑vente, la firme dirigée par Elon Musk se démarque. Tout comme sa distribution s’opère sans réseau commercial, l’entretien et la maintenance ne font pas appel à des réparateurs agréés. Les conducteurs peuvent pour 80 % des opérations solliciter l’équipe Service Mobile de la marque, qui intervient directement sur le lieu de préférence du propriétaire du véhicule.
Pour le reste, les automobilistes sont invités à se déplacer dans l’un des centres Tesla présents sur le territoire. Ainsi, la marque continue d’accroître son maillage et comptera bientôt 24 succursales en France, couvrant l’ensemble des régions.
Investissement et formation
Pour ce qui est de la réparation des véhicules en cas de choc ou d’accident, le constructeur a développé en parallèle un réseau de carrossiers agréés, répartis, là aussi, partout en France.
Pour devenir "carrossier approuvé par Tesla", de nombreux critères sont à remplir, qui nécessitent bien évidemment des investissements, comme l’explique Thomas Alunni, un des directeurs du groupe Albax‑Lecoq, qui compte trois sites agréés Tesla et figure parmi les premiers partenaires de la marque américaine en France : "L’obtention de l’agrément Tesla, c’est un lot d’outillages, des formations à la fois en ligne et en présentiel, puis de la formation continue, un certain niveau d’infrastructures, des process à respecter et des interfaces spécifiques et dédiées. Pour les agréments, nous sommes mesurés sur des KPI assez communs aux autres constructeurs, même si chaque marque a sa particularité, la philosophie générale est semblable, Tesla ne fait pas exception."
Un investissement qui se situe entre 100 000 euros et 200 000 euros, selon le niveau d’équipement de départ de la carrosserie. "Ce qui nous a permis d’obtenir l’agrément Tesla, c’est l’aire aluminium que nous avons créée en 2019, lors de la construction de notre site. Nous avons dédié un espace au traitement de l’aluminium avec notamment des outils particuliers, comme des aspirateurs, des postes à souder, ainsi qu’un nouveau système de marbre. Par exemple, les poussières produites par le meulage et le polissage des pièces en aluminium possèdent des caractéristiques d’explosivité, que l’aspirateur dans lequel nous avons investi permet d’éviter. Il y a enfin de l’outillage spécifique à Tesla", complète Philippe Swaenepoel, directeur général du groupe Saint‑Christophe, basé à Reims (51) et Nancy (54).
Au‑delà du matériel, la formation est un élément incontournable pour devenir carrossier Tesla. En effet, plusieurs sessions sont nécessaires sur les process de réparation propres à la marque, dont la plupart s’effectuent en anglais.
Le nombre de techniciens formés dépend du volume de l’atelier. "Nous nous sommes déplacés en Allemagne et aux Pays‑Bas pour être formés sur tout ce qui est méthodologie de réparation, notamment sur les techniques de soudure de l’aluminium. Il y a également des process spécifiques sur comment démonter les Tesla et les remonter, comment les réparer, les mettre en sécurité pour éviter d’avoir des problèmes avec l’électricité, car ce sont des véhicules avec des puissances électriques énormes, il y a donc des process à respecter quand nous intervenons dessus", décrypte Olivier De Stefano, dirigeant de la carrosserie ODS à Gennevilliers (92).
Logistique en progrès
Pour ce qui est du quotidien, les carrossiers disposent d’une plateforme dédiée, ouverte à tous les réparateurs, où ils peuvent commander les pièces nécessaires aux réparations. À noter que les pièces des structures peuvent uniquement être achetées par les partenaires carrossiers agréés. Selon les carrossiers interrogés, à l’unanimité, l’expérience utilisateur est satisfaisante.
"Une fois que notre dossier est créé dans le système Tesla, il faut entrer le numéro de châssis et nous pouvons sélectionner les pièces spécifiques au véhicule. C’est un portail où l’on peut à la fois gérer les pièces, les formations, avoir de l’information sur les véhicules et les réparations. C’est très complet. Seul bémol, cela nécessite encore une bonne maîtrise de l’anglais car les traductions restent parfois approximatives. Ensuite, la commande se passe comme lorsqu’on réalise un achat en ligne, il suffit de valider son panier et nous sommes livrés, avec des délais variables selon la disponibilité des pièces", confie un carrossier qui a souhaité conserver l’anonymat.
Et concernant les délais, là aussi, la marque a fait de gros progrès, puisqu’à ses débuts en France, ces derniers étaient pointés du doigt. "Le délai est très aléatoire, sur des accidents moyens, cela peut être une ou plusieurs semaines et pour de petits chocs urbains, certaines pièces arrivent en deux à cinq jours, le reste généralement n’excédant pas deux semaines, sachant qu’il n’y a pas pour le moment de magasin central de pièces détachées en France, contrairement à la majorité des autres marques. Cela s’est significativement amélioré au fil des années. Bien évidemment, sur des pièces très techniques ou de sellerie, les délais sont plus importants, mais c’est la même chose pour toutes les marques", rappelle Thomas Alunni.
"Le délai est actuellement d’environ une à deux semaines en moyenne, en fonction des pièces. Ce qui est raisonnable. C’est aujourd’hui une plateforme logistique située aux Pays‑Bas qui dessert l’Europe, mais d’autres pourraient voir le jour, notamment en France", ajoute Christophe Montmartin, dirigeant de la carrosserie Montmartin à Clermont-Ferrand (63).
Une rémunération intéressante
Du côté du prix des pièces, là encore, contrairement aux idées reçues, les tarifs se situent dans la moyenne. Une étude menée en 2022 par SRA (Sécurité et Réparation Automobiles), qui comparait le coût de réparation de véhicules thermiques et électriques de même gamme, n’avait d’ailleurs pas mis en avant de différences probantes.
Ainsi, le coût des pièces en base 100 d’une Tesla Model 3 était de 64 quand celui de la Volvo V60 II était de 91 et celui de la BMW Série 3 VII de 128, pour un coût global de réparation respectif en base 100 de 93, 103 et 121.
Pour les carrossiers, la marge dégagée est également intéressante et le système est simplifié : "Nous avons une marge de 25 % quelle que soit la pièce, c’est un système qui nous apporte une meilleure visibilité dans notre facturation par rapport à d’autres marques qui nous accordent des remises différentes de 5, 8, 23 ou 32 %, selon les familles de pièces. Mais surtout, travailler avec Tesla nous assure un taux de main-d'œuvre économiquement viable. Ce dernier est quasiment deux fois plus élevé que lorsque nous travaillons avec des agréments d’assurances, précise un carrossier. Cela me fait donc réfléchir à un changement de stratégie pour ma carrosserie, en privilégiant de plus en plus la qualité à la quantité et je pourrais envisager, à terme, de sortir de ces agréments."
Même son de cloche pour Christophe Montmartin qui confirme "des marges et un taux de main-d’œuvre économiquement intéressants".
Une accidentologie Tesla ?
En ce qui concerne les chocs et accidents des Tesla, rien à signaler. Il n’existe pas d’accidentologie Tesla. "Alors que nous traitons environ une centaine de Tesla par mois au bas mot sur nos trois sites et que nous sommes à la fois réparateurs toute marque et également spécialisés sur le haut de gamme, je ne perçois pas sur une vision macro de particularités avec Tesla. Comme tout véhicule, elle entraîne des dommages à des endroits particuliers, mais nous observons ça sur chaque modèle, plutôt en fonction de son gabarit. Il n’y a rien de spécifique à Tesla, il y a tous les types de chocs : avant, arrière, latéraux ou encore des roues arrachées", détaille Thomas Alunni.
Seule différence notable dans la réparation, certains éléments ne se réparent pas, comme l’évoque Olivier De Stefano : "La seule spécificité, c’est l’aluminium, ça ne se répare pas forcément, parfois, ça se remplace. Par exemple, les ailes et les portes peuvent se redresser, mais le châssis ne se redresse pas, nous en remplaçons alors des parties, c’est assez spécifique aux véhicules très modernes, très haut de gamme et en aluminium." (Lire ci-dessous, 3 questions à Mathieu Séguran).
Côté logiciel et mise à jour, là aussi, tout semble fonctionner sans embûches, les mises à jour s’effectuant lorsque le véhicule entre à l’atelier agréé, qui dispose des logiciels nécessaires pour les faire. Quand il en ressort, tous les défauts sont réglés.
L’un des carrossiers interrogés ajoute : "Nous réparons entre 12 et 13 véhicules par jour, toutes marques confondues, et il n’y a pas un véhicule qui dispose d’un système d’information aussi performant que celui de Tesla. Même le conducteur peut consulter les défauts de sa voiture, c’est très évolué. De notre côté, en atelier, nous avons accès aux codes de ces derniers, aussi bien sur le véhicule que sur notre ordinateur et nous avons pour obligation de résoudre les problèmes avant de le restituer."
Même si l’investissement de départ peut donc s’avérer substantiel, les carrossiers sont unanimes sur le retour sur investissement, ainsi que sur l’efficacité de fonctionnement du modèle Tesla. "En comparaison avec d’autres marques, l’agrément de Tesla n’est pas spécialement contraignant, bien évidemment, ils ont aussi besoin de nous car ils constituent leur maillage et leur réseau", analyse ce dernier. Seul l’avenir permettra de confirmer la viabilité de ce modèle, qui semble aujourd’hui s’imposer comme un partenariat gagnant‑gagnant.
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3 questions à
Mathieu Séguran délégué général de la Feda
"Le gigacasting, ce n’est pas le sens de l’histoire"
Quelle est la technique du gigacasting ?
Le gigacasting, c’est un process qui vise à produire le châssis d’un seul tenant, au moyen de gigapresses. C’est la phase d’après le mégacasting, qui permet déjà d’utiliser de grands moulages d’éléments structurels en aluminium afin d’éviter l’assemblage de dizaines de pièces, lors de la production des véhicules.
Aujourd’hui, le gigacasting est une réalité pour Tesla. Ce process est utilisé pour fabriquer le châssis arrière de la Model Y. Les équipes Tesla mettent notamment en avant des économies substantielles de l’ordre de 40 % sur la production de châssis avec cette méthode. C’est à ce jour le seul constructeur à l’utiliser, mais Volvo vient également d’investir dans cette technologie pour sa flotte électrique et d’autres, comme Toyota et Hyundai, sont aussi intéressés.
Vous avez alerté les pouvoirs publics, notamment vis‑à‑vis des coûts de réparation qui risquent de gonfler ?
Ce que l’on craint, c’est la hausse des coûts que cette pratique va engendrer pour la réparation des véhicules. Nous sommes en lien avec les assureurs mutualistes et nous avons mené une étude virtuelle qui met en avant un choc arrière sur une 2008 où le châssis est endommagé. Nous avons comparé le temps et le coût d’une réparation classique avec ceux d’une réparation sur un châssis mégacasté. Les résultats démontrent que l’on passe de 6,5 jours de réparation à 11 jours et que le coût s’envole avec une inflation de 27 %. Mais ce n’est pas tout ! Les conséquences écologiques sont aussi indéniables, puisque la fonderie d’aluminium est bien plus émissive de CO2 que celle de l’acier.
Si ces pratiques se généralisent chez les constructeurs, quel avenir se dessine pour l’automobile ?
Nous pensons qu’avec ces process, nous créons des "voitures Kleenex, des voitures jetables". Il ne faut pas oublier que lorsque l’on a un choc sur de l’acier, nous pouvons souder et réparer, alors que l’aluminium lézarde, c’est‑à‑dire qu’il se brise, un peu comme de la porcelaine. Ressouder est donc extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible et l’on ne sait pas garantir la solidité du véhicule. La réalité aujourd’hui, c’est que sur un véhicule mégacasté, il est encore possible de réaliser des réparations, mais avec le gigacasting, dans certains cas, le véhicule ne sera plus réparable. Aux États‑Unis, par exemple, l’assureur Allianz a créé une division spéciale pour la Tesla Model Y, car la batterie est incorporée directement au châssis. S’il y a un choc arrière, la voiture ne peut donc tout simplement pas être réparée : écologiquement et économiquement, c’est une aberration. Les primes d’assurance vont également subir des hausses monumentales si les véhicules ne sont plus réparables. Ce que l’on souhaite défendre devant Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires chargé des Transports, c’est que le gigacasting va à l’encontre de toutes les politiques mises en place jusqu’ici (loi climat et résilience, injonction à la réparation quand cela est possible). Ce n’est pas le sens de l’histoire.
Par Élodie Fereyre
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